Tribunal de Meaux : « Dépenser le RSA dans le trafic de stups, vous trouvez ça juste ? »

Publié le 04/06/2024

Le premier prévenu planait tellement qu’on pouvait presque sentir les effluves de shit au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Les deux autres, qui comparaissaient après lui pour trafic de cannabis, ont démontré que la drogue « abîme très sérieusement les neurones », selon les termes de la présidente. L’un utilisait son revenu de solidarité active pour acheter ; le second vendait sa « beuh » durant son arrêt maladie.

Tribunal de Meaux : « Dépenser le RSA dans le trafic de stups, vous trouvez ça juste ? »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

Il arrive que l’on envie le toupet des délinquants face aux magistrats. Celui de Boubekar, par exemple, qui admet sans sourciller dépenser les 953 € du RSA dans l’achat de demi-plaquettes de résine et cacher son stock chez sa voisine, à son insu. Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. La présidente Isabelle Florentin-Dombre, abasourdie : « Que signifie le sigle RSA ?

– Je ne sais pas.

– Revenu de solidarité active. Il vous est versé pour subvenir à vos besoins. Dépenser le RSA dans le trafic de stups, vous trouvez ça juste ?

– Non, mais c’était pour financer ma consommation personnelle. »

En gros, huit à neuf joints par jour, autant que Younès, prévenu du même délit. Le cousin de Boubekar comparaît bras droit en écharpe, des broches consolident sa fracture du poignet à cause de son sevrage depuis 15 jours, deux semaines avant leur procès, le 30 mai . « C’est dur, alors j’ai tapé dans le mur. » Sur les conseils de leurs avocats de Paris et Bobigny, ils disent regretter. Dans leur intérêt : Younès, en récidive, encourt 20 ans.

Son hash marocain, « c’est de la foudre nucléaire »

 Avant les cousins, s’était présenté Yassine, 19 ans, dans les vapes. Arrêté le 12 février, sous contrôle judiciaire, il ignorait que c’était à lui de contacter un avocat. Mains dans ses poches, il marmonne vouloir « un renvoi » pour se défendre de détention, vente et usage de cannabis, rébellion contre trois policiers. Il n’a pas de casier, personne ne s’y oppose, encore faut-il étudier sa situation. Que fait-il de ses journées ? « Rien. Je cherche un emploi. » Il a perdu le seul job exercé, pour absentéisme. Le pointage hebdomadaire ? Il s’en dispense. À quatre fois près. « Faux », balbutie-t-il. Zoé Debuse, qui représente le parquet, a les preuves sous les yeux. « Parlez dans le micro », répète la présidente. En vain. Yassine, dans le brouillard, est renvoyé chez lui, à son shit. Il promet d’être sérieux d’ici au 15 octobre.

Les cousins approchent, coude à coude. Vêtements noirs, barbe identique. Le bandage de Younès, 31 ans, les différencie. Magasinier en arrêt maladie depuis « au moins six mois », pour une fracture du pied puis du poignet, il ne nie pas le trafic : le réseau Snapchat l’a confondu. Un client, évoquant son « H marocain » : « Une dinguerie ! » Réponse de Younès : « Oui, c’est de la foudre nucléaire. »

La présidente : « Vous imaginez les conséquences sur des ados ?

– Ah non, je ne vends qu’à des amis !

– Vous êtes en conditionnelle après deux ans de prison, et ça ne vous a pas dissuadé de continuer ?

– Si, j’ai une femme enceinte, pas heureuse, et trois enfants qui pleurent… C’était pour arrondir les fins de mois.

– Vous êtes en arrêt de travail, donc indemnisé ?

– Oui… »

À l’évidence, les allocations familiales, l’aide au logement et son salaire ne suffisaient pas.

Les parents ignoraient le commerce de leur fils logé, nourri, blanchi

 En revanche, il semble certain que Younès n’est pas « une tête de réseau », comme l’a cru la police. Avant qu’il n’intègre un appartement de 80 m2, il vivotait avec sa famille dans un studio de 25 m2 « insalubre ». Aucun signe extérieur de richesse, 350 € saisis, dont 150 retirés à la banque par Madame (ils lui seront restitués). Boubekar, lui, n’était guère mieux loti en dépit des 60 grammes confisqués chez la voisine de ses parents. Ils ignoraient tout du commerce de leur fils de 29 ans, logé, nourri, blanchi, et bénéficiaire du RSA : « Je fume en cachette, j’asperge ma chambre de parfum. »

Comme son cousin, il assure se sevrer : « Je suis à deux joints par soirée. » Si Younès vit difficilement l’arrêt de la fumette, jusqu’à défoncer un mur, Boubekar s’en accommode. Aucune analyse biologique ne corrobore leurs bonnes résolutions.

Tant la présidente que la procureure essaient de les responsabiliser. « Pour quelles raisons la drogue est-elle illégale ? », demandent-elles trois fois. Ils ne savent pas. Ni ne craignent les overdoses, les tueries entre gangs. Mme Florentin-Dombre en conclut que « la drogue abîme très sérieusement les neurones. Peut-être est-ce pour cela que vous ne savez pas répondre. Vous faites partie d’un réseau, avec des fournisseurs et des clients ! »

« Pas les mêmes ! », objecte Younès. Ce que confirme Boubekar, comme s’il y avait là matière à circonstance atténuante implicite, qui jure « rechercher un emploi dans à peu près tout. » Sans jamais trouver. Quant à la rébellion, il convient que « ce n’est pas bien, ça a été un réflexe.

– Vous n’aimez pas la police ?

– Non ! Enfin, si… »

« C’est vraiment le trafic le plus pourri du monde ! »

 Younès a été condamné trois fois, notamment pour trafic de drogue dure, le casier de Boubekar porte huit mentions, la dernière pour violence contre un policier. La procureure Debuse requiert un an avec un sursis probatoire de 24 mois à l’encontre de ce dernier ; 18 mois dont 12 ferme, possiblement aménageable sous bracelet s’agissant de Younès, le sursis probatoire d’une durée similaire. Exécution provisoire : les cousins devront donc se tenir à carreau jusqu’en juin 2026.

En défense de Boubekar, Me Nicolas Fondaneche plaide l’application plus appropriée, selon lui, de l’article 222-39  : « Il revendait seulement pour sa consommation. » Avançant qu’il n’a « ni collection de baskets ni Ferrari, qu’on est très loin du réseau », qu’il n’y a « ni somme colossale ni quantité faramineuse », il fait mine d’oublier que « les petits » dealers favorisent les gros trafiquants. Il espère « une juste peine pour lui, qui a arrêté l’école en CM2, et qui aide sa mère ».

Me Alice Becker est sur la même ligne : « Younès a senti le vent du boulet passer très près lors de son arrestation le 13 février, il a failli être incarcéré, il a eu un électrochoc. » Elle insiste sur le sevrage « compliqué », son désir de rentrer dans les clous « pour être libre à la naissance de leur 4e enfant », s’occuper des trois autres et de sa femme, présente à l’audience. Quant aux délits, elle les minimise : « C’est vraiment le trafic le plus pourri du monde puisqu’il ne pense pas à effacer ses messages sur Snapchat ! » À son tour, elle tente la carte de l’article 222-39.

Elle ne sera pas entendue. Le tribunal suit les réquisitions contre Younès – la partie ferme d’un an sera sous bracelet électronique. Les juges réduisent la peine de Boubekar à 10 mois, insistent sur ce que représentent deux ans de probatoire pour l’un et l’autre.

« Ça ne se reproduira plus », avaient promis les cousins durant les débats. Exactement ce qu’ils avaient juré devant les précédentes juridictions.

 

 

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