Tribunal de Meaux : « Dans sa cellule, il parlait à quelqu’un d’invisible »

Publié le 13/12/2024

Schizophrène, David* répond de violence et harcèlement moral contre son père. Lequel, comme sa femme, dit « ne plus rien pouvoir » pour ce fils « agressif, injurieux et menaçant ». Au fil des débats, il apparaît que les parents ont surtout envie « de se débarrasser » du jeune malade, que « les faits ne sont pas correctement caractérisés », et que l’altération des responsabilités doit être prise en compte.

Tribunal de Meaux : « Dans sa cellule, il parlait à quelqu’un d’invisible »
Salle des pas perdus du tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

Élégamment vêtu, extrêmement poli, le jeune homme semble très éloigné du portrait de fou furieux qu’a dressé son vieux père de 78 ans. Le prévenu assure « être stabilisé », « en pleine possession de [ses] moyens ». David*, 26 ans, reprend ses médicaments pour traiter sa schizophrénie. Il a même retrouvé du travail. Diagnostiquée depuis plusieurs années, sa pathologie mentale l’a conduit à être hospitalisé sous contrainte en psychiatrie durant 18 mois. À sa sortie, il avait perdu son emploi et s’est de nouveau installé chez son père, où l’atmosphère s’est vite révélée toxique.

Les faits de violence et de harcèlement reprochés se sont produits entre les 25 et 28 mai 2024. Placé en garde à vue, David a dû voir un psychiatre tant son comportement posait question. « Dans sa cellule, il parlait à quelqu’un d’invisible », rapporte le président Stéphane Léger. Le procès-verbal de la police de Meaux (Seine-et-Marne) mentionne aussi l’agitation de « Jordi », l’altération du discernement de « Jordi ».

« Qui est Jordi ? questionne Me Caroline Desré, avocate de David. Est-ce une erreur de plume ? Une confusion entre personnes ? » Elle préfèrerait « une expertise en bonne et due forme », et un renvoi du dossier « dans le respect du contradictoire ».

« Il m’a jeté au sol et a tenté de m’étrangler »

 En raison de deux congés maternité et de trois postes vacants au parquet de Meaux, le procureur de la République, Jean-Baptiste Bladier, soutient l’accusation. Il s’oppose au renvoi : « Si le nom [Jordi] peut être une source d’interrogation, le rapport du psychiatre est conforme à ce que l’on sait de monsieur S. Le tribunal peut statuer. » Les trois juges délibèrent, tombent d’accord : David est appelé à la barre.

Le président résume les événements de mai, tels que racontés par le père. D’abord les messages malveillants que ce dernier reçoit par téléphone s’il refuse de donner l’argent que réclame David, « 300 à 500 € par semaine ». Il traite son père de « salope », de « sale chienne », des insultes au féminin qu’expliqueraient des agressions sexuelles ; le prévenu ne s’étend pas.

Puis l’altercation du 28 est abordée : Monsieur va dans la chambre de son fils « qui fume du cannabis », ordonne de baisser le volume de la musique. « Il m’a saisi par le cou, m’a jeté au sol et a tenté de m’étrangler, indique-t-il à la police. Je l’aime énormément, c’est très dur de porter plainte contre lui, mais je n’ai plus le choix. » Il décrit un homme « agressif, injurieux et menaçant » si ses exigences ne sont pas satisfaites.

« Il faut retenir l’atténuation de ses responsabilités »

 Bien que « déconnecté à cette époque », David n’a pas la même version de l’algarade : « Mon père a surgi dans ma chambre, il m’a sauté dessus et je me suis dégagé. J’affirme que je ne me suis pas jeté sur lui ni ne l’ai frappé.  J’ai agi en légitime défense ! D’ailleurs, il n’a déposé plainte que plus tard, sur les conseils de ma mère. Depuis mon internement, les relations sont compliquées, avec mes parents. »

Quant au personnage invisible auquel il s’adressait en cellule, il dit ne pas s’en souvenir.

« Votre père veut que vous soyez pris en charge, explique M. Léger.

– J’entends… Je suis secoué par la situation », répond David, qui convient être sujet à des crises de paranoïa qu’accentue la consommation de drogue. « Pour mon entourage, c’est difficile. Pour moi aussi. »

Le procureur Bladier estime que, « dans une famille, les choses ne sont pas toujours blanc-bleu ». A fortiori celle-ci, frappée par une maladie ponctuée de crises aiguës dès l’interruption du traitement. Surtout, il regrette « que [son] parquet n’ait pas apporté d’éléments constitutifs de violence ». Aussi requiert-il la relaxe. Il sollicite également la requalification de harcèlement moral en harcèlement téléphonique. « Il faut aussi retenir l’atténuation de ses responsabilités », recommande-t-il, ainsi que « le temps très limité » de la prévention et « l’absence de condamnations antérieures ». Une amende de 1 000 € est requise, dont moitié avec sursis, et l’interdiction de contacter son père durant trois ans.

Me Caroline Desré souligne qu’on lui reproche finalement « deux SMS en trois ans de vie commune ! » : « Ses explications sont limpides, vous aurez compris que monsieur veut se débarrasser de son fils ! Primo-délinquant, il a respecté son contrôle judiciaire. Je demande une dispense de peine. »

Le tribunal suit les réquisitions. « Merci beaucoup », dit David. Il récupère son blouson et quitte, soulagé, le palais de justice.

 

* Prénom modifié

Plan