Tribunal de Meaux : Il agresse un passant « juste pour poster une vidéo sur TikTok »

Publié le 03/12/2024

Aux audiences d’échec de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, curiosité juridique méconnue, se présentent les délinquants qui ont refusé la peine proposée par le procureur ou qui ont négligé leur convocation. Comme Eddy qui, selon le rapport du président, a « plaqué un piéton contre un mur, lui a saisi le cou et arraché sa casquette Gucci » pour « faire le malin sur les réseaux sociaux ».

Tribunal de Meaux : Il agresse un passant « juste pour poster une vidéo sur TikTok »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Au tribunal correctionnel de Meaux, l’après-midi de jeudi 28 novembre est consacré aux « échecs de CRPC », la procédure de « plaider-coupable »  permettant de vite juger l’auteur d’un délit qui admet l’avoir commis. Elle s’applique aux infractions qui ne nécessitent ni investigations ni expertise, et se déroule en deux temps : le procureur propose une peine au prévenu à l’issue d’un entretien en présence de son avocat et, s’il l’accepte, elle est homologuée dans la foulée par un juge. Le délinquant peut aussi refuser la peine, préférant s’exprimer devant la formation collégiale, ou demander un délai de réflexion (dix jours).

Mais pour choisir entre ces trois options, encore faut-il se présenter, à date convenue, devant le parquetier qui a envoyé la convocation. Ce dont Eddy s’est dispensé. D’où sa comparution devant la 3e chambre, ce 28 novembre.

« Vous pensez que la victime a rigolé d’être attaquée de nuit ? »

 Eddy n’est pas seul dans ce cas, mais commençons par lui. Des collégiens, en classe de 4e, assistent aux débats et écoutent avec intérêt les déclarations du jeune homme de 19 ans qui, comme eux, évolue sur les réseaux sociaux. De TikTok, il a fait son second univers, le premier étant plus terre à terre : le grand garçon à petites nattes tressées, diamants aux oreilles, montre de luxe, est paysagiste. Il est aussi farceur.

Ainsi, avec un ami mineur, déjà jugé, il a été arrêté par la police municipale de Meaux. Le président Stéphane Léger raconte pourquoi : « À deux, vous avez plaqué un passant contre le mur, l’avez saisi par le cou, puis lui avez arraché sa casquette Gucci en le filmant sans son consentement. La caméra de vidéosurveillance a enregistré la scène. Vous reconnaissez les faits ?

– Oui. Je voulais faire une blague. C’était juste pour poster sur TikTok…

– Vous pensez que la victime a rigolé d’être attaquée dans la rue, à 19 h 48, alors qu’il faisait déjà nuit ?

– Non. Je regrette d’avoir fait ça.

– Donc, c’était juste pour faire le malin sur les réseaux sociaux ?

– Oui. »

Le vol est aggravé par deux circonstances – en réunion, avec violence – et le porteur de casquette est « un peu traumatisé ». Eddy, dont le casier est vierge, en semble fort marri.

« Le concept d’une blague, c’est de faire rire ! »

Célibataire, logé chez ses parents, il bénéficie d’un salaire enviable : 1 400 € grâce à son métier de paysagiste et 1 300 € de revenus mensuels générés par ses courts-métrages en ligne sur la plateforme chinoise. D’ailleurs, il y est si présent, si récompensé, qu’il dit vouloir s’y consacrer à plein temps : « Je vais arrêter de travailler pour écrire des séries.

– Des quoi ?

– Ben, des films. »

Les collégiens n’en reviennent pas. Assistent-ils à la naissance d’une star ?

La procureure Émeline Masia est moins enthousiaste : « Le concept d’une blague, c’est de faire rire ! Et je regrette le peu de réflexion à cette barre. » Elle requiert six mois avec sursis simple et un stage de citoyenneté, « à vos frais ».

« Quoi, je vais rentrer en prison six mois ? », s’inquiète Eddy, sans avocat. M. Léger explique la signification du sursis. Soulagé, le prévenu assure sa défense : « C’est la première et la dernière fois que je fais cette bêtise, je ne pensais pas que c’était si grave. Je ne suis pas un bandit, pas une personne méchante. Je suis gentil. Je suis désolé, je m’excuse auprès de la victime. »

Le tribunal réduit la peine à trois mois, confirme l’obligation de stage.

Eddy sursaute : « Quoi ? Je pars en prison ? Et le truc de citoyenneté, c’est quoi ? » Patient, le président fournit à nouveau des éclaircissements.

« Vous savez que, pour conduire, il faut un permis ? »

 Autre « échec de CRPC », qui concerne cette fois Jordan, 23 ans, longiligne, taille de basketteur. Il est contraint de courber ses deux mètres pour parler dans le micro. Dans le cadre d’une enquête pour vol aggravé (la procédure est en cours), il a été contrôlé au volant d’une voiture alors que son permis de conduire est annulé. « C’était une urgence, je venais chercher un colis », dit-il pour sa défense, sans avocat. « Vous savez que, pour conduire, il faut un permis ? Ce n’est pas une option ! J’insiste à l’égard des collégiens qui nous écoutent. »

Jordan, énervé : « J’ai pas réfléchi !

– Vous êtes mis en cause dans une autre affaire beaucoup plus grave, votre attitude ne joue pas en votre faveur… »

A fortiori quand son casier judiciaire révèle qu’il a déjà commis deux délits identiques, qui s’ajoutent à un défaut d’assurance.

« On a le sentiment qu’il s’en fiche », résume la substitute, qui requiert 80 jours-amende à 10 € et un stage de sensibilisation à la sécurité routière – à ses frais, sous astreinte de 1 000 € s’il ne l’effectue pas dans les six mois.

« Le permis, je vais le repasser ! », s’agace Jordan, en une « plaidoirie » de six mots. Le tribunal réduit les 80 jours à 70, ordonne le stage. Le jeune file en maugréant.

Les derniers « échecs de CRPC » sont vite réglés : ni Fousseyni, détenteur de 25 grammes de résine de cannabis et 5 grammes de cocaïne, ni Katarina poursuivie pour détention de deux carabines et d’un fusil à pompe, n’ont répondu présents à leur seconde convocation.

Ils sont respectivement condamnés à huit mois et un an de sursis simple.

 

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