TJ de Versailles : « Une journée d’enfer pour les policiers »

Publié le 19/11/2024
TJ Versailles P. Anquetin
Tribunal judiciaire de Versailles (Photo : ©P. Anquetin)

Les policiers français ont dansé et été pris en photo avec les touristes tout en assurant la sécurité des Jeux olympiques de Paris 2024. Ils ont fait partie de la fête olympique ! Quelques jours après cette parenthèse enchantée, les fonctionnaires du commissariat de Houilles ont vécu un dur retour à la réalité le 15 août dernier. « Une journée d’enfer », comme l’a souligné la procureure lors de son réquisitoire à l’audience. En cause : un homme âgé de 31 ans en situation irrégulière qui comparaissait au tribunal judiciaire de Versailles pour tentative de vol, outrages et violences envers des policiers à plusieurs reprises.

Après avoir été placé en détention provisoire au lendemain des faits, Monsieur O. a fait l’objet d’une comparution immédiate. Le prévenu était calme, entouré par deux policiers. De nationalité algérienne, ne sachant parler que très peu le français et s’exprimant en arabe, un interprète a assisté le jeune homme au pied du box des accusés. La présidente s’est lancée dans l’examen des faits.

Une interpellation pour tentative de vol : le calme avant la tempête

Le 15 août dernier à 2h, la police municipale de Maisons-Laffitte a identifié sur le système de vidéosurveillance un individu tentant d’ouvrir les portières de plusieurs véhicules. Alertée, la brigade anticriminalité a poursuivi le cheminement du voleur présumé. À 3h30, après avoir réussi à fouiller plusieurs voitures, il est interpellé non sans difficulté, menotté au sol par les forces de l’ordre et emmené au commissariat de Houilles. À ce moment-là, la présidente s’est tournée vers Monsieur O. et son interprète pour lui demander :

– « Que faisiez-vous à Maisons-Laffitte à 3h30 ?

–  J’ai pris le métro et je me suis réveillé à Maisons-Laffitte. Je cherchais une voiture pour dormir.

– Si vous cherchiez une voiture pour dormir, pourquoi n’êtes-vous pas resté dans le premier véhicule que vous avez visité ?

– Dans le premier, j’avais peur que le propriétaire de la voiture sorte. Dans la deuxième, je suis entré pour trouver quelque chose. J’avoue ! Mais je n’ai rien trouvé.

– Pourtant lors de l’interpellation, les policiers ont retrouvé sur vous une paire de lunettes Ray-Ban, un peigne et un téléphone.

– Tous ces objets sont à moi ».

À ce moment-là, le greffier apporte une feuille à la juge. Un document sur lequel les six policiers concernés par les outrages et les violences dans le cadre de cette affaire ont reconnu ne pas vouloir se porter partie civile. Pourtant, les faits avérés sont graves. « Tout ne s’est pas bien passé durant votre garde à vue. Vous avez drôlement occupé les policiers », a prévenu sur le ton de l’ironie la présidente de l’audience qui était d’avance stupéfaite par la description des faits qui ont suivi.

Insultes, violences et crachats au commissariat de Houilles

Placé en garde à vue dans une cellule du commissariat de Houilles, Monsieur O. s’est montré insultant, agressif et violent. À 8h45, l’individu a refusé de se soumettre à deux obligations légales : le relevé des empreintes et la photo. À 10h20, les fonctionnaires de police ont décidé de l’emmener dans un bureau pour débuter l’interrogatoire avec une interprète. Coups de pied, intimidations, crachats, une violence inouïe a balayé le bureau malgré l’intervention des policiers. « Le frigo a été retourné et les documents qui semblaient être des procédures complètement renversées. Nous avons des photographies qui montrent le bureau », a indiqué la juge en tendant les images à ses deux assesseurs.

Les fonctionnaires de police ont ensuite tenté de lui mettre un casque intégral pour le protéger de lui-même. « Je ne sais pas comment vous avez fait Monsieur O. mais malgré les mains menottées dans le dos, vous avez réussi à vous saisir du casque en passant les mains devant et vous avez menacé les policiers. Vous leur avez encore craché dessus. C’est seulement sous la menace d’un taser que vous vous êtes calmé », a détaillé la femme de loi versaillaise.

« Et ce n’est pas fini ! », a-t-elle prévenu. « La journée du 15 août, qui n’en finit pas au commissariat de Houilles, se poursuit lorsque vous avez obstrué la caméra qui permet de vous observer pour notamment assurer votre sécurité, a souligné la magistrate avant de continuer, équipés d’un bouclier et d’un taser, les quatre policiers ont avancé en colonne pour entrer dans la cellule. Vous les avez insultés d’abord en arabe puis en français et vous avez tenté de les frapper. Les fonctionnaires vous ont repoussé puis vous avez reçu un coup de pied dans l’abdomen et un coup de poing dans la mâchoire ».

« Je ne savais même pas ce que je faisais »

Après avoir précisé que Monsieur O. avait été conduit à l’hôpital et qu’il avait fait l’objet d’une expertise psychiatrique sans détecter d’anomalie mentale, la présidente a de nouveau interrogé le prévenu via son interprète :

– « Alors comment expliquez-vous votre comportement ?

– J’avais bu beaucoup d’alcool avec plusieurs doses de Lyrica, un médicament que je prends pour des douleurs au nerf sciatique. Je ne savais pas ce que je faisais. Je ne me rappelle de rien ».

Célibataire avec sa famille en Algérie, Monsieur O. habite dans un squat à côté du marché de Saint-Denis. En situation irrégulière en France, il vit à travers plusieurs missions non déclarées comme peintre en bâtiment. Dans son casier judiciaire, il y a une condamnation à 5 mois de prison ferme par le tribunal judiciaire de Paris pour des faits de vol et une obligation de quitter le territoire français (OQTF) prononcée en avril 2024.

– « Vous n’êtes pas allé en prison ? », a demandé la magistrate au jeune homme de 31 ans.

– J’ai été condamné à du sursis.

– Non c’était du ferme. Vous n’êtes pas sorti du tribunal avec une convocation ?

– Non je n’avais pas de document en sortant.

– Bon et que comptez-vous faire ?

– Je veux travailler comme peintre. Je suis désolé, désolé.

– Déjà, votre situation administrative doit être réglée et il y a aussi un autre problème avec la dépendance au médicament qui doit être résolue.

– Je ne peux pas m’arrêter. Je dois prendre ces médicaments. Sinon je vais me suicider ».

« Bois d’Arcy n’est pas un lieu de sevrage idéal au Lyrica »

Dans son réquisitoire, la procureure de la République a d’abord insisté sur « la grande difficulté du métier de fonctionnaire de police ». Le parquet a salué « leur abnégation et leur volonté d’assurer, en l’espèce, la protection de Monsieur O. contre lui-même ». Elle a ensuite caractérisé la tentative de vol. Face à la gravité des faits, elle a requis 18 mois d’emprisonnement et l’interdiction définitive du territoire français en peine complémentaire.

L’avocate commise d’office qui a défendu le jeune Algérien a insisté sur « l’état anormal de Monsieur O. » et sa « dépendance au Lyrica ». Avant le début de l’audience, elle avait réalisé des recherches sur ce médicament pris par le prévenu pour ses douleurs. « Je suis tombé sur un article qui parle d’un surdosage associé à une sensation de toute puissance, à des comportements suicidaires et d’agressivité », a-t-elle souligné. Avant de conclure : « [La maison d’arrêt] Bois d’Arcy n’est pas un lieu de sevrage idéal au Lyrica. 18 mois c’est beaucoup trop et c’est disproportionné ».

Après une dizaine de minutes de délibération avec ses deux assesseurs, la présidente a prononcé une peine à la hauteur de « la particulière gravité des faits commis à de multiples reprises ». Reconnu coupable, Monsieur O. a été condamné à 15 mois d’emprisonnement pour l’ensemble des infractions commises avec maintien en détention. Il va aussi exécuter la peine de cinq mois d’incarcération ordonnée par le tribunal judiciaire de Paris. Enfin, une interdiction du territoire français a été prononcée pour une durée de dix ans.

Les propos du prévenus ont été traduits par l’interprète.

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