Tribunal de Meaux. Il escroque sa banque, le fisc, l’Urssaf : tous ses biens sont confisqués
Les chiffres donnent le tournis : 606 015 euros par-ci, 206 478 € par-là ; la présidente du tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne) dresse le bilan comptable en lieu et place du prévenu, qui s’est dispensé de ses écritures comme de ses déclarations aux administrations. Elle liste aussi les « documents très bien falsifiés » que le couvreur de 45 ans a produits pour obtenir de sa banque un prêt de 164 000 €. Objet de saisies pénales, le patrimoine du suspect s’amenuise au fil de l’audience…
Gaston et Gaston ont choisi de se taire. Aux questions d’Isabelle Florentin-Dombre, qui préside la 1ère chambre dédiée ce jeudi 16 mai aux infractions économiques et financières, le père et le fils opposent leur droit au silence ; la loi les y autorise. Ils portent le même prénom, des vêtements noirs et sont râblés à l’identique ; pour un peu, on les confondrait. Seule différence notable : Gaston fils est pâle, renfrogné, quand Gaston père est souriant et bronzé. Mais ils ne parlent pas. Me Stephan Oualli, leur avocat inscrit aux barreaux de Paris et Montréal, justifie ainsi leur réserve : « Ils ont fait leur la devise de feue la reine Elizabeth II : “Never complain, never explain*.” » Les Gaston, qui appartiennent à la communauté des gens du voyage, n’ont surtout pas envie de s’auto-incriminer, ni d’étaler leurs affaires de famille en public.
Gaston fils « joue à la Play Station toute la journée »
Contre Gaston père, ont été retenus 11 chefs de prévention : escroquerie et faux en écriture, exécution de travail dissimulé, blanchiment (par trois fois à des dates différentes), réalisation de travaux sans assurance et pratique commerciale trompeuse. Son fils âgé de 22 ans n’est soupçonné « que » de blanchiment. Il a créé une entreprise dans les Hauts-de-Seine et ouvert un compte bancaire qui a servi à cacher de l’argent : 218 402 € à son crédit, 211 000 € débités – la différence est saisie. Le jeune s’était montré prolixe lors de sa garde à vue : « Je n’ai ni société ni compte, je ne travaille pas. Je me lève à midi, je joue toute la journée à la Play Station, je dors, je mange. Mes parents me donnent 500 à 1 000 € par mois. » Me Oualli l’exonère : « Il n’a rien su des affaires de son père. » La Rolex à 14 000 euros et le bracelet du joaillier Fred à 3 000 € qu’arborait le jeunot ? « Un cadeau à moi-même. » Financée comment ? Il ne s’en souvient pas. Les virements ou retraits qu’il a effectués, l’un de 12 000 € ? Aucune explication. Vu sa mine déconfite au procès, on est enclin à penser qu’il a été mêlé à l’histoire « à l’insu de son plein gré », comme disait Laurent Jalabert, le champion cycliste dopé.
Passons donc au paternel.
Faux bulletins de paie, faux relevés bancaires, faux avis d’imposition
Les faits les plus graves s’échelonnent de 2017 à 2023. Le parquet de Meaux les a découverts lors d’une longue enquête préliminaire confiée à la Police judiciaire et au Groupe interministériel de recherches du département. Le vice-procureur Pierre-Yves Biet, qui représente l’accusation ce 16 mai, est bien placé pour en expliquer l’origine ; c’est lui qui a suivi le dossier.
Lequel est ouvert à cause d’une dette impayée. En décembre 2011, la cour d’appel de Paris somme Gaston de démolir des constructions irrégulières sur son terrain. La chambre civile ordonne une astreinte pour chaque jour de retard. Puisque Gaston ne s’y plie pas, le montant grimpe au fil des ans, jusqu’à atteindre 80 000 €. L’administration fiscale, à laquelle le couvreur déclare 0 euro de revenu annuel, comme à l’Urssaf, flaire un coup fourré. C’est ainsi que la PJ et le GIR sont désignés.
Les enquêteurs établissent que Gaston s’est offert une maison avec un prêt de 164 000 € souscrit auprès de LCL (le Crédit lyonnais). Par quel miracle ce malheureux autoentrepreneur sans le sou l’a-t-il obtenu ? Grâce à « des faux très bien faits », indique la présidente Florentin-Dombre. Des fausses fiches de paie, des faux relevés bancaires, un faux avis d’imposition. « Très bien falsifiés », insiste la juge, presque étonnée par leur qualité. La banque n’y a vu que pouic. En garde à vue, Gaston père s’est expliqué : « Je ne sais ni lire ni écrire, j’ai engagé un courtier, j’ignore ce que j’ai signé. » Au LCL, on dément toute intervention d’intermédiaire.
Jusqu’à 11 ouvriers du bâtiment non déclarés
Le vice-procureur Biet a sa petite idée. S’il n’affirme pas, faute de preuves, que le couvreur est le faussaire, il indique que deux frères du prévenu ont perpétré des délits similaires selon le même mode opératoire. La famille a donc un artiste à sa disposition. Mais poursuivons : Gaston père s’est aussi ouvert plusieurs autres comptes bancaires, dont un en Allemagne, afin de faire voyager son argent en relative sécurité. Les sommes qui y ont transité sont faramineuses. Le tout sous le nez du fisc et de l’Urssaf. Exemples : en 2018, 152 694 € de chiffre d’affaires passés à l’as ; en cinq ans, 558 715 € (en chèques) et 47 300 € (en espèces) encaissés à la faveur de chantiers. Du côté des impôts, on chiffre à 129 969 € la seule fraude fiscale aggravée commise en Allemagne. On pourrait continuer, mais les montants s’accumulent ; on est saisi de tournis. Et Gaston père sourit.
Passons à la provenance d’un tel butin. D’abord, le couvreur a employé 11 ouvriers du bâtiment jamais déclarés – des hommes qui risquaient leur vie sur des toits. Ensuite, il ne payait aucune assurance, ni pour ses salariés ni pour ses clients – l’un d’entre eux s’est d’ailleurs constitué partie civile car il a versé 7 200 € d’acompte pour une réfection non honorée. Enfin, il louait un terrain à un concessionnaire, 3 100 euros mensuels tombaient au fond de sa poche – « une centaine de milliers d’euros au total », précise M. Biet. Lequel a fait saisir ledit terrain, en sus d’un autre situé sur la commune Le Pin, plus le pavillon, la BMW, la Rolex, le bracelet Fred et 6 000 € oubliés sur un compte. Gaston père garde toutefois (pour l’instant) ses terres à La Baule et sa Mercedes.
« De la délinquance astucieuse par un homme qui se dit “limité” »
Les avocats des parties civiles se succèdent à la queue leu leu, association, clients floués ou trompés, la banque LCL, l’inspectrice audiencier chargée de réclamer 206 478 € dus à l’Urssaf. Puis le vice-procureur Biet s’attaque à « la multiplication des infractions qui caractérise ce dossier », à « l’appât du gain » du père « qui a largement fraudé », « du fils qui est allé à bonne école ». « Nous avons affaire à de la délinquance astucieuse par un homme qui s’est dit “assez limité” en garde à vue. » Dans une anaphore introduite par la formule « il sait parfaitement », il enchaîne : diluer, tromper, ne pas attirer l’attention, etc. Il déplore « l’atteinte à l’ordre public économique ». M. Biet requiert 36 mois de prison dont 18 avec sursis probatoire de deux ans contre le père, l’interdiction de gérer une entreprise durant dix ans, le paiement des sommes dues. Contre le fils : six mois de sursis simple. Et la confiscation des biens saisis aux deux prévenus.
Me Stephan Oualli, qui avait déposé des exceptions de nullité pour tenter de sauver ses clients (elles seront rejetées), objecte que Gaston père « n’est pas si intelligent que cela, sinon il n’aurait pas agi ainsi. Je veux tempérer le caractère machiavélique du personnage dépeint par M. le procureur. En réalité, ses astuces étaient très grossières, ce sont des magouilles à la petite semaine. Il sera condamné, il paiera, mais ne le voyez pas plus beau qu’il ne l’est ». Quant au fils, « il ne peut pas payer les fautes de son père ».
À l’issue d’un délibéré de 90 minutes, la présidente et les juges assesseurs condamnent les Gaston. La peine du père est réduite à 24 mois, dont 12 à effectuer sous bracelet électronique. Les autres réquisitions sont suivies, y compris leur exécution provisoire, qu’ils fassent appel ou non. Il reviendra au couvreur d’indemniser les parties civiles et de s’acquitter des créances. Isabelle Florentin-Dombre lui rappelle que « plein de Français travaillent loyalement », que les impôts et les cotisations « bénéficient à la collectivité, à tout le monde, à vous aussi ».
Gaston père opine. Gaston fils semble totalement perdu.
* Ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier, conseil hérité de la reine Victoria (1819-1901)
Référence : AJU439154