TJ d’Évry : « À la majorité, on m’a lâché dans la vie »

Publié le 19/09/2024
TJ d’Évry : « À la majorité, on m’a lâché dans la vie »
naka/AdobeStock

Le passé et les conditions de vie ont été au cœur de cette audience, où était présenté un jeune prévenu, sans domicile fixe, pour recel et conduite sans permis.

Dans le box, vêtu d’un maillot rouge des Chicago Bulls, Steve* écoute attentivement la juge énoncer les faits pour lesquels il est présenté en comparution immédiate devant la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes : conduite d’un véhicule malgré la suspension de son permis et recel de biens provenant d’un vol.

Au départ, il y a une plainte : celle de Monsieur E., dont les jantes ont été volées quelques jours plus tôt, et qui a retrouvé leur trace sur un site de revente. Il a alors pris contact avec le vendeur et a donné rendez-vous devant le centre sportif d’Arpajon, non sans prévenir la police. Sur place, Steve a donc été interpellé. Il a reconnu les faits, mais est resté peu loquace quant à la provenance des jantes qu’il avait prévu de revendre. Dans son téléphone, des photos correspondent aux objets volés.

– « J’ai vraiment acheté ces jantes pour 1 000 euros. Je les ai essayés sur ma voiture, explique-t-il à la juge. Le 23, j’ai acheté les jantes, le 24, j’ai pris la photo.

– La photo a été prise à une heure du matin le 24, constate-t-elle.

– Sur Le Bon Coin, je n’ai plus aucune nouvelle de l’ancien propriétaire. J’ai aucune nouvelle ! »

« J’ai pas confiance envers les gens qui m’ont déjà lâché une fois »

La juge ne cache pas ses doutes sur la façon dont il s’est procuré les fameuses jantes. Steve poursuit ses explications :

– « Je les ai achetées directement à Montlhéry. J’ai fait la photo après, parce qu’elles n’allaient pas sur ma voiture.

– Pour vous, à ce moment-là, il n’y a aucun doute sur la provenance des jantes ? Ça n’a pas éveillé de soupçons ? »

Le prévenu affirme ne pas avoir été méfiant une seule seconde. Quid de la suspension de son permis ?

– « Oui, ça c’est vrai. J’ai pris ma voiture pour les jantes.

– Vous avez l’habitude d’utiliser votre véhicule ?

– J’ai pas trop le choix. J’ai besoin de prendre ma douche dans une station essence. »

Steve baisse la tête comme le ferait un enfant pris en faute : « J’étais pas ivre mort, mais j’avais bu une petite bière… » Il compte quatre mentions à son casier judiciaire. À 24 ans, il n’a plus de contact avec ses parents. Il a été placé en famille d’accueil alors qu’il était âgé de seulement 8 mois. « À la majorité, on m’a lâché dans la vie », résume-t-il. Il vit depuis trois mois dans sa voiture sans autre solution d’hébergement.

Il ne cache pas son amertume et son sentiment d’avoir été abandonné : « La dame de la mission locale a lâché mon dossier. J’ai du travail en ce moment. Avant de trouver un logement, ce que je veux, c’est rembourser ma dette. » Steve a un mi-temps au Burger King. Il doit 2 500 euros et semble tenir fermement à s’acquitter de cette somme avant d’envisager quoi que ce soit. Son parcours cabossé est brièvement détaillé : un arrêt de l’école à la fin de l’école primaire, une absence de suivi médical pour son pneumothorax, une consommation d’alcool depuis ses 12 ans (« C’est mon père qui me faisait boire »), mais plus de cannabis, qu’il fumait depuis ses 7 ans. « J’ai besoin d’une meilleure situation, on peut pas s’en sortir tout seul ! »

Un tel parcours laisse néanmoins des traces. Difficile pour Steve de chercher de l’aide mais aussi d’en recevoir : « J’ai pas confiance envers les gens qui m’ont déjà lâché une fois. Je suis déjà passé par les services sociaux. » Son projet ? Aménager un van, partir faire le tour du monde.

« Son véhicule, c’est son toit ! Sans ça, il n’a plus rien sur la tête »

La procureure en est « persuadée », Steve est coupable du recel des jantes volées. L’absence de justificatif d’achat, le temps rapproché entre le vol et la photo trouvée sur son portable, des explications qu’elle juge peu convaincantes, tout l’amène à croire à sa culpabilité. Steve tente aussitôt de s’expliquer, mais est tout de suite intimé de se taire pendant le réquisitoire. Le prévenu n’est pas éligible au sursis, le ministère public requiert six mois avec un aménagement de peine et la confiscation du véhicule. À ces mots, Steve lève la tête, l’air de ne pas en croire ses oreilles. Il s’effondre sur sa chaise, la tête entre les mains. Sa maigre silhouette disparaît presque dans le box.

« Lorsqu’il va vendre les jantes, sait-il qu’elles ont été volées ? Son attitude lors de l’interpellation laisse à penser qu’il n’en savait rien », assure la défense. Sur l’annonce qu’il a publié, il décrit son véhicule. Il n’utilise pas Snapchat ou Telegram : « Il a l’attitude de n’importe quel vendeur sur Le Bon Coin ! », insiste l’avocat en rappelant que rien n’oblige à transmettre de justificatif pour une vente entre particuliers. Enfin, il rappelle que lors du vol initial, la voiture de Monsieur E. a été retrouvée à même le sol : « On n’a pas fait ça tout seul, il faut être équipé… et plusieurs. » Il demande la relaxe pour le recel puisque rien ne permet de relier Steve au vol des jantes. Il critique enfin la sévérité du ministère public : « Son véhicule, c’est son toit ! Sans ça, il n’a plus rien sur la tête, vous le jetez sur le trottoir. Il n’a pas confiance envers autrui, on peut essayer de comprendre, il ressort à peine la tête de l’eau. Je vous demande de considérer sa responsabilité et de prononcer une sanction compatible avec sa réinsertion. »

Malgré la plaidoirie de son avocat, Steve semble s’être renfermé d’un seul coup, frappé par la perspective de perdre sa voiture. Il n’a rien à ajouter. La juge le déclare finalement coupable et prononce une peine de sursis probatoire de six mois et 105 heures de travaux d’intérêt général, ainsi que la somme de 150 euros à verser à la victime au titre de préjudice moral. « Vous avez été déçu par les précédents suivis », reconnaît la juge :

– « Si vous ne respectez pas vos obligations, vous serez susceptible d’aller en prison.

– Je vais en prison ?

– Non. Les travaux d’intérêt général, ça va vous aider à trouver un rythme. Vous avez une obligation de soins, ce sera plutôt bénéfique pour vous aider à vous en sortir. »

La voiture de Steve ne lui sera pas confisquée. Il hoche la tête pensivement avant d’être sorti du box.

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