Tribunal de Meaux : « Ce n’est pas Marseille mais ça va le devenir… »
Autour du square Paul-Claudel, dans le quartier de Beauval à Meaux, en Seine-et-Marne, les riverains n’en mènent pas large. La mère d’un enfant frappé par un dealer n’a pas osé porter plainte « de peur de représailles ». De midi jusqu’au milieu de la nuit, guetteurs et vendeurs occupent l’aire de jeux. Trois d’entre eux ont été sévèrement condamnés.
Bénéficiaires d’aides de la Mission locale, ils perçoivent 525 euros par mois en échange de leur engagement à s’insérer dans la société, à rechercher un emploi ou à suivre une formation. Mamadi et Dohou, respectivement âgés de 20 et 21 ans, empochent volontiers l’argent du ministère des Solidarités. Cependant, ils n’ont guère de temps à consacrer aux accompagnateurs du service public. Ils préfèrent squatter l’aire de jeux Paul-Claudel de 12 h 30 à 2 heures du matin, en se relayant sinon ce serait fatigant. Évidemment, les enfants sont privés de parc puisque l’on y vend du cannabis.
Le va-et-vient est incessant, et les habitants des immeubles du secteur sont excédés. « Ce n’est pas Marseille mais ça va le devenir, rapporte l’un d’eux. Il y a de plus en plus de dealers. » Un autre : « Tous les bâtiments sont pris et nous, on ne dit rien par crainte d’être tapés. » Ils redoutent surtout « le grand », Isoumayia, solide gaillard barbu moulé dans son maillot bleu roi de l’équipementier français des Jeux olympiques. Il a déjà battu « un petit qui [lui] avait manqué de respect ». Pour se faire pardonner, le gamin a dû livrer des paquets de cigarettes de contrebande. Et sa mère n’a pas osé aller au commissariat.
« J’étais juste là pour faire le médiateur »
Isoumayia, Mamadi et Dohou, arrêtés lundi 17 juin, incarcérés jusqu’à leur procès, comparaissent enfin devant le tribunal correctionnel de Meaux. La police, qui les surveillait depuis cinq mois, y compris à l’aide de drones, a interpellé dix jeunes. Excepté le trio détenu dans le box, tous ont fait l’objet de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : ils ont plaidé coupable sans barguigner, confirmant l’implication des trois prévenus. On n’ose imaginer le sort qui leur sera réservé, d’autant que douze copains de Beauval assistent à l’audience. Ils maugréent lorsque la présidente cite les propos de résidents. La colère a libéré leur parole sur procès-verbal ou par lettres anonymes : « Ce ne sont que des Noirs et des Arabes. » Suivent des observations racistes qui révèlent l’ampleur de leur exaspération.
L’avocat parisien d’Isoumayia interrompt incessamment la magistrate. Ses allées et venues dans le prétoire produisent l’effet du roulis. Son client, qui se jure innocent, en veut pour son argent. Isoumayia, 26 ans, n’en démord pas : il était « au mauvais endroit au mauvais moment » le 17 juin. « J’étais juste là pour faire le médiateur » entre les jeunes.
La juge : « En frappant un mineur ? On vous voit lui donner trois gifles…
– Ça, je regrette. Il est passé et m’a insulté. Je vends de la viande pour m’en sortir. Si je dealais de la drogue, j’aurais pas besoin de vendre de la viande.
– Vous semblez organiser le trafic, tout vérifier. On vous reconnaît à votre ensemble Lacoste.
– Non, c’est pas moi ! », s’énerve-t-il.
« Je suis sur le point de deal pour la sociabilité »
Depuis qu’il a quitté la prison en 2020 (quatre ans ferme pour enlèvement, séquestration, trafic de stups), Isoumayia cherche un job. Il avait justement rendez-vous à France Travail le lendemain de son arrestation. Manque de chance. Il veut suivre « une formation pour s’occuper de mineurs ». D’où sa fréquentation d’un jardin pour bambins ?
Mamadi et Dohou, eux, font « des démarches » mais sont bien incapables de préciser auprès de quelles entreprises. Le premier ne s’est pas présenté au tribunal en mars, il ignorait avoir été condamné à six mois de sursis ; le second a purgé dix mois d’emprisonnement à Nice. Ils affirment que leurs 500 € d’allocation suffisent pour vivre et nient trafiquer. « Pourtant, sur les images de vidéosurveillance et les photos, vous apparaissez en trottinette, ou assis sur les bacs à fleurs en train de faire le guet, dit Cécile Lemoine à Dohou.
– Je suis sur le point de deal pour la sociabilité. Je ne fais qu’y passer.
– Combien de temps ?
– Trois à quatre heures, pas toute la journée.
– C’est ce que vous appelez être de passage ?
– Ben oui !
– Et les liasses de billets de 5 euros que la police a saisies sur vous ?
– Elles venaient de la Mission locale.
– L’aide est versée en billets de 5 € ?… »
« On va vous brûler, on vous voit bande de fils de putes »
Se faire des amis ou jouer au médiateur, voici donc les explications de leur présence plusieurs fois filmée, et confirmée par les témoins. La procureure n’y croit pas. Elle énumère les preuves, les saisies de sachets de résine, des nombreux portables, de l’argent, des cagoules, sans compter les menaces : « On va vous brûler, on vous voit bande de fils de putes », est-il inscrit sur le mur d’un immeuble afin de dissuader les habitants de parler. Isoumayia « est régulièrement sur place, s’assurant que chacun est bien à son poste », indique la parquetière. Cependant, il ne vend pas, ce qui l’incite à conclure que l’aîné est « superviseur ». Contre lui, elle requiert deux ans ferme avec maintien en détention.
À l’encontre de Mamadi et Dohou, qualifiés de « ravitailleurs, guetteurs et vendeurs », que des riverains « ont photographiés », elle demande 16 mois dont six avec sursis probatoire de deux ans, 18 mois pour le second. Ainsi qu’un maintien en détention. « Je précise que, depuis le 17 juin, le trafic de drogue a cessé. » Le square est rouvert aux enfants. Émeline Masia sollicite qu’ils soient interdits de séjour à Paul-Claudel durant trois ans.
La défense s’en prend aux enquêteurs, à la ressemblance « entre Noirs, je suis incapable de les différencier », dit élégamment une avocate, à « leur chiffre d’affaires présumé » (165 000 euros en cinq mois), « à leurs jours de placard » préventivement effectués. En vain.
Le tribunal suit les réquisitions contre Isoumayia, condamne Dohou à un an ferme et six mois de sursis probatoire, Mamadi à un an en semi-liberté. Ils écopent de 4 000 € d’amende. Avec exécution provisoire – qu’importe donc qu’ils fassent appel. Ils sont interdits de contacts et de présence dans le quartier jusqu’en 2027.
Référence : AJU462192