Tribunal de Bobigny : « Je ne savais pas que c’était de la cocaïne »
En fin d’audience, la 18ᵉ chambre correctionnelle de Bobigny s’attaque à un dossier d’importation de cocaïne depuis l’Amérique du Sud. Quatre prévenus, deux millions d’euros de produit à la revente et un réseau international, qui prolongeront l’audience tard dans la soirée.

C’est le dernier et le plus gros dossier du jour ; la nuit est tombée sur le tribunal judiciaire de Bobigny, lundi 3 février, lorsque trois personnes sont alignées dans le box et qu’un homme s’avance à la barre. Les quatre prévenus sont les rouages d’une organisation internationale de trafic de cocaïne. À l’exception de Jésus, un Vénézuélien de 26 ans affirmant être étranger aux faits examinés par la 18e chambre, les trois autres adoptent la même ligne de défense : acculés par les dettes, ils ont accepté un job lucratif en se murant dans un prodigieux déni, ne se doutant pas, jurent-ils, qu’ils participaient à l’importation de 22 kilos de cocaïne à 90% pure, soit 2 millions d’euros à la revente au détail après que le produit aura été coupé selon les procédés en vigueur.
Vol en provenance de Lima
Les faits se déroulent à l’aéroport de Roissy. Comme souvent lorsqu’il ne s’agit pas d’un contrôle inopiné d’une mule maladroite, c’est un renseignement anonyme, tombé dans les oreilles de l’OCTRIS (Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants), qui a rencardé les enquêteurs spécialisés le 28 juin 2024 sur la venue prochaine d’un certain Jésus Almeida Perico, né le 13 mai 1998 au Venezuela ; il séjournera en France du 14 au 19 novembre afin de préparer l’importation d’une quantité importante de cocaïne.
L’homme arrive par le vol prévu, en provenance de Lima, Pérou. Il est placé sur écoute et fait l’objet d’une surveillance physique. Il est ici pour prendre contact avec des trafiquants à qui il pourrait revendre la marchandise, que l’enquête, résumée par le président, ne mentionne pas.
Jésus atterrit le 18 décembre à l’aéroport de Roissy, toujours en provenance de Lima. « Il semble adopter une attitude soupçonneuse, mais ce qui intéresse les services de police, c’est l’arrivée de sa valise sur le tapis n°31 », raconte le président. C’est là qu’intervient Yassine. Il s’échappe de la zone de départ où il se trouvait après s’être enregistré sur un vol pour Londres, suit un parcours précis pour se retrouver à la réception des bagages. Seul individu à attendre au tapis n°31, il est facilement repéré par les policiers, qui le regardent se saisir de la valise enregistrée au nom de Jésus, et filer par une porte de service opportunément ouverte au moment où Yassine s’en approche. Un homme lui tient la porte : Zaccharie, qui tient à la main une sacoche contenant le badge d’une certaine Chahinez, ancienne employée à la sécurité sur ce site. C’est ce moment qui est choisi pour procéder à leur interpellation.
En garde à vue, tous ont gardé le silence. Tous ont été placés en détention provisoire à l’exception de Yassine, qui est le premier à s’expliquer.
« Qu’est-ce qu’on va récupérer à Roissy, Monsieur ? Des oiseaux, des défenses d’éléphant ? »
Il est chauffeur VTC non déclaré (il utilise le compte d’un tiers) et gagne 1 000 euros par mois. Un jour, un homme mystérieux se faisant appeler « Santana » lui propose de participer à un trafic de stupéfiant, rapporte-t-il. Yassine décline l’offre. Mais le client lui a laissé son contact sur l’application de messagerie cryptée « Signal », et après l’été, financièrement aux abois, « pris à la gorge », Yassine le recontacte pour prendre le boulot, payé 10 000 euros.
À l’écoute de cette version, le président est circonspect. Première remarque : « On vous remet 10 000 euros, une somme très importante, vous ne vous dites pas que vous allez prendre part à quelque chose de particulièrement dangereux ? » Pas de réponse. « Est-ce que vous voulez nous expliquer qu’on investit 2 millions d’euros avec quelqu’un qu’on a vu 17 minutes au cours d’un trajet entre Cergy et Paris ? » Yassine ne se laisse pas démonter et récite sa partition : « Je ne savais pas que c’était de la cocaïne.
— Vous l’avez dit.
— Non, j’ai dit ‘stupéfiant’.
— Qu’est-ce qu’on va récupérer à Roissy, Monsieur ? Des oiseaux, des défenses d’éléphant ? C’est possible. Mais le plus souvent, c’est de la cocaïne, surtout en provenance de Lima. Les fonctionnaires de police ont été très étonnés par votre capacité à naviguer dans Roissy.
— J’avais fait un repérage la veille.
— On n’a pas la vidéo surveillance, donc on ne peut pas vérifier. Ils ont l’air de penser que vous faites ça de manière nettement plus professionnelle. »
« J’ai été naïf. J’ai pas pensé à du stup’ »
Celui qui lui tient la porte est au centre du box ; Zaccharie, 23 ans, a été « recruté » quelques semaines auparavant. Où ? « À Noisy-le-Grand ». Plus exactement ? « Sur un parking, un petit parking.
— De base, des amis à moi y sont et je les rejoins. En fait, j’avais une dette parce que j’avais accidenté un véhicule de location.
— De base. Donc vous avez un contrat de location ?
— C’était une location via Snapchat.
— Et donc vous rencontrez qui ?
— Je ne connais pas son nom, il se fait appeler « Noisy », il avait le visage masqué.
— Monsieur, je préfère que vous ne disiez rien. »
« Noisy » lui remet la pochette et lui demande d’ouvrir une porte à Roissy en échange de 4 000 euros. « Vous ne trouvez pas que c’était cher payé ?
— J’ai été naïf. J’ai pas pensé à du stup’. J’ai pensé à une personne sans papiers, ou une personne recherchée qui essaierait de s’enfuir. » Le président semble effaré. Le dossier de son fauteuil remue au rythme de sa jambe droite. « On vous dit d’aller ouvrir une porte, il doit y en avoir environ 60 000 à Roissy, mais vous allez directement vers la bonne porte.
— On m’a donné un numéro de porte et un schéma, à cet endroit y’avait qu’une seule porte.
— Quel était le numéro ?
— Je ne m’en rappelle plus. »
Le président éclate de rire. « Et pourquoi le badge était dans une pochette ?
— Aucune idée. »
« Vous avez regardé une série Netflix au moins une fois dans votre vie »
Chahinez, 30 ans, est à droite du box – la plus éloignée du tribunal. Elle sanglote depuis le début de l’audience, visiblement marquée par son incarcération. Elle raconte qu’une collègue à elle, dont elle avait remarqué le niveau de vie élevé, lui a proposé de de se faire de l’argent facilement. Il suffisait simplement de remettre son badge d’accès que cet agent de sécurité avait déclaré volé et conservé après la fin de sa mission à Roissy. Elle résume : « Je ne savais pas ce qu’ils allaient faire, mais je savais que c’était illégal. » Elle s’y est résolue car, dit-elle, elle était percluse de dettes. Elle ne souhaite donner aucun nom, par peur de représailles. « Vous pensiez à quoi alors, Madame ? Des armes ?
— Je ne sais pas, je ne m’y connais pas.
— Bien sûr, mais enfin je suis sûr que vous avez regardé une série Netflix au moins une fois dans votre vie. »
Quand ils sont allés chez elle pour la cueillir, les policiers ont trouvé un appartement vide. Ils se sont rendus chez son compagnon où les policiers restés en surveillance l’ont vu jeter des espèces par la fenêtre. « Sept mille euros », précise-t-elle.
— Mais il y avait 8 100.
— Oui, parce que j’avais reçu 1 500 euros de la CAF.
— En liquide ?
— J’avais retiré. »
C’est invérifiable, car Chahinez, comme tout le monde, a détruit son téléphone peu avant l’interpellation – ayant été prévenue par le contact commun sur Signal. Et son dossier CAF y était enregistré.
« Monsieur, je vais vous le dire, votre histoire… »
C’est au tour de Jésus, petit homme imberbe à la voix haut perchée assisté d’une interprète. Jésus nie l’intégralité des faits.
« Qu’est-ce que vous envisagiez de faire en France ?
— J’étais venu pour chercher du travail.
— Vous n’avez pas fait de démarches auprès de l’ambassade avant de partir ? Non ? Quelle est votre activité professionnelle et combien ça vous rapporte à Lima ?
— 1800 SOL (500 euros, ndlr).
— Vous avez réussi à mettre autant d’argent de côté pour payer un billet AR, neuf jours de réservation dans un hôtel, 500 euros sur vous et suffisamment pour pourvoir à votre séjour en France, et tout ça avec 1800 SOL péruviens par mois ?
— J’ai un ami qui avait une dette de 2600 dollars envers moi. »
Voici l’explication de Jésus.
« Monsieur, je vais vous le dire, votre histoire … on a l’impression que vous faites l’objet d’un transport volontaire de stupéfiants ». Le prévenu répète son récit, le président en a assez entendu.
Mandat de dépôt à la barre
Au lieu de poursuivre ses investigations pour remonter la filière, l’OCTRIS a décidé d’interpeller ces quatre-là, et le parquet a décidé de les renvoyer en comparution immédiate. La saisine de 22, 34 kg de cocaïne pure semble être une fin en soi. Le président ne les croit pas, le procureur non plus, car leur récit n’est pas crédible. Mais le dossier ne contient aucun élément permettant de prouver qu’ils sont plus qu’ils ne le prétendent. Alors, après s’être envolé dans des conjectures, le procureur requiert six ans, dont un an contre Jésus ; cinq ans, dont 30 mois contre Yassine ; cinq ans, dont trois ans avec sursis contre Zaccharie ; cinq ans, dont deux ans avec sursis contre Chahinez. Mandat de dépôt pour tout le monde.
À part Jésus, personne ne plaide la relaxe. Il est 23 heures quand le tribunal rend sa décision : Jésus (quare ans dont deux ans avec sursis) et Zaccharie (cinq ans dont deux ans avec sursis, plus que les réquisitions) restent en prison. Yassine (cinq ans, dont trois ans avec sursis simple) est menotté à la barre. Chahinez (trois ans, dont deux ans avec sursis probatoire) est libérée de prison. Dans la salle, une vieille dame pleure de joie. C’est la grand-mère de Chahinez.
Référence : AJU496667
