TJ de Nanterre : « Si j’avais su, j’aurais pris un avocat ! »
Un banal conflit routier entre conductrices a donné lieu à une plainte pour violences contre une personne chargée d’une mission de service public. Devant le juge, la prévenue accuse à son tour la victime, absente de l’audience, d’insultes racistes.
Madame J. se présente sans avocat à la barre de la 11e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Cette dame menue d’une cinquantaine d’années s’avance, peu à l’aise et peu habituée d’avoir affaire à la justice : elle est pourtant convoquée pour des faits de violences contre une personne chargée d’une mission de service public et pour conduite d’un véhicule malgré le retrait de tous les points de son permis.
Le 20 novembre 2023, une agente de voirie de la ville de Puteaux, Madame D., porte plainte contre X au commissariat. Quelques heures plus tôt, alors qu’elle était arrêtée à un feu, une conductrice l’a longtemps klaxonné avant de sortir de son véhicule manifestement en colère, de donner de grands coups dans sa voiture. Elle affirme que la conductrice lui a hurlé dessus, l’a insultée et lui a porté des coups, avant de la remettre de force dans sa voiture. Après examen médical, elle a reçu trois jours d’ITT. Plusieurs personnes ont témoigné, dont une collègue de Madame D., présente lors de l’altercation. Elle confirme que la victime a été attrapée par le col, frappée à deux reprises à la tête. Un homme présent a aussi raconté avoir vu une femme donner des coups sur deux véhicules de la mairie stationnés et asséner une gifle. L’enquête a permis de retrouver le véhicule, et sa propriétaire, Madame J., ainsi que de découvrir qu’elle était au volant malgré l’invalidation de son permis après le retrait de tous ses points. Les images de vidéosurveillance l’ont également montré descendre de sa voiture et s’acharner sur le véhicule où figure le logo de la mairie. Prévenue et convoquée par le commissariat, Madame J. a été placée en garde-à-vue.
« Au début, quand le commissariat m’a appelé, j’ai cru à un canular ! »
Devant le juge, la prévenue conteste les faits et va même plus loin, elle accuse Madame D. d’avoir tenu des propos racistes à son encontre. Elle l’assure, sa fille, qui était dans la voiture, a même filmé toute la scène.
– « Vous dites que c’est Madame D. qui a été violente avec vous ?
– Je suis atterrée de ce que j’entends. Au début, quand le commissariat m’a appelé, j’ai cru à un canular ! »
D’où sa réponse particulièrement sèche, qui n’a pas joué en sa faveur. Mais Madame J. n’en démords pas et qualifie même de « diffamatoire » l’exposé des faits qu’elle vient d’entendre. « J’ai contacté le Défenseur des droits pour ces propos racistes. Cette dame était en train de discuter, elle est sortie de sa voiture comme un cow-boy, a commencé à me sortir des propos racistes. »
– « J’aimerais revenir sur les violences, recadre le juge.
– Il n’y en a pas eu.
– Il y a ce que vous dites et il y a ce que dit l’unité médico-légale. »
Madame J. craque, ses mains tremblent. Elle lâche dans un sanglot : « Ça fait 52 ans que je suis en France, que je travaille, j’ai jamais eu de problème avec la loi ! » Le juge tente de reprendre le fil de ses questions avec le plus de tact possible :
– « Il y a eu des violences verbales.
– J’ai cette vidéo que personne n’a voulu voir !
– Le rôle du tribunal n’est pas de vous accabler, c’est la raison pour laquelle je vous pose toutes ces questions. Le rapport du médecin mentionne des douleurs à la palpation du front…
– Je ne l’ai jamais touché ! »
Le juge en vient à l’invalidation du permis de la prévenue. Pourquoi était-elle au volant ce jour-là ? « Je n’étais pas au courant, je ne savais pas que j’avais perdu tous mes points », assure-t-elle. Elle n’a ni reçu les courriers, ni été cherchée les recommandés. « Je travaille dans l’administration, je n’ai pas reçu d’avis, sinon évidemment que je serais allée les chercher. »
« Qui a vu les violences dont parle Madame J. ? »
Le juge qui préside la séance est en formation, à ses côtés, sa juge formatrice intervient avec une question : Madame J. n’a-t-elle pas vu que la voiture devant elle était un véhicule d’astreinte de la ville, avec le logo de Puteaux sur chaque face ? « Je n’ai pas fait attention, pour moi, c’était juste une camionnette blanche. » Madame J. est détentrice d’une carte de résident en France valable dix ans. Une condamnation pour des faits de violence pourrait lui porter préjudice pour faire sa demande de naturalisation, et si le juge la déclare coupable, elle demande que cela n’apparaisse pas sur son casier judiciaire, sur lequel ne figure pour le moment aucune mention.
Si Madame J. est venue sans conseil, Madame D., absente de l’audience, est, quant à elle, représentée : « Ma cliente serait presque le prévenu dans cette histoire ! », déplore l’avocate. Elle rappelle que deux témoins corroborent la version de Madame D. : « Qui a vu les violences dont parle Madame J. ? Il faut remettre les choses à leur place. C’est elle, la victime, c’est elle qui est traumatisée. Elle était en mission de service publique, il était 8 h 20 et on s’est attaqué à elle. J’entends que Mme J. a été frappée, insultée, mais a-t-elle déposé plainte, a-t-elle vu un médecin ? On parle d’une vidéo mais en quatre heures de garde-à-vue, pourquoi n’a-t-elle pas été visionnée ? La partie civile demande 1 500 euros au titre du préjudice moral et 1 000 euros pour couvrir les frais d’avocat.
Le ministère public commence par demander la relaxe pour les faits de conduite sans permis. « Certes le courrier a été adressé, mais on peut supposer que Madame J. n’a pas reçu la notification. » Mais concernant les violences, la procureure estime qu’il est impossible pour la prévenue de ne pas avoir vu qu’il s’agissait d’un véhicule de la mairie. Elle rappelle qu’elle s’est montrée « agressive » lorsque le commissariat l’a convoquée et souligne son comportement « excessif ». « Beaucoup d’agitations, beaucoup d’allégations, Madame J. invoque le Défenseur des droits, une altercation en injures racistes. » Le parquet retient deux éléments contre la prévenue : le fait de ne pas avoir mentionné les images que sa fille aurait filmées au moment de sa garde-à-vue, et le fait que le témoin autre que la collègue de Madame D. a pris attache spontanément avec la police et a confirmé les déclarations de la victime. La procureure requiert un stage de citoyenneté et ne s’oppose pas à la non-inscription sur le casier judiciaire.
Sans avocat, Madame J. a la parole en dernier : « Elle a été arrêtée trois jours, c’est ça ? ». Le juge rectifie avec patience, il ne s’agit pas d’un arrêt de travail, mais d’une fiction juridique pour évaluer la violence subie.
– « Je ne l’ai pas violentée. En garde-à-vue, ils n’ont pas voulu regarder la vidéo, ils n’ont pas voulu prendre ma plainte. Je trouve ça très grave qu’une personne assermentée tienne des propos racistes, d’où ma saisie du Défenseur des droits. Si j’avais su, j’aurais pris un avocat ! »
Madame J. est relaxée pour conduite malgré l’invalidation de son permis, et est déclarée coupable des faits de violences. Elle devra effectuer un stage de citoyenneté dans les six mois sous peine d’une amende de 1 000 euros. La condamnation ne sera pas inscrite à son casier judiciaire. Madame J. tremble encore, pleure silencieusement en signant les documents de la greffière, tandis que le juge insiste sur les éléments qui l’ont amené à cette décision et lui énonce l’amende dont elle devra s’acquitter.
Référence : AJU014n7