Tribunal de Créteil : « Madame est prise dans un conflit de loyauté »

Publié le 06/03/2025 à 11h45

En comparution immédiate, vendredi 28 février, une affaire confuse de vol avec violences sur fond de vengeance voit la comparution de deux prévenus, un détenu et une libre. La procureure tente de faire la lumière sur les faits, en vain.

Tribunal de Créteil : « Madame est prise dans un conflit de loyauté »
Palais de justice de Créteil, salle des pas perdus. (Photo : ©P. Anquetin)

 Le dernier dossier de la journée est, de loin, le plus tortueux et le plus contesté. Un prévenu dans le box, une prévenue à la barre, un jeune homme en partie civile. La jeune juge assesseure chargée d’instruire le dossier à l’audience débute son rapport.

Le 18 janvier 2025, en fin de soirée, une patrouille de police passe rue Louis Pergaud, « juste derrière le tribunal », fait remarquer la juge ; ils aperçoivent un véhicule roulant, portes ouvertes, et « deux individus en train de s’enfuir à pied ». Les policiers prennent attache avec une autre patrouille qui les informe qu’elle a été alertée par un homme disant avoir été « car jacké » par quatre individus cagoulés, dans la rue Edmond de Goncourt toute proche. Monsieur K., 20 ans, est tombé dans un guet-apens.

Il avait rendez-vous avec une amie, explique-t-il au commissariat, une certaine Alice*, 17 ans, qu’il n’avait vue qu’une fois et qui l’avait invité à la rejoindre chez elle pour profiter de l’absence de sa mère et de sa sœur. Les deux communiquent sur Snapchat. Il la prévient une fois arrivé à l’adresse indiquée, elle lui demande de filmer autour de lui pour lui montrer où il se trouve, et dans la foulée les quatre cagoulés lui tombent dessus, lui font comprendre qu’il serait vain d’opposer toute résistance, et même dangereux, disent-ils en tâtant leurs poches. Monsieur K. comprend qu’ils sont « équipés ». Il leur cède son portefeuille lesté de 250 euros et les clefs de sa voiture.

Les enquêteurs convoquent la jeune femme mineure, et c’est là que tout se complique. Est-elle « l’appât » d’un guet-apens crapuleux, ou la dernière exécutante d’un plan de vengeance savamment ourdi ?

« Qu’est-ce que Madame vous a dit ? »

En fouillant son Snapchat, ils découvrent une discussion qu’elle partage avec Bindou*, 19 ans, et Mickaël*, 20 ans : les deux prévenus du jour (Alice sera jugée ultérieurement par un tribunal pour enfants), qui présentent des versions divergentes et sont jugés pour vol avec violence en réunion et avec arme sur Monsieur K.

Mickaël est considéré par les enquêteurs comme le leader, l’instigateur du coup. Motif ? Venger sa petite amie Bintou d’un viol dont elle aurait été victime début décembre et qu’elle lui aurait avoué quelques semaines plus tard. Déterminé à laver son honneur, il aurait conduit ce guet-apens en dépit de l’opposition de la jeune femme, qui ne voulait pas que Mickaël se « rajoute une affaire ». Le prévenu est actuellement écroué dans le cadre d’une instruction en cours, à la maison d’arrêt de Nanterre.

La juge lui demande : « Qu’est-ce que Madame vous a dit exactement ?

— Elle ne m’a pas bien expliqué, alors j’ai demandé à un ami en commun de vérifier ce qu’il s’était passé. Mon ami m’a dit qu’il n’y croyait pas vraiment, alors j’ai lâché l’affaire », raconte-t-il. Il nie avoir été en contact avec Alice. Il est difficile de savoir s’il est volontairement vague pour embrouiller la juge dans ses questions où s’il s’empêtre dans des dénégations vaines, mais il est catégorique : il n’a rien organisé du tout.

Malheureusement pour Mickaël, la jeune Alice le désigne comme étant la personne lui ayant demandé de donner rendez-vous à Monsieur K. Le plus étonnant dans cette affaire, c’est que la victime n’a jamais été désignée par Bintou comme étant son violeur. Il vit en Seine-et-Marne et n’a jamais rencontrer ces deux prévenus, ce qui permet de faire deux hypothèses : soit ils ont tendu un guet-apens à un homonyme, soit l’agression n’a rien à voir avec le viol dont Bintou dit avoir été victime.

« Il m’a demandé le nom de mon agresseur »

Qui a organisé le guet-apens ? Mickaël jure qu’il n’en avait même pas connaissance. La procureure pense qu’il a voulu venger sa petite amie. L’avocat de Bintou intervient : « À votre avis, pourquoi est-ce que ma cliente a traîné pour vous en parler ? Pourquoi elle ne vous a pas communiqué le nom de l’agresseur ? Vous ne pensez-pas que c’est pour éviter d’en arriver devant le tribunal correctionnel ? » Il fait de son mieux pour déconnecter sa cliente du guet-apens en débat.

La voilà qui se présente à la barre, longs cheveux tressés, grand Trench coat noir serré à la taille. Elle raconte : « Je suis allé le voir et je lui ai tout dit. Il m’a demandé le nom de mon agresseur. Je savais que Mickaël était une personne jalouse, c’est pourquoi je ne voulais pas l’impliquer. Il a insisté plusieurs fois alors je l’ai quitté pour éviter tout contact. »

Elle parle à Alice de son agresseur qui habiterait à Chilly-Mazarin, dans le 91 – pure invention pour brouiller les pistes. Imagine-t-elle à ce moment-là qu’un traquenard serait en préparation ? S’en doute-t-elle ? Elle semble hésiter à répondre. « Est-ce qu’Alice vous a dit qu’elle a organisé un guet-apens à la demande de Mickaël ? » insiste la procureure. L’avocat vient à la rescousse de sa cliente : « On peut comprendre que Madame est prise dans un conflit de loyauté », intervient-il. « Si vous ne voulez pas répondre aux questions vous pouvez dire que vous préférez garder le silence », répond la procureure.

La juge assesseur reprend la parole. Pourquoi Bintou n’a pas porté plainte pour viol ?

« J’ai déjà porté plainte par le passé, et on ne m’a pas pris au sérieux. Là, je n’ai pas de preuve, donc je n’ai pas voulu perdre mon temps. »

Le président insiste : « Vous ne sortirez des conséquences psychologiques de cette agression que si, un jour, vous acceptez de déposer plainte et de dire : ‘j’ai été victime’ », lui dit-il.

Mickaël a deux condamnations et est en détention provisoire, tandis que Bintou est bachelière et voudrait devenir sapeur-pompier. Monsieur K., lui, aimerait un renvoi sur intérêts civils pour évaluer correctement son préjudice.

« Des petits copains qui se prennent pour des sauveurs »

La procureure optimiste dit : « A mon sens, ce n’est pas si compliqué que ça. » Elle reprend les déroulé des faits et donne quelques informations non débattues pendant l’audience. Alice aurait donné l’identité de Monsieur K. à Mickaël, et ce dernier lui aurait répondu que « ça » s’était passé. « Donc le lien entre l’agression de Monsieur K. et Mickaël S. est établi », dit-elle, « et Bintou S. les a mis en lien », pense-t-elle, bien qu’elle finisse par demander une relaxe pour Bintou, estimant qu’il est difficile de la relier aux faits. En revanche, elle demande la condamnation de Mickaël pour des faits de complicité de vol avec violences (requalification en complicité, puisque, détenu, il n’a pas participé aux faits), et pour cela requiert douze mois avec maintien en détention. Elle déplore : « On a encore des petits copains qui se prennent pour des sauveurs et viennent peser encore plus sur leur petite copine victime d’agression sexuelle : tout cela est désolant. »

Alors que l’avocat de Bintou salue la « grande honnêteté intellectuelle de Madame le procureur », celui de Mickaël cingle : « Madame le procureur avait la prétention de nous éclairer, alors peut-être que je vois mal mais je suis toujours dans l’obscurité. » Pour dédouaner son client, il charge à fond Alice, absente, mineure encore présumée innocente jusqu’à son procès qui se tiendra début avril. « C’est elle qui a ‘donné le go’, comme dit le plaignant ». Pour lui, c’est un guet-apens crapuleux organisé par la jeune femme et ses complices encore dans la nature. Il reconnait cependant que son client « n’est pas totalement transparent », mais que cela ne fait pas de lui un coupable.

Cette confusion aura finalement bénéficié aux prévenus, qui sont tous les deux relaxés. Mickaël est cependant condamné à 4 mois de prison avec maintien en détention, pour recel du téléphone retrouvé dans sa cellule en perquisition. Si le parquet fait appel, le jugement d’Alice, qui interviendra entre temps, pourrait être versé aux débats devant la cour.

*Les prénoms ont été changés.

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