Tribunal de Bobigny : « Au secours ! Il veut me mettre par la fenêtre ! »

Publié le 31/08/2021

A la suite d’une dispute, une jeune femme manque de basculer par la fenêtre. Elle accuse son compagnon d’avoir voulu la tuer. Vendredi 20 août devant la 17e chambre correctionnelle de Bobigny, il soutient n’avoir rien fait d’autre que d’essayer de l’empêcher de sauter.

Tribunal de Bobigny : « Au secours ! Il veut me mettre par la fenêtre ! »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

Frédéric, 44 ans, a rencontré la plaignante – absente à l’audience – 10 jours avant le drame. Accro au crack, elle  ramène chaque soir chez lui un compagnon de défonce différent, mais cela fait tellement longtemps qu’il n’a pas connu de femme, qu’il passe outre ce désagrément.

Ce soir-là, dans son studio, l’ami d’un soir se montre « un peu trop tactile avec elle », explique Frédéric au tribunal. Exaspéré, il finit par le virer de chez lui. Quelques minutes après, la jeune femme s’excite, vocifère, rapporte-t-il — les voisins témoigneront de cris et d’une dispute — car l’ami chassé aurait emporté avec lui la drogue qui lui manque. S’ensuit une altercation : elle le frappe, le griffe. Lui, recule, dit-il encore. Son voisin tambourine à la porte, mais il ne l’aime pas et refuse d’ouvrir, jusqu’à ce qu’il menace de la défoncer. Quand la porte s’ouvre enfin, le voisin aperçoit la femme près de basculer par la fenêtre. Il bouscule Frédéric et se précipite vers elle, pour la mettre à l’abri.

« Vous lui avez mis un coup de tête »

La victime accuse Frédéric d’avoir voulu la défenestrer. Son accusation est corroborée par le témoignage des voisins, qui ont dit l’avoir entendue crier « Au secours ! Il veut me mettre par la fenêtre ! ». Frédéric dément. Incapable de maitriser la jeune femme, il assure avoir au au contraire supplié le voisin d’aller la rattraper, avant qu’elle ne tombe.

« Vous lui avez mis un coup de tête, l’avez étranglé et poussée vers la fenêtre ? interroge le procureur.

— Aucunement

— Donc, vous dites que c’est elle qui est allée vers la fenêtre ?

— Oui, c’est elle-même qui s’est infligée ça. »

Comme la victime a refusé de voir un médecin, aucune ITT (incapacité totale de travail) ne permet d’évaluer la sévérité des blessures.

Deux condamnations pour viol

« — Le voisin ne dit pas la même chose, fait remarquer le président.

— On ne s’entend pas très bien avec le voisin, j’ai fait quelques fêtes pendant le confinement.

— Pourquoi a-t-elle plein de bleus ?

— Elle les avait déjà avant ! »

Frédéric raconte qu’elle aurait été placée en garde à vue, quelques jours plus tôt, et que ces bleus avaient alors été constatés. Mais rien ne vient corroborer ses dires, et le tribunal passe à l’examen de sa personnalité.

Frédéric a été condamné pour viol, deux fois. La première en 2002, à 7 ans de prison, la deuxième en 2006, à 15 ans de réclusion criminelle. Ses antécédents peu communs et particulièrement lourds n’incitent pas le tribunal à le croire sur parole, ni même à lui accorder le bénéfice du doute. Frédéric relate néanmoins le chemin parcouru : sorti en 2019, d’abord SDF, il se dégote finalement un studio, et travaille désormais dans une brasserie, en Seine -et-Marne. Il s’est défait de l’alcool (« 8 canettes par jour ») mais fume toujours beaucoup de cigarettes (« ça s’entend à ma voix »). Récemment, il a été condamné pour détention de cannabis. C’était pendant le confinement. Sans travail, financièrement aux abois, il avait accepté de faire la « nourrice », autrement dit de garder des produits stupéfiants pour le compte de trafiquants, contre rémunération.  « Je ne m’en sortais pas », lâche-t-il, dépité.

« Une victime atypique qui fait des déclarations peu probantes »

Le tribunal ne sera pas dupe, assure le procureur. « Si ce n’est pas lui qui l’a frappée, pourquoi ne va-t-il pas à son secours ? Permettez-moi d’avoir des doutes quant au fait que madame se jette par la fenêtre ». Ni présente ni représentée, la plaignante est dans l’impossibilité d’éclairer le tribunal. Mais de toute façon, aux yeux du parquet, les dénégations formelles du prévenu ne résistent pas à l’analyse des témoignages de la victime d’une part, des voisins d’autre part. Le procureur requiert trois ans de prison, avec mandat de dépôt (NDLR : Cela signifie qu’en cas de condamnation à une peine de prison, il sera immédiatement incarcéré).

La défense choisit d’attaquer le point faible du dossier, à savoir la toxicomanie de la plaignante : « On est face à une victime atypique, qui fait des déclarations peu probantes ». Elle aurait déjà porté des accusations fallacieuses contre un homme le 2 juillet, affirme l’avocat, puis aurait récidivé le 4 août,  cette fois, en accusant un autre homme de l’avoir frappé, tandis que l’intéressé  soutient ne jamais l’avoir jamais rencontrée. La défense souligne également que la victime ne présente aucune trace sur le cou, alors qu’elle prétend avoir été étranglée et traînée par le cou. Face à toutes ces approximations, l’avocat estime que la relaxe s’impose au bénéfice du doute.

Mais ce n’est pas ce que décide le tribunal, qui renvoie en prison pour deux ans un Frédéric résigné.