Tribunal de Meaux : Avant la pose de son bracelet électronique, il convoie de la drogue

Publié le 14/03/2024

Ali est impayable : il admet volontiers avoir tenté de transporter des sacs de cannabis dans une ville qu’il avait interdiction de fréquenter, détenir des pochons de conditionnement, violer son contrôle judiciaire en dépit d’un sursis probatoire et de la pose attendue d’un bracelet électronique. Le récidiviste âgé de 20 ans s’explique : « J’avais besoin d’argent. »

Tribunal de Meaux : Avant la pose de son bracelet électronique, il convoie de la drogue
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 Les magistrats du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) paraissent quelque peu interloqués. « En fait, résumera la présidente Isabelle Verissimo, vous vous moquez des sanctions judiciaires ! C’est insupportable. » Ali, grand jeune homme qui ressemble à Kylian Mbappé, reconnaît les faits lui valant sa comparution immédiate le 4 mars : violation de paraître à Champs-sur-Marne, détention, emploi de stupéfiants, le tout en récidive. Depuis 2021, il cumule les condamnations pour affaire de drogue, encourt désormais 20 ans de prison. Sans se démonter, il convient qu’il n’a pas « eu une bonne idée » d’aller, 48 heures plus tôt, dans le hall d’un immeuble à Champs-sur-Marne, où il a déjà été interpellé deux fois. Son interdiction d’y revenir ne l’a pas empêché de rendre service, soit de déplacer deux sacs contenant 300 grammes de cannabis.

« Vous risquez 20 ans de prison pour 50 € ?! »

 Le prévenu étant inexcusable, son avocate parisienne tente un va-tout : Me Naïri Djidjirian dépose des conclusions de nullité au motif qu’il a été arrêté dans un local privé sans autorisation du bailleur. La procureure Dreyfus sollicite le rejet, la loi du Code de sécurité intérieure autorisant depuis le 25 novembre 2021 les forces de l’ordre à accéder aux parties communes de résidences collectives (notre article ici ). Ali a été repéré dans la rue, sur la base d’un renseignement anonyme, arrêté en flagrance. Le tribunal joint l’incident au fond.

Le beau gosse est donc jugé. Encapuchonné, il n’a pas vu les policiers qui le surveillaient près de l’entrée « dégageant une forte odeur de cannabis », indique le PV. Il s’est approché du tableau électrique, cache traditionnelle, les enquêteurs l’ont laissé récupérer les sacs et lui ont mis la main au collet. Chez lui, ils ont découvert 49 pochons et 3500 euros. Le cannabis aurait pu y être conditionné. Ali maintient sa version, il n’était que coursier. « J’avais besoin d’argent, explique-t-il à la présidente.

– Combien vous avait-on promis ?

– 50 euros.

– Vous risquez 20 ans de prison pour 50 € ?! Vous plaisantez ? Et la saisie de 3 500 € dans votre chambre ?

– Cet argent-là, mon oncle me l’a prêté pour monter une société.

– Vous cachez votre capital social sous votre oreiller ?

– … »

« La justice lui a fait confiance… C’est vraiment du gâchis ! »

Ali n’est pas crédible : il vit chez ses parents, n’a jamais travaillé, ne déclare même pas un revenu au black, ne défère plus aux convocations du Service pénitentiaire d’insertion et de probation depuis un an.

« Je n’ai pas eu le temps d’y aller…

– Vous avez autre chose à faire de vos journées ?

– Ben… Chercher du travail… »

La substitut : « Vous êtes en attente de la pose d’un bracelet électronique pour 11 mois et on vous prend les mains dans un sac de stups ! À part un suicide social ou l’envie de passer votre vie en détention, je ne vois pas… »

Le juge de l’application des peines suggère par mail la révocation partielle de son sursis, à hauteur de six mois.

La procureure la requiert, « avec ordre d’incarcération immédiate », en sus d’un an ferme avec maintien en détention et la confiscation des scellés. « Il ne tient pas compte des avertissements, n’a pas conscience des infractions, des nuisances causées aux habitants, à leur vie impossible ! » Ses dernières condamnations (quatre) ont été assorties d’une main tendue : « On a tout essayé, les sursis, le bracelet, la justice lui a fait confiance… C’est vraiment du gâchis ! Il n’y a plus d’alternative. »

Me Djidjirian concède que « c’est dommage », prie cependant les juges de « lui donner une énième chance. Il essaie de s’en sortir, veut tout faire pour se stabiliser ».

Le tribunal n’est pas convaincu. Outre le rejet des conclusions, il suit toutes les réquisitions. Ali part sous escorte au centre pénitentiaire.

Il vole un téléphone à une vieille dame qui fait son marché

Ahmed, lui, veut faire croire que le téléphone volé à une femme de 74 ans au marché de Noisiel « appartenait à un vendeur de sardines. Il l’a vendu 20 euros ». Bien tenté. Hélas, l’appareil, pourtant vite réinitialisé, contenait encore des photos de famille de la propriétaire et un témoin l’ayant surpris en flagrant délit avait donné l’alerte. La représentante du parquet salue du reste « la grande solidarité des clients qui l’ont poursuivi ». Il détenait un second portable dérobé.

Interpellé, le fuyard fournit un de ses cinq alias. Il est vite confondu par le fichier des empreintes digitales. Le prévenu en chemise blanche à rayures ne parle pas français. L’interprète traduit : « J’ai des problèmes. Je n’arrive pas à m’en sortir. J’ai fait de mauvais choix. » Ahmed est indubitablement dans l’embarras : sous obligation de quitter le territoire, il fait aussi l’objet d’une interdiction judiciaire de séjourner en France durant trois ans.

« Pourquoi y êtes-vous resté après votre rétention au centre de Nîmes ?

– Je croyais que j’étais juste interdit dans le sud.

– Vous êtes en récidive légale, condamné sous cinq identités, notamment par le tribunal de Marseille à trois et quatre mois ferme. Comment voyez-vous les choses, là ?

– J’ai essayé d’améliorer ma vie mais je suis fatigué… Je voudrais rejoindre ma copine à Mulhouse. »

Décontracté, tête d’angelot penchée vers l’épaule gauche, il indique livrer des repas pour Uber Eats, sous un faux compte, contre 70 € maximum par jour. Il vivrait chez une tante dont il ignore l’adresse.

La procureure Dreyfus requiert cinq mois ferme.

Commise d’office, Me Évelyne Janelli fait tout son possible pour lui éviter l’incarcération, plaidant son attitude « correcte », « la contestation du vol, sans violence ». Jusqu’à évoquer, à raison, « les problèmes de société qui, certes, ne vous concernent pas : tout le monde est bien content d’avoir son hamburger livré par Uber Eats, sans se soucier de savoir qui le livre… »

En vain. Ahmed part en détention pour six mois.

 

 

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