TJ d’Évry : « Je vais être claire : vous n’avez pas le droit d’être violent ! »

Publié le 12/06/2024
TJ d’Évry : « Je vais être claire : vous n’avez pas le droit d’être violent ! »
CURIOS/AdobeStock

Après deux plaintes pour des violences contre son ex-compagne, un homme a été présenté au tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes. L’impact de ce climat de séparation délétère pour leur enfant a été régulièrement rappelé au cours de l’audience.

Il reconnaît les faits, « mais pas tout ce qui est énoncé », se presse-t-il d’ajouter ! « C’est déjà de trop », concède-t-il en baissant la tête. Ce sont les premiers mots de Monsieur B. alors qu’il comparaît devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour des violences sur son ex-conjointe, Madame R., des faits qui se sont déroulés à deux reprises entre mai et juin 2023.

Dans la nuit du 8 juin 2023, des policiers ont été appelés à Saclay au domicile de Madame R. À leur arrivée, ils ont découvert un pot de fleurs brisé, des morceaux de verre, un jouet cassé en deux. Madame R. leur a expliqué vivre séparée de son ex, Monsieur B., qui s’était présenté pour voir leur fille de 3 ans et avait prévu de manger avec elle. Mais visiblement contrarié de ne pas pouvoir partager ce moment avec l’enfant, il a commencé à jeter la nourriture apportée à cette occasion sur le sol. Le ton est monté. Madame R. a affirmé avoir été poussée et giflée. C’est une voisine qui a averti la police, entendant des cris. Madame R. a reçu trois jours d’ITT. D’autres violences avaient déjà fait l’objet d’une plainte deux semaines plus tôt, dans des circonstances similaires.

« Vous aviez d’autres alternatives que de balancer un jouet »

« Madame a utilisé ma fille pour me mettre dans une situation compliquée, pour ne pas que je la voie », avance Monsieur B. face à la juge qui rétorque : « Pour autant, ça justifie votre comportement ce jour-là ? » Le prévenu reconnaît que non, mais tente d’exposer les raisons qui lui ont fait perdre ses nerfs face à son ex, et qu’il s’est présenté à son domicile profitant que sa mère vit à proximité.

– « Je me sens pas fier d’avoir fait ça. Surtout à une femme…

– Ce serait un homme, ce serait pareil », le reprend sèchement la juge.

Un contexte compliqué de séparation ne peut servir d’excuses, poursuit-elle : « Quoi qu’il en soit, Madame est la mère de votre fille, vous devez vous respecter dans l’intérêt de votre enfant. Que les choses soient claires : vous aviez d’autres alternatives que de balancer un jouet, quelles que soient les tensions, l’énervement. Votre fille en subit les conséquences. » Les mots font mouche sur le prévenu :

– « J’en ai complètement conscience, ma fille a du mal à vouloir me voir.

– Parce qu’elle a peur ?

– Oui. »

Monsieur B. a entamé un suivi psychologique qui semble le faire beaucoup réfléchir sur sa colère.

– « Ça m’apporte un apaisement. J’ai des questions, ça me permet du dialogue. J’ai 35 ans, c’est plus mon tempérament, l’impulsivité.

– Vous serez toujours confronté dans le milieu personnel ou professionnel à des situations de frustration, de colère.

– J’ai appris à chercher la paix en moi. Je fais du sport. Je cherche pas la guerre à ma femme.

– Vous feriez différemment si vous reveniez le jour des faits ?

– Oui, je repartirai chez ma mère.

« Ça veut dire quoi pour vous, être jugé correctement ? »

Madame R. s’avance à la barre. « Tout a déjà été dit », affirme-t-elle, avant d’ajouter qu’elle a des messages qui montrent l’acharnement de Monsieur B. « Sa fille refuse de le voir, assure-t-elle, j’essaie d’entamer un lien ». Cette dernière phrase arrache un petit rire à l’avocate de la défense. La victime accuse Monsieur B. de ne pas respecter son contrôle judiciaire et l’interdiction de contact, notamment parce qu’elle l’a croisé au supermarché, et qu’il a laissé des messages vocaux à sa sœur, ainsi qu’à elle-même. « On est toujours dans la peur. On n’est pas rassuré quand on sort. » Qu’attend-elle de cette audience ?

– « Que Monsieur soit jugé correctement.

– Ça veut dire quoi pour vous ? interroge la juge.

– Qu’il reconnaisse les violences.

– Il l’a dit, et il est conscient des conséquences.

-…

– Alors ça veut dire quoi pour vous, être jugé correctement ?

– Je ne sais pas trop quoi dire ».

L’avocate de Madame R. insiste sur les mesures de protection et la nécessité de les prolonger. Mais le prévenu est-il réellement passé outre son contrôle judiciaire ? S’il a effectivement appelé pour avoir des nouvelles de sa famille, c’était avant les faits, en mars, rétablit son avocate.

Père d’un enfant né d’une précédente union, Monsieur B. est en période d’essai dans un garage. « C’est difficile de remonter la pente », souffle-t-il. Son passage en garde-à-vue lui a fait perdre deux emplois. Une mention pour des violences figure à son casier judiciaire. Une seule ? La procureure rappelle une condamnation en comparution immédiate à deux mois d’emprisonnement avec sursis… pour violation du contrôle judiciaire. Monsieur B. tombe des nues et ne semble pas se souvenir.

L’avocate de Madame R. salue la reconnaissance des faits, et tient à souligner qu’aucun élément ne vient dire que sa cliente ait pu être violente à l’égard du prévenu. Elle demande 3 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice physique et moral.

« Je vais être claire : vous n’avez pas le droit d’être violent ! »

Le ministère public brandit l’ordonnance de protection pour rappeler la chronologie des faits : « Le 28 novembre, Monsieur viole l’ordonnance de protection, et aujourd’hui il ne sait plus ce qu’il a le droit de faire. Je vais être claire : vous n’avez pas le droit d’être violent ! Votre qualité de père n’est pas retirée, mais elle a des modalités. Je suis sidérée d’entendre un père revendiquer de pouvoir jouer avec son enfant alors qu’un jouet a été cassé dans la chambre de l’enfant. » La procureure requiert six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire.

C’est par un souvenir d’études de droit que l’avocate de Monsieur B. commence sa plaidoirie : « On nous avait parlé de la sanction pénale à valeur ajoutée. Pour qu’une sanction soit bien intégrée, il faut qu’elle soit juste : pour le prévenu, pour la victime, pour la société. » Elle estime que le prévenu a été pas mal puni lorsque sa fille lui a tourné le dos, refusant de le voir. « Il est responsable, il aurait dû se maîtriser. » Pour la défense, chaque membre de ce couple « dysfonctionnel » est coupable de violences verbales : « Pas un pour rattraper l’autre. J’ai plutôt envie de plaindre l’enfant. » En témoigne selon elle, un post Facebook où Madame R. dénigre ouvertement l’enfant de Monsieur B. et le fait qu’elle met tout en œuvre pour que sa fille ne soit plus en contact avec son père. « Ce ne sont pas des liens dégradés, mais des liens inexistants. Madame utilise tout et en rajoute. Il est résigné, il me dit qu’il fait son deuil. » Alors que l’audience touche à sa fin, le prévenu prend une dernière fois la parole pour montrer sa bonne volonté « Je me tiendrai à ce qu’il en est. » Il est finalement reconnu coupable et condamné à six mois avec sursis probatoire avec obligation de soins et interdiction de contact et de paraître au domicile de la victime, qu’il devra aussi indemniser.

– « C’est compris ?

– En gros, je vais pas en prison si je fais pas de bêtises.

– C’est pas des bêtises. Si vous ne commettez pas d’infractions. C’est clair ?

– Très clair. »

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