Tribunal de Meaux : « C’est bien connu : si on a besoin d’argent, on vend des stups ! »

Publié le 26/07/2022

Pour quelle raison quatre jeunes gens, protégés par des parents aimants, se retrouvent-ils à conditionner cinq kilos de cannabis dans le logement d’une mère célibataire ? Par appât du gain vite empoché. Et, au tribunal, ces adolescents réalisent soudain qu’ils ont obéré leur avenir.

Tribunal de Meaux : « C’est bien connu : si on a besoin d’argent, on vend des stups ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 En Île-de-France et dans de grandes villes, particulièrement à Marseille, le phénomène est en nette expansion. Dans la cité phocéenne, il est d’ailleurs courant de « jober » pendant l’été sur l’un des quelque 150 points de vente de drogue. Si jober, néologisme hérité des étudiants belges, garde dans les cités sa signification initiale – effectuer un petit boulot -, il a dégringolé sur l’échelle des valeurs. Sur Snapchat, TikTok et autres applications sociales, le verbe est employé par les trafiquants pour attirer les mineurs qui rêvent d’un quotidien en (plaqué) or. Recrutés à 13 ans, ils sont des proies faciles qu’appâte un chef de réseau à l’aide de courtes vidéos montrant des liasses de billets. Une fois accrochée, la main-d’œuvre sur le pavé est à l’amende si les stupéfiants sont saisis. Un engrenage parfois fatal.

Ce lundi 11 juillet, en chambre des comparutions immédiates au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), Victor, James, Smaïn et Stemison apprennent qu’ils encourent dix ans de prison. Taille, gabarit et tee-shirt identiques, le même âge, 19 ans, épaules tombantes, ils roulent des yeux effarés, à droite en direction des parents, à gauche vers les juges. Le regard se pose parfois sur le dos des avocats qui vont tenter de leur sauver la mise.

« Vous pouvez prendre une balle dans la tête ! »

 Me Thierry Benkimoun s’y essaie le premier. Attaquant la procédure à la serpette, il en dénonce « les nullités », la flagrance « bidonnée ». Dont acte. Cela ne suffira pas à la détricoter, a fortiori l’annuler. Place aux faits, d’une affligeante banalité. A 16 h 40, le 6 juillet 2022, Victor et James sont arrêtés dans un quartier de Courtry, connu des consommateurs de drogue. Selon le procès-verbal, ils tiennent un sac « de matière verdâtre et des sachets de conditionnement ». Plus loin, deux gars opèrent un demi-tour à la vue des policiers. Smaïn et Stemison repartent dans l’immeuble dont ils sortaient, menant les fonctionnaires droit chez la nourrice. Pas malin.

Chez Lydie*, mère célibataire d’un jeune enfant, sont découverts 5,2 kilos de résine de cannabis et d’herbe, ainsi que 259 grammes d’ecstasy. L’étude des fadets du quatuor au cours des quatre jours de garde à vue place leurs téléphones plusieurs fois au domicile de la gardienne depuis le 20 janvier. Celui de Smaïn « borne » à trente reprises, de sept à douze pour les autres. En début d’audition, ils racontent y « fumer la chicha et regarder la télé », laquelle ne fonctionne pas. Finalement, ils avouent a minima.

La présidente Emmanuelle Teyssandier les tance par l’exemple : « J’ai vu beaucoup de jeunes comme vous. Vous savez comment ça finit ? La prison ou la mort. Vous pouvez prendre une balle dans la tête ! J’ai connu ça deux fois en tant que juge des enfants. »

« On a compris, Madame », répondent les quatre en parfaite synchronie.

« Je ne dirai rien, j’ai trop peur des représailles »

 Lydie-la-nourrice a choisi la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et a écopé de sept mois de sursis. Mais elle s’est mise à table, désignant Smaïn comme « le chef de groupe » qui découpe la came. Ses comparses « donnaient un coup de main ». Aussi sont-ils soupçonnés de trafic de drogue, soit acquisition, transport, détention, emploi, cession, sans différenciation. Après s’être fait traiter de « poucave » et « sale pute », elle a mis les voiles. Elle n’a pas révélé l’identité de « numéro 9 », donneur d’ordres aux petites mains… depuis sa cellule.

Les prévenus jurent ne pas savoir qui il est. Poussé à parler, James résume le pacte commun : « Je ne dirai rien, j’ai trop peur des représailles. » Plutôt les barreaux que la balle dans le crâne. Sur la répartition des rôles, ils sont plus loquaces. Victor : « J’ai transporté neuf fois un sac de résine, pas plus de 500 grammes, 40 € par voyage, juste pour sortir avec des amis. »

La présidente : « – C’est bien connu : si on a besoin d’argent, on vend des stups ! Et 100 € pour une Kalachnikov, vous faites aussi ?

– Ah ben non !

– Vous pensez à vos parents présents ? À leur honte de la perquisition ?

– Oui… Mais je ne consomme pas, et je ne bois pas.

– Si vous ne sortez pas tout de suite de ça…

– Oui, ce sera la prison ou la mort », la coupe Victor dont le père et la mère, assis parmi le public, sont catastrophés.

« Des couillons de service »

 James assure n’avoir « aidé que deux ou trois fois en échange de [sa] conso perso. Si j’avais su », souffle-t-il, persuadé que la peine de dix ans lui pend au nez. Stemison, effrayé : « J’avais une dette à rembourser, on m’a saisi la drogue quand j’ai été attrapé [140 heures de travail d’intérêt général (TIG) en avril]. Vu que je passais mon bac, j’ai refusé de dealer mais accepté de mettre en sachets. » Smaïn, supposé chef de groupe : « J’ai conditionné 30 fois, jamais vendu ni transporté. » Ses promos via Snapchat ? « Des pubs reçues. »

Le procureur David Coullaud n’y croit pas : il requiert deux ans de prison, dont six mois avec sursis, le maintien en détention. Idem pour Stemison, en récidive légale. À l’encontre de Victor et James, soldats « d’un trafic qui pourrit des vies », il demande une peine de 18 mois, moitié avec sursis, et l’aménagement sous bracelet électronique pour la partie ferme.

En défense de Victor et Stemison, bacheliers, Me Philippe Jalley rappelle « qu’on n’a pas affaire à Pablo Escobar » mais à « des couillons de service » méritant « un sursis probatoire. Ils ont réfléchi pendant 96 heures de garde à vue. Aujourd’hui, ils sont différents ».

Son confrère Thierry Benkimoun, intervenant pour Smaïn et James, insiste sur leur statut de primo-délinquants vivant chez leurs parents, « auxquels on dit en général : “La prison, c’est potentiellement ce qui vous arrivera la prochaine fois”. S’agissant de Smaïn, en dehors du conditionnement, il n’y a aucune preuve ».

Les avocats du barreau de Meaux ont convaincu les juges. Aucun de leurs clients n’est incarcéré. Smaïn, relaxé d’acquisition et de cession comme ses trois amis, est condamné à 18 mois dont moitié de sursis probatoire d’une durée de deux ans. La partie ferme sera aménagée sous bracelet. Il fera 105 heures de TIG, soignera son addiction. Stemison écope d’un an avec sursis probatoire jusqu’en 2024 ; il est au surplus relaxé de détention et transport. Victor et James sont sanctionnés de 10 mois avec sursis probatoire (deux ans), 105 heures de TIG. Ils ont interdiction de se voir et de venir à Courtry durant trois ans. Ils devront en outre poursuivre leur formation.

Les scellés sont confisqués. Reste à espérer que « numéro 9 », de sa maison d’arrêt, ne les obligera pas à rembourser les cinq kilos perdus.

*Prénom modifié

 

X