TJ d’Évry : « Ce sont des vols courants, on a envie de faire porter le chapeau à quelqu’un »
Le prévenu a-t-il réellement dérobé – ou tenté de le faire – des produits de beauté dans un magasin de Corbeil-Essonnes ? La défense a réussi à démontrer de sérieux doutes sur les éléments à charge contre le prévenu.
Vasyl/AdobeStock
Alan* entre dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes et attend patiemment le délibéré du dossier juste avant le sien. Il est présenté en comparution immédiate pour vol et tentative de vol dans une pharmacie à quelques jours d’intervalle.
La veille, la police a reçu l’appel d’une employée d’une pharmacie du centre-ville de Corbeil-Essonnes alors qu’elle était en train de suivre un individu dans la rue après l’avoir vu faire une tentative de vol. Elle a affirmé l’avoir déjà vu dans le magasin et qu’une pré-plainte a déjà été déposée pour le vol de produits de beauté.
Sur la vidéosurveillance, on distingue un individu en train de mettre quelque chose dans ses poches, accompagné d’une autre personne. L’image est cependant très floue. Le 4 novembre, l’individu est seul, de dos, et semble interrompu dans son geste, reposant alors un produit sur une étagère.
Devant la juge, Alan conteste les faits, tout comme il l’a fait en audition. « Je suis entré pour acheter de la pommade, j’ai trouvé ça cher, j’ai reposé. » La juge note qu’en dépit de la piètre qualité des images, on distingue quelqu’un avec quelque chose dans ses poches. « Non, j’ai reposé, j’ai demandé le prix, j’ai trouvé ça trop cher. Elle m’a dit que c’était 17 euros, alors je suis reparti. » Alan affirme qu’il s’agit bien de lui sur les images du 4 novembre, mais concernant les faits de vol du 29 octobre, où 12 tubes de crème ont été volés, il n’était pas à Corbeil-Essonnes ce jour-là.
– « Pourquoi la préparatrice dit qu’elle vous a déjà vu alors ?
– Je ne sais pas.
– Vous savez qu’il y a des vidéos dans cette pharmacie ?
– Bah oui. »
Difficile pour tout le monde de s’y retrouver entre les captures très floues qui ne permettent pas franchement de distinguer si Alan y figure et les deux dates très rapprochées.
« Il n’y a pas d’éléments à charge dans ce dossier »
Alan, né en Algérie et tout juste majeur, est arrivé en France en 2021 et est en situation irrégulière. Il travaille au noir dans les marchés pour subsister, où il touche 30 ou 40 euros. Il est sans domicile fixe et se retrouve à dormir chez des amis ou hébergé chez son oncle à Paris. Il dit avoir reçu un coup de couteau un mois auparavant. Il n’a jamais été en prison, mais a plusieurs alias et plusieurs casiers.
Pour des crèmes coûteuses et faciles à revendre, ce type d’infractions est malheureusement monnaie courante dans les parapharmacies, note la procureure. Au-delà des images de très moyenne qualité, elle souligne que Alan a été reconnu par la pharmacienne et pour cela, requiert une condamnation pour les deux infractions. « Il n’a pas de garantie de représentation, indique-t-elle. Et Monsieur a été signalé comme persona non grata aux Pays-Bas et en Allemagne. Il est connu par la juridiction des mineurs. » Elle requiert six mois d’emprisonnement avec sursis simple et une interdiction de se rendre à Corbeil-Essonnes.
« Il n’y a pas d’éléments à charge dans ce dossier », rétorque la défense d’Alan, qui ne peut se satisfaire des déclarations de l’employée de pharmacie qui a décrit l’individu comme ayant les cheveux gris, ce qui n’est clairement pas le cas du jeune prévenu. « Elle l’a suivi à pied pendant un temps, ce n’est pas une attitude de fuite ! Elle l’aurait vu reposer le produit, lui-même reconnaît qu’il a vu le prix et l’a remis en place. » Concernant les faits de vol, comment aurait-il pu mettre cinq boîtes dans ses poches, s’interroge sincèrement l’avocat. « On le verrait, même sur des images de mauvaise qualité. » La victime, la préparatrice de pharmacie affirme l’avoir reconnu sur planche photographique : « Mais était-elle à la pharmacie ce jour-là ? Rien ne l’indique. Ce sont des vols courants, on a envie de faire porter le chapeau à quelqu’un. » Il demande la relaxe au bénéfice du doute.
La juge se rangera de cet avis : « Il n’y a pas assez d’éléments pour vous condamner. »
Alan la remercie et est sorti du box.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU016b8