Tribunal de Meaux : « Il n’a pas agressé le policier, il lui a juste craché dessus ! »
Au tribunal correctionnel, l’audience de comparution immédiate est une scène d’exposition des violences du quotidien, mais aussi de la misère sociale. Comme ce vendredi à Meaux (Seine-et-Marne). Il y a Johan dont l’odeur d’alcool empeste le prétoire, Cristian qui dévalise Leroy-Merlin pour nourrir sa famille en Roumanie, puis Farid qui agresse un policier et un garde-champêtre.

Instituée en 1983 et réformée plusieurs fois (la version en vigueur date du 24 décembre 2020), la procédure de comparution immédiate permet, sous conditions, de juger un prévenu à l’issue de sa garde à vue lorsque les délits sont clairement établis, ne nécessitant pas la poursuite de l’enquête ou l’ouverture d’une instruction. Le parquet saisit le tribunal correctionnel qui « audience » le procès. Avec un avocat fréquemment commis d’office, à la barre ou détenu, le suspect a le choix : répondre sur-le-champ des faits reprochés ou solliciter un délai pour préparer sa défense.
Johan choisit la seconde option. Pantalon de treillis et chemise hawaïenne, l’homme de 35 ans, condamné le 10 mai dernier pour violences envers son grand-père qu’il a interdiction de voir, n’a pas respecté ses obligations : il s’est introduit chez lui par effraction. À l’arrivée des policiers, il les a traités de « tête de mort », de « fils de pute », s’est débattu ; tout s’est mal terminé. Outre l’aïeul, quatre fonctionnaires ont déposé plainte.
« Vous sentez tellement l’alcool que l’odeur arrive jusqu’à moi »
Si Johan a opté pour une comparution à délai différé, c’est sans doute grâce aux conseils avisés de son avocat, Me Jean-Louis Granata. Ayant échangé avec lui dans les geôles, le défenseur a constaté que son client aux cheveux ébouriffés avait les idées embrouillées. Il n’était pas capable de fournir des explications cohérentes. Le renvoi est acté. La juge Florentin-Dombre le somme « de ne plus retourner chez [son] grand-père » et de consulter un addictologue. Le procureur Éric de Valroger : « Et je me permets d’insister sur l’utilité des soins que l’on vous a ordonnés car vous sentez tellement l’alcool que l’odeur arrive jusqu’à moi. »
Johan admet qu’il a « un peu bu », s’en excuse, promet de revenir dans un mois, file en titubant.
Lui succède Cristian, cette fois sous escorte. Le Roumain, âgé de 34 ans, a été interpellé lors d’un troisième vol chez Leroy Merlin à Chelles. Les deux premiers, commis en septembre, ont rodé le mode opératoire. Cristian et deux compatriotes achètent des poubelles qu’ils remplissent d’outillages. Ils passent en caisse, ni vu ni connu. Étonnant que les articles cachés ne déclenchent pas d’alarme. Coût de l’investissement : 150 € la poubelle. Préjudice du commerçant, selon un premier bilan : 7 113 €.
« Vous auriez pu ouvrir un magasin de bricolage ! »
Cristian fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français depuis le 9 septembre. Il dit avoir accepté l’OQTF, sans l’exécuter. Pire, se sachant indésirable dans l’Hexagone où il est arrivé en 2009 et y travaille au black, il a multiplié les condamnations et perpétré trois délits après que le préfet lui a notifié l’ordre de rentrer au pays. Isabelle Florentin-Dombre :
« En perquisition chez vous, on a découvert une caverne d’Ali Baba. Vous auriez pu ouvrir un magasin de bricolage. Où sont tous les autres outils ?
– Je les envoie en Roumanie pour ma famille.
– Comment payez-vous les poubelles à 150 € ?
– En travaillant dans le bâtiment.
– Vous êtes déclaré ?
– Non. »
Le procureur requiert huit mois ferme et son maintien en détention.
Me Marcel Baldo défend Cristian. L’avocat s’emporte : « Ses complices ont bénéficié d’une procédure de reconnaissance de culpabilité, ils ont été sanctionnés par 35 heures de travail d’intérêt général ! Et là, vous réclamez pour lui huit mois de prison ferme ? Je trouve cela injuste. »
Le tribunal réduit la peine de deux mois, confirme l’incarcération, interdit sa présence en Seine-et-Marne durant trois ans, le déclare responsable du préjudice qui sera affiné d’ici à l’audience civile du 8 avril.
« Comment j’aurais sorti une gazeuse alors que j’étais menotté ? »
Arrive enfin Farid, lui aussi sous escorte. Violences aggravées sur policier municipal, sur garde-champêtre, menace de mort, outrage, rébellion, déjà condamné. « Madame la présidente, je vais être franc, je ne m’en rappelle pas. J’étais très alcoolisé. » Le Montreuillois de 56 ans paraît chétif sous un tee-shirt kaki, bras nus croisés sur sa poitrine, qui le fait souffrir. « Il a fait deux infarctus, précise Me Granata, toujours de permanence. Il a arrêté le travail en 2018, est asthmatique, a des problèmes d’alcool, d’élocution. »
Le jeune policier présent, partie civile, ne l’a pas trouvé si malade lorsqu’il les a attaqués : « Il nous a mis des coups de pied, nous a craché au visage, nous a menacés d’une bombe lacrymogène.
– Faux ! Comment j’aurais sorti une gazeuse de ma poche alors que j’étais menotté ?
– C’est lors de la fouille au commissariat. On l’a démenotté. »
Le ministère public écarte la rébellion « mal caractérisée ». Mais la gazeuse était bien en sa possession, « les violences graves envers les victimes sont avérées ». M. De Valroger requiert neuf mois de prison dont six avec sursis probatoire de deux ans, le mandat de dépôt immédiat, des soins, un travail « dans la mesure de vos capacités », l’interdiction de paraître à Villeparisis pendant cinq ans ( lieu de l’altercation), l’indemnisation des victimes.
Me Granata et son élève avocate minimisent les délits : « Il n’a pas agressé le policier, il lui a juste craché dessus ! En situation de faiblesse, il a besoin d’être médicalement suivi, sa place n’est pas en prison. Il n’a plus eu affaire à la justice depuis 2015, il est éligible à un sursis, qui sera suffisant ».
Les juges en conviennent : Farid est relaxé de rébellion, écope de dix mois de sursis probatoire d’une durée de deux ans. Il devra se soigner, avec un psychologue et un addictologue, ne plus reparaître à Villeparisis, et verser 300 € au policier présent. Lequel exprime sa reconnaissance.
Quant à Farid le souffreteux, il remercie, heureux à l’idée de reprendre son traitement dont il a été privé durant 48 heures.

Référence : AJU476337
