Tribunal de Bobigny : « C’était pas méchant, c’était vraiment pas pour menacer ! »

Publié le 25/08/2021

Vendredi 20 août, la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny a jugé un très jeune homme et deux autres, plus habitués des prétoires, pour des menaces sur policiers et vols avec effraction.

Tribunal de Bobigny : « C'était pas méchant, c'était vraiment pas pour menacer ! »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©I. Horlans)

Avançant de quelques pas, Nacer vient caler son front contre le bord supérieur de la vitre du box. Il lance un regard craintif vers le tribunal, puis fixe ses baskets alors que le président résume les faits : le 18 août, deux policiers entrent dans un immeuble du Blanc-Mesnil, où une poignée de jeunes hommes traînent en fumant des joints. Bravache, Nacer lance au premier fonctionnaire : « Je sais où tu promènes ton chien ! », et à sa collègue : « Je connais ta voiture, t’as une Fiat 500 ». Il était menaçant, soutiennent les policiers qui ont déposé plainte. Nacer, 18 ans et une voix d’enfant, encourt 10 ans de prison pour ces menaces et intimidations sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

« C’était pas méchant, c’était vraiment pas pour menacer ! », se défend-il. Un des deux policiers s’avance à la barre. Lui, n’a pas pris à la légère les mots proférés par Nacer.

« –J’habite sur la commune depuis 2014, savoir que des jeunes connaissent les endroits où je me promène, me sentir menacé et en danger alors que je pourrais sortir me promener avec ma femme, je ne suis vraiment pas rassuré », assure-t-il.

—Je suis vraiment désolé !  lance Nacer au fonctionnaire.

—C’était pas pour menacer ? interroge le président .

—Mais comment vous voulez que je menace qui que ce soit, je fais même pas 1 m 70 », répond le freluquet.

« Vous menacez des gens, vous l’assumez ! »

Le procureur, debout, balaye sa mèche d’un geste prompt, puis d’une voix puissante interpelle le prévenu :

« —Vous savez où ils vont les gens qui comparaissent en comparution immédiate, après ?

— Euh…. en prison.

—Alors il va falloir arrêter de nous prendre pour des imbéciles. Il va falloir prendre du plomb dans la cervelle, vous menacez des gens, vous l’assumez ! ».

Toujours penaud, Nacer écoute le président rappeler qu’en mai 2021, le tribunal de Versailles l’a condamné à une peine de sursis probatoire pour conduite sans permis, ainsi que pour usage et détention de cannabis. Le président lui demande ce qu’il en pense.

« —Je suis bête, admet-il tout quinaud.

— Non, vous n’êtes pas bête. Vous avez simplement pris un peu trop de temps pour grandir. »

Le temps est venu des plaidoiries : « La teneur des propos a un sens, ainsi que le moment et le ton », explique l’avocate des parties civiles. « Ce jeune homme est un inconnu pour ces fonctionnaires, et il connaît des détails de leur vie privée. C’était pour détendre l’atmosphère ? » ironise-t-elle. Elle demande 500 euros de dommages-intérêts pour chacun des policiers.

« Moi, je suis complètement stupéfait par les déclarations de Monsieur, qui ne me rassurent pas du tout », assène le procureur. « Trois mois après une condamnation, cet individu va directement provoquer les policiers ? Les faits sont particulièrement abjects, et je fais le pari qu’on le reverra ». Il requiert 12 mois de prison, dont 6 mois assortis d’un sursis probatoire, avec interdiction de paraître au Blanc-Mesnil, obligation de travailler et de rembourser les parties civiles, la partie ferme étant exécutée sous la forme d’une détention à domicile (DDSE).

L’élève-avocate qui plaide en défense rappelle que Nacer, dont la famille vient d’emménager à Saint-Denis, a décroché un bac scientifique et qu’il travaille comme livreur de pizza au Blanc-Mesnil, où il a tous ses amis. Il a désormais pris conscience que « certains propos peuvent être mal interprétés », assure-t-elle.

« Je suis vraiment désolé, c’était pas méchant, je travaille de 19h à 5h du matin pour essayer d’intégrer une école d’ingénieur, si vous pouvez être indulgents s’il vous plaît », implore Nacer à qui revient le dernier mot. Le tribunal le condamne finalement à 5 mois de prison et ordonne une DDSE, assortis d’une obligation de travail ou de formation. Nacer devra également payer 300 euros aux parties civiles.

« Il m’a tapé, j’étais forcé ! On a toujours le choix »

Les deux prévenus qui suivent, eux, assument tout. A trois heures du matin le 19 août, une patrouille de police se rend sur une zone commerciale suite au déclenchement d’une alarme. Sur place, ils cueillent ces deux-là et leur butin : une machine à café, des ordinateurs, une paire de baskets. Constatant la présence d’une importante quantité de matériel de coiffure, ils font un tour dans le salon qui fait face à l’agence immobilière pillée, et constatent qu’il a bien été « visité ».

Les deux hommes, 27 ans, reconnaissent les faits et promettent d’indemniser les victimes. Karim explique qu’ils ont fait cela pour rembourser une dette de 800 euros dont ils sont solidairement débiteurs, au bénéfice d’un créancier ayant la bastonnade facile. Damien montre sa cicatrice :

« —Il m’a tapé, j’étais forcé !

—On a toujours le choix », rétorque le procureur, définitif.

Le président interroge Karim :

« —La dernière fois, vous avez pris un an ferme pour vol avec effraction, à quel moment vous avez cru que ça allait passer ? C’était en 2014 ! Vous faites comme s’il ne s’était rien passé entre-temps

– Si, il y a eu une condamnation pour trafic de stupéfiant ! ».

Damien se défend avec opiniâtreté. Il vit chez sa grand-mère car le domicile de sa mère est trop petit et qu’il a deux petits frères, et doit signer un CDI en septembre.

Le procureur s’interroge :

« —Vous ne pouviez pas attendre d’être payé, pour rembourser cette dette ?

—La personne m’a frappé, elle ne veut pas attendre, elle m’a dit ‘si j’ai pas l’argent dans deux jours, je monte chez ta grand-mère’. »

Mais ça ne chamboule pas le procureur : « Je suis assez stupéfait que l’on puisse prendre ce genre de décision à 27 ans. Personnellement, je ne pense pas que ça vaille le coup de prendre de tels risques pour 400 euros chacun. Ce sont deux profils similaires, une dizaine de condamnations, ils connaissent la musique. » Il demande 12 mois de prison pour les deux, avec mandat de dépôt.

Le tribunal finalement les condamne à 10 mois. Damien semble sonné. Il entend le président l’informer qu’il part à Fleury-Mérogis, interpelle son avocat quand soudain, une dame blonde essoufflée fait irruption dans la salle ; elle se rue vers le box, un sac cabas rempli de linge au bout de bras. « Combien ? 10 mois ? » demande-t-elle au prévenu. C’est sa mère. Damien répond par une moue rieuse. « T’inquiète ! Je fais le parloir dès demain », jure-t-elle. La dame se dirige vers la sortie, accompagnée d’un petit garçon dont les yeux se brouillent de larmes.

 

 

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