Tribunal de Bobigny : « Je suis terrifié qu’on condamne ce dernier »

Publié le 21/03/2025 à 11h35

À Bobigny, un homme est jugé pour violences aggravées, arrestation, enlèvement et séquestration. Ni la victime, ni les trois autres suspects ne sont présents à l’audience. Au bout du compte, après une instruction et quatre heures d’audience, de nombreuses zones d’ombres subsistent. 

Tribunal de Bobigny : « Je suis terrifié qu’on condamne ce dernier »
Tribunal judiciaire de Bobigny

Avant de se retrouver dans un box du tribunal de Bobigny, Hedi a fait deux ans de détention provisoire. Et encore avant, il habitait dans un grand Pavillon en Seine-Saint-Denis, avec Younès, Nabil, Mohamed et Mimoun. C’est ce dernier qui lui a présenté les trois autres. Mimoun est un camarade de « galère ».

Ils se sont rencontrés sur ce qu’il est convenu d’appeler une route migratoire. Hedi est marocain. Plutôt que de tenter une périlleuse traversée de la mer Méditerranée ou de passer par l’Espagne, il a pris un avion pour la Turquie, a traversé la Bulgarie, la Grèce et il a poursuivi son chemin sur la route des Balkans. À l’été 2022, il séjourne quelque temps dans un campement de fortune en Serbie, dans l’attente de poursuivre sa route vers l’ouest. C’est là qu’Hedi rencontre Mimoun. Ils rejoignent tous les deux un groupe WhatsApp. Quelques mois plus tard, Hedi écrit : « Qui est à Paris ? Je cherche un logement. » Mimoun répond. Il connait une femme qui parle arabe et pourrait leur laisser un grand pavillon. Avec Younès, Nabil et Mohamed, ils forment une colocation.

Il a passé plusieurs jours enfermé dans une pièce 

À la présidente de la 14e chambre correctionnelle, Hedi a du mal à expliquer quel lien les unit. Les liens de la débrouille. Ce sont « des connaissances », dit-il par l’entremise de son interprète. Les circonstances de la vie les ont rapprochés. Dans ce pavillon, ils partagent les repas, les courses, les « bons plans ».

Mimoun est absent à l’audience du 3 mars 2025, c’est donc la juge assesseur qui raconte sa version. Le 20 février 2023, ses compagnons l’ont frappé dans la maison et conduit de force dans un véhicule. Il a été emmené en forêt, puis dans un pavillon qui a plus tard été localisé à Bonneuil-sur-Marne, enfin sur le parking d’une station-service. Il avait les yeux bandés tout du long et a subi des sévices. Puis, il a été reconduit au pavillon, où il a passé plusieurs jours enfermé dans une pièce et gardé par un homme. Son geôlier : Hedi.

C’est le seul que les policiers ont pu cueillir après avoir reçu la plainte de Mimoun, arrivé en sale état, qu’un psy qualifiera plus tard de « posttraumatique ». Vingt jours d’ITT, des ecchymoses et des plaies un peu partout, dont certaines profondes – compatibles avec l’usage d’un couteau.

Hedi était donc le seul de la bande présent au pavillon, le 27 février, quand les policiers ont débarqué. Au cours de leur perquisition, ils ont découvert dans la douche des traces rougeâtres pouvant être du sang, mais aucune analyse ne sera faite. Ils ont aussi trouvé un couteau dans la cuisine (ce qui en soi n’est pas très incriminant) et une sacoche noire sans son propriétaire (l’un des trois agresseurs désignés en fuite). Une voisine a vu, la nuit des faits, trois hommes sortir d’un véhicule pour se rendre dans le pavillon. « Rien qui n’intéresse vraiment l’enquête », semble déplorer la juge.

Hedi est mis en examen pour arrestation, enlèvement et séquestration, violences en réunion et avec armes. Les trois autres hommes ne seront jamais retrouvés. Mimoun, quant à lui, disparaît, après une dernière audition devant le magistrat instructeur le 27 avril 2023.

« Ils étaient en train de rigoler ou il y avait de la violence ? »

Ne reste donc plus qu’Hedi, seul face à la justice, qui conteste tous les faits. Il soutient que, le 23 février au soir, il a bien vu Mimoun partir avec les trois personnes désignées, mais nullement sous la contrainte. Ils sont revenus vers 4 heures du matin ; Mimoun était blessé au genou. La juge essaie de glaner des éléments de contexte, pour comprendre la situation : « Ils étaient en train de rigoler, ou il y avait de la violence, de la tension ?

— Ils sont montés dans le véhicule. Mimoun en dernier, moi en premier. Comme il n’y avait pas de place je suis ressorti.

— Pourquoi être monté ?

— On voulait aller dîner.

— Donc, quand il dit qu’il a été frappé et traîné au sol, il ment ?

— Moi, je n’ai pas vu de scène de violence. »

Mais ce qui intéresse davantage les juges, c’est l’aspect « séquestration » ; quand les trois ont ramené Mimoun amoché, c’est Hedi qui l’aurait empêché de quitter les lieux. « Qu’est-ce qu’il se passe pendant la période du 21 au 25 février ? Monsieur Mimoun G. dit qu’il a été séquestré par vous.

— Non.

— Comment vous expliquez ses déclarations ?

— Je ne sais pas, j’espérais qu’il soit présent aujourd’hui.

— Dans votre téléphone, on a trouvé les contacts de Younès, Nabil et Mohamed. De nombreux échanges, et notamment une conversation WhatsApp entre vous et Younès, un message vocal qui date du 23 février 2023 à 17 h 08, dans lequel vous informez Younès que vous avez enlevé les clefs et les conservez. Younès, le 21 février, envoie : « est-ce qu’il est là ? Encore là ? Il n’est pas parti ? » Vous répondez : « oui mon frère, il est toujours là, je lui ai retiré les clefs il est avec moi. »

Le prévenu explique qu’il parle de Mohamed et non de Mimoun. « Donc les déclarations du plaignant et ces messages, c’est une coïncidence ?

— Je vous confirme que je n’ai participé ni à l’enlèvement ni à la séquestration. J’étais au moment inopportun avec les mauvaises personnes. »

« Je bous sur ce banc de la défense »

Il manque à cette audience 75% des prévenus et un mobile, car finalement, personne n’a su dire pourquoi Mimoun, qui a assurément subi un dommage, a été ainsi enlevé, violenté et séquestré. Une histoire de trafic de faux passeport a bien été évoquée par le plaignant lors de sa dernière audition, mais elle n’est étayée par aucun élément en procédure. Cela n’empêche pas la procureure, très discrète au cours de l’audience, de considérer que les déclarations circonstanciées du plaignant, concordant avec les messages WhatsApp et les blessures avérées, suffisent à caractériser l’infraction. Elle s’inquiète du positionnement du prévenu (« il n’a aucune pensée pour Monsieur G. »), et mentionne une phrase du rapport de l’expert psy (« il est insensible aux violences commises sur Monsieur G. ») pour requérir haut : six ans, dont deux ans avec sursis probatoire.

« Je vais essayer de me contenir, mais je bous sur ce banc de la défense », entame l’avocate. « Je viens plaider devant vous une relaxe : c’est grandiloquent et caricatural, mais je suis terrifié qu’on condamne ce dernier. » Elle reprend les explications de la victime et en relève les incohérences, les absurdités, s’horrifie avec emphase et fébrilité qu’on ait pu croire un récit matériellement impossible (par exemple, Mimoun dit s’être enfui par la fenêtre d’une pièce dépourvue de fenêtre). L’avocate canarde l’enquête remplie de petites erreurs et souffrant de lacunes qui, pour elle, établissent l’existence d’un doute suffisant pour relaxer son client.

Entre l’accusation et la défense, le tribunal décide de requalifier les faits en violences en réunion (sans armes), et restreint la période de prévention. Il relaxe le prévenu pour l’arrestation et l’enlèvement, le déclare coupable pour la seule séquestration ; le condamne à trois ans de prison, dont deux ans avec sursis ; peine effectuée en détention provisoire ; Hedi est libre.

 

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