Tribunal de Meaux : « C’est mon mari, j’ai envie que ça s’arrange pour lui… »

Publié le 20/04/2023

Maigre, livide et en larmes, la victime de violences à répétition n’en finit pas d’excuser son conjoint. Selon elle, « tout » serait sa faute, ou celle de l’alcool. « Tout », soit les coups qu’elle encaisse et le placement en foyer de ses enfants pour les protéger de Illies, leur beau-père. Lequel a fui le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) pour échapper à la prison.

Tribunal de Meaux : « C’est mon mari, j’ai envie que ça s’arrange pour lui… »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

La scène échappe aux magistrates de la 4e chambre correctionnelle, la juge unique Amandine Retourné et la procureure Louise Sahali. Elle se déroule à l’extérieur, devant le palais de justice de Meaux. Il est 18 heures. Tandis que la présidente délibère, que la parquetière relit le dossier suivant, Illies, prévenu de violence sur son épouse, en récidive légale, console Julia*. Il la serre contre lui, promet que « ça ira », l’embrasse, s’enfuit. Trente minutes plus tôt, Louise Sahali a requis contre lui 18 mois de prison avec mandat de dépôt, soit l’incarcération immédiate. Au fil des débats, il a deviné que la sanction serait sévère. Aussi a-t-il choisi de s’y soustraire.

Lorsqu’il est rappelé à la barre à 18 h 42, Julia s’approche à sa place, excuse ainsi son absence : « Il m’a dit “je vais prendre l’air” et il n’est pas revenu. » La victime ment car elle l’aime et le couvre encore.

L’affaire jugée ce mercredi 19 avril devant la chambre dédiée aux violences conjugales et intrafamiliales révèle la force de l’emprise que peut avoir un homme sur une conjointe maltraitée. Julia pardonne les coups ; pire : elle oublie qu’elle a perdu temporairement la garde de ses deux jeunes enfants à cause des fessées que leur administrait Illies, 34 ans, solide gaillard en blouson noir. La procureure aura beau insister sur le statut de victime de Julia, les dangers encourus, elle n’en démordra pas : c’est sa faute.

« Fille de pute, je vais cramer la maison ! »

 Le dossier est d’une affligeante banalité ; un parmi d’autres dans le ressort de la juridiction : les plaintes pour violences intrafamiliales ont augmenté de 82 % en cinq ans. Lors de la rentrée solennelle, la présidente du tribunal judiciaire, Catherine Mathieu, avait d’ailleurs annoncé qu’une journée par semaine leur serait consacrée (notre article du 20 janvier ici).

Ce mercredi, la juge Amandine Retourné, ancienne avocate, préside donc l’audience réservée. Avant d’inviter Illies à la barre, elle a observé le couple collé-serré. Depuis l’infraction commise à 1 h 15 le 6 décembre dernier, son contrôle judiciaire lui interdit de contacter Julia. Il l’enfreint, le reconnaît, jusqu’à admettre qu’ils « essaient d’avoir un bébé ».

La bagarre dans la nuit du 6 débute par une remarque de Julia à l’adresse de Illies qui s’enivre devant un film porno. Il balance une table, la cafetière, le balai, la poursuit, l’insulte : « Fille de pute, je vais cramer la maison ! » Alerté par les cris, le frère de Julia sort de sa chambre et assiste à la scène : Julia tentant de s’échapper, rattrapée et battue dans l’ascenseur. Sept mois auparavant, un an après leur mariage, elle avait pris des coups de pied, de poing, il l’avait bloquée en la tirant par les cheveux.

Le 6 décembre, la police intervient. Julia est blessée au visage mais refuse de se faire examiner à l’unité médico-judiciaire. A priori, elle a déjà pris la décision de ne pas charger son homme.

« Elle m’incite à la violenter »

 Grande, pâle, vêtue d’une robe en laine gris clair qui souligne sa maigreur, la jeune femme à l’épais chignon noir n’a pas changé d’avis. « Je n’accepte pas sa consommation d’alcool, alors ça dégénère », dit-elle, évoquant « des violences réciproques ». Elle aussi confirme qu’ils continuent de se voir en dépit des interdictions, elle a déchiré la procédure de divorce, veut recoller les morceaux : « C’est mon mari, j’ai envie que ça s’arrange pour lui. Je me suis engagée en l’épousant. » Sa bouteille de Badoit vide passe d’une main à l’autre, elle l’écrase nerveusement, le public sursaute.

Louise Sahali, stupéfaite : « Madame, vous êtes la victime ! Vous n’assurez ni votre défense ni celle de vos enfants placés, à qui vous devez protection. Je suis procureure spécialisée, je sais comment tout cela peut se terminer : vous pouvez être tuée ! » Les propos de la représentante de la société, loin de se vouloir moralistes, tentent de déciller les yeux de la femme en pleurs. « Aucun juge ne fera revenir vos enfants dans un foyer dangereux. Avez-vous conscience de ce que vous avez subi ? Et si votre frère n’avait pas été là ? » Julia : « Je peux frapper mon mari pour me défendre. »

Place à Illies. Il avoue « un mouvement d’humeur, une accumulation, une explosion. Je l’ai maîtrisée pour qu’elle se calme ». La table, la cafetière, le balai, oui, tout a volé mais il faut le comprendre : « Le dimanche, c’est mon seul jour de repos. Elle jouait à la Play Station, j’étais devant mon film, je voulais qu’elle me laisse tranquille. C’était une prise de tête. »

Pour « justifier » les disputes récurrentes, au point que la justice a privé la mère de ses petits, il fournit cette explication : « C’est parce qu’elle m’incite à la violenter. » S’agissant des coups assénés sept mois plus tôt, quand elle lui reprochait de l’avoir trompée, sa défense laisse encore plus perplexe : « Je l’ai frappée en prévention. »

« Un cheminement très inquiétant de part et d’autre »

Aux magistrates qui tentent de lui faire prendre conscience de ses actes, il oppose des variations sur le même thème : « Il y a de la provocation de sa part » ; « elle s’énerve vite, elle me tape aussi » ; « elle a des marques parce qu’elle vient au contact. » Pour la première fois, Julia se rebiffe : « Je n’allais pas au contact, je fuyais ! » Aurait-elle compris qu’elle est victime ? « Je me suis engagée », redit-elle. Elle refuse de se constituer partie civile, veut lui « redonner une chance ».

Soit. Par conséquent, seule la justice peut protéger cette mère et ses enfants d’un homme 17 fois condamné pour des violences, parfois accompagnées de vols, emprisonné huit mois pour des coups portés à son ex-compagne. Le parquet considère qu’il s’agit d’un « dossier extrêmement alarmant » et déplore « un cheminement très inquiétant de part et d’autre ». La semaine dernière, alertée que Illies était avec Julia, Louise Sahali a failli demander son incarcération. « La situation d’emprise est bloquée, poursuit-elle, elle adhère à son discours. » Aussi, pour que cesse « la violence continuelle », « afin de protéger les enfants » faisant l’objet d’une procédure en cours, la procureure requiert 18 mois ferme, le mandat de dépôt, l’interdiction de contact jusqu’en 2026. Elle sollicite aussi qu’en cas de décès de Julia, Illies ne bénéficie pas de la pension de réversion. Une mesure rare.

« La prison n’est pas la solution, objecte le prévenu sans avocat. Je ne suis pas agressif. » Ses antécédents prouvent le contraire. Surtout, son attitude à l’audience a démontré son absence de remise en cause. Il est condamné à un an de prison ferme, sans aménagement, à deux ans sans contact avec Julia, et pas de pension si elle venait à mourir. Le jugement exécutoire n’est pas assorti du mandat de dépôt à la barre. Illies n’en a cure, il est déjà loin.

* Prénom modifié

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