Tribunal de Meaux : « Les psychotropes ? On en vend partout à Barbès ! »

Publié le 27/09/2022

Anis et Ibrahim, deux jeunes Algériens, sont arrivés en 2021 à Paris pour « améliorer [leur] vie ». Depuis, ils « volent pour manger » quand ils ne travaillent pas dans le bâtiment, non déclarés. À leur procès au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), pour cambriolage, ils assurent avoir trouvé leur butin « près d’une poubelle ».

Tribunal de Meaux : « Les psychotropes ? On en vend partout à Barbès ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Difficile de croire Anis, 26 ans, et Ibrahim, 28 ans. Le premier, grand brun en survêtement, a fourni six pseudonymes aux policiers qui l’ont arrêté à plusieurs reprises ; ses empreintes digitales l’ont cependant confondu. Son ami, petit brun en tee-shirt de football, utilise aussi des « alias », toutefois pas assez sophistiqués pour duper la justice : 15 signalisations à son actif. « À chaque fois, on nous relâche », précise en riant Anis à l’interprète, qui traduit à regret le pied de nez aux magistrats. Ibrahim a tout de même été condamné à quatre mois de prison à Pontoise (Val-d’Oise) le 20 décembre 2021. À peine libéré, il a récidivé.

Ce lundi 12 septembre, ils comparaissent détenus pour vol par effraction en réunion, perpétré cinq jours plus tôt à Gouvernes, paisible village d’un millier d’habitants. Interpellés 13 minutes après la commission des faits à un arrêt de bus, avec un sac de sport au nom de la victime, Anis et Ibrahim jurent que le hasard les a placés sur le parcours du butin.

« Il régnait un grand désordre, avec des cornichons sur la table »

 La coïncidence invoquée se rapporte plutôt à leur arrestation : la police les a vus jeter des mégots par terre, une infraction qui a motivé le contrôle. Le propriétaire de la maison visitée ne s’était pas encore signalé. Confrontés à deux individus sans pièces d’identité et munis d’un trésor, les agents les placent en garde à vue. L’inventaire du sac débute : pendentifs, bracelets, colliers, pierres, stylos, montres, médailles militaires, parfum, longue-vue, timbres de collection. « On a tout trouvé près d’une poubelle à Lagny-sur-Marne », affirment les suspects – soit à trois kilomètres du pavillon.

S’ils avaient lu Buffon ou Lamartine, les prévenus sauraient que le monde est une loterie. En l’espèce, la police tire le numéro gagnant quand Albert* se présente en fin d’après-midi pour déposer plainte. Il reconnaît le sac, le contenu, spécifie que la porte du garage, un volet, la fenêtre de cuisine ont été brisés : « Il régnait un grand désordre, avec des cornichons sur la table. On voyait que les voleurs s’étaient nourris. »

« Un cambriolage ? Jamais ! Je suis SDF, convient Ibrahim, je commets des vols mais je n’entre pas chez les gens. Enfin, sauf lorsque je suis arrivé en France… Je n’avais pas de travail… » Il bricole dorénavant d’un chantier à l’autre, jamais déclaré – un phénomène extrêmement fréquent qui pose de sérieuses questions, notamment à l’Inspection du travail.

« Nos vies sont gâchées. N’en rajoutez pas en nous enfermant »

Anis bosse aussi dans le bâtiment et livre pour Uber Eats, pas plus déclaré que son copain. « Comment faites-vous sans parler français ? », demande la présidente Verissimo. « Pas besoin, j’ai une application sur le téléphone. Bonjour, bonsoir, facile ! », répond-il, goguenard.

« – Vous faites l’objet d’une obligation de quitter le territoire français…

– Ouais, je suis parti un moment en Suisse et en Allemagne mais je préfère la France.

– Vous n’avez pas pensé à effectuer des démarches de régularisation ?

– Non. J’aime mieux travailler sans être déclaré.

– Vous prenez beaucoup de médicaments. Où les trouvez-vous ?

– Les psychotropes ? On en vend partout à Barbès ! »

On apprend qu’il carbure au Lyrica et au Rivotril, achetés dans le XVIIIe arrondissement parisien, qu’il crapahute ainsi shooté sur les échafaudages ou circule à vélo pour Uber.

Face à leurs « explications incohérentes», la procureure Sahali requiert une peine de trois mois ferme, regrettant « l’impossibilité de retenir la récidive, pourtant reconnue, à cause des alias ». En défense, Me Jean-Louis Granata déplore l’absence d’investigations qui « auraient pu permettre de vérifier s’ils ne sont pas juste receleurs. Leur version n’est pas si bête ». Il demande une requalification, et « une peine dissuasive de sursis. La contrainte peut fonctionner ». Personne ne semble convaincu, pas même les prévenus qui implorent les juges.

« On est venus ici pour améliorer nos vies. Elles sont déjà gâchées ! N’en rajoutez pas en nous enfermant », dit Ibrahim. « Mon objectif n’est pas de comparaître devant un tribunal », ajoute Anis. On le croit.

En fin de journée, ils sont ramenés à la prison de Meaux pour quatre mois. Les dommages et intérêts du propriétaire seront plaidés en audience civile le 14 mars prochain. D’ici là, Ibrahim et Anis auront disparu.

*Prénom modifié

Tribunal de Meaux : « Les psychotropes ? On en vend partout à Barbès ! »
Me Jean-Louis Granata, de permanence au tribunal de Meaux le 12 septembre 2022 (Photo : ©O. Horlans)

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