Tribunal de Meaux : « Il n’est pas le gros beauf aviné qui roue de coups sa compagne ! »
Jean en convient : « Avec l’alcool, je deviens con. » Ainsi explique-t-il la raclée infligée à la mère de sa fille le 24 août. Problème : le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) révèle qu’il a déjà été condamné trois fois pour violence conjugale et passe outre l’interdiction de voir sa femme. « C’est fâcheux », commente le président.
Sylvie*n’assiste pas aux débats qui se tiennent, ce 29 août, en chambre des comparutions immédiates. Le tribunal ne dispose que de sa plainte et d’un rapport de l’unité médico-judiciaire où elle a été accueillie dans la nuit du mercredi précédent. Le légiste lui a accordé quatre jours d’arrêt de travail après avoir constaté « la trace d’une tentative d’étranglement et un grand traumatisme ». Aucune mention du coup au visage qu’elle dit avoir reçu. Qu’importe, elle a bien été brutalisée ; Jean le reconnaît.
L’affaire, examinée à partir de 21 h 20, pourrait être vite bouclée si l’homme de 26 ans, un grand balèze à barbichette pointue, avait commis un fait isolé sous l’empire de l’alcool qui le rend « con », comme indiqué plus haut. Là, au fil de l’étude du dossier, on apprend qu’il a été condamné en 2018, 2019 et 2020 pour violence sur Sylvie, mère de leur fille de quatre ans. « Jusqu’à présent, la justice vous a fait pas mal de fleurs », note le président Servant, allusion aux peines de sursis qui ont réprimé son comportement.
« Je n’allais pas jeter ses vêtements dans la cambrousse ! »
« Jusqu’à présent ». La locution adverbiale sonne le glas de l’espérance. Si le prévenu paraît ne pas saisir l’avertissement, son défenseur parisien, Me Éric Najsztat, appréhende aussitôt l’ampleur de la bataille qui s’annonce. Ainsi qu’il l’admettra, « l’air du temps » contraint la justice à la fermeté – « et c’est normal » – dans le traitement des délits de cette nature. En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur mari ou compagnon.
Le juge interroge Jean sur l’origine de la dispute du 24 août à Bussy-Saint-Georges. « – Parti à vélo, j’ai rencontré un copain qui a proposé de sortir. J’ai demandé l’autorisation à ma compagne qui m’a fixé un couvre-feu. De retour à minuit passé, elle n’était pas à l’appartement, ma fille non plus. Je l’ai appelée, elle a dit se trouver chez sa mère. Je n’y ai pas cru.
– À la base, c’est une histoire de jalousie ?
– Oui, on peut dire ça. Mais j’avais bu un litre de rhum… Je me suis énervé à son arrivée. Je l’ai un peu bousculée mais le coup au visage, c’est faux.
– Et ses affaires que vous avez mises dehors ?
– Faux ! Je n’allais pas jeter ses vêtements dans la cambrousse ! »
La procureure Léa Dreyfus : « – Qu’a-t-elle pu ressentir ?
– De la peur… De la terreur. Là, j’ai la tête complètement claire donc je sais que c’est horrible. »
« Je ne suis pas du tout d’accord pour retourner en prison ! »
Dans la salle, sa mère se tient tête basse, regard rivé sur ses mains croisées, ses ongles vernis, sa jolie robe orange. Elle est arrivée à 13 h 30 et n’a depuis cessé de souffrir en imaginant le sort réservé à son fils adoré, écroué le 25 août. Combien de fois l’a-t-elle entendu s’excuser de la sorte ? Veuve, chef d’entreprise, elle se démène pour le responsabiliser. Bachelier, travailleur, il est néanmoins tombé pour braquage, quatre ans de prison dont dix-huit mois de sursis probatoire, puis excès de vitesse et délit de fuite. Et le voici accusé de violence en récidive sur conjoint alors qu’il est en conditionnelle, sous le coup d’une mise à l’épreuve, d’interdiction de contact avec Sylvie et de 120 jours-amendes non réglés.
« – C’est fâcheux. Vous avez conscience que l’on ne peut pas multiplier à l’infini les sursis, que vous risquez l’incarcération ?
– Ah mais je ne suis pas du tout d’accord pour retourner en prison ! »
La procureure Dreyfus « ne lui accorde aucune confiance » : « Ils revivent ensemble, la justice l’a rappelé trois fois à ses obligations, et il ne s’est pas présenté au rendez-vous avec le conseiller de probation. » Elle requiert 20 mois ferme (dont la révocation d’un sursis), le maintien en détention et la privation de contacts avec sa compagne durant trois ans.
« Je connais madame, parfois noble, parfois dégueulasse »
Me Éric Najsztat s’avoue « perplexe » : « Le parquet se prête à la caricature d’un homme violent, d’une femme soumise. Il n’est pas le gros beauf aviné qui roue de coups sa compagne ! Je veux nuancer », plaide l’avocat. « J’ai un avantage sur vous, je le connais, j’ai toujours été à son côté. Je vais être très cash et très clair : je connais également madame, parfois noble, parfois dégueulasse. C’est elle qui est revenue vers lui. » Il estime la relation entre ces deux-là « conjugalo-pathologique », s’oppose à la vision manichéenne des faits.
Sa tâche est rude, il a contre lui le casier judiciaire de son jeune client. Il ne désarme pas, insiste sur « la lucidité et la bienveillance des juges » qui ont prononcé les autres sentences et qui « l’ont pensé rattrapable. Il vous faut trouver un équilibre », conclut-il. Jean prend la parole en dernier : « Même si elle n’est pas à l’audience, je lui présente mes excuses. Je regrette. Et je demande pardon à ma mère. »
A 23 h 10, le président sermonne le prévenu : « Disons-le franchement, cela ne va pas du tout ! Vous suivez les actualités ? Vous savez que des femmes meurent sous les coups de conjoint ? » Jean opine, ploie sous la sanction – équilibrée : un an ferme, retour ce soir en cellule. « Vous ne pourrez plus voir madame jusqu’en 2025, mais votre fille, si. Votre mère sera le relais entre elle et vous, compris ? »
« Oui », marmonne Jean tandis que l’escorte le menotte.
Dix minutes plus tard, la maman est assise dehors, sur un plot. Elle pleure. Me Najsztat la console en soustrayant les réductions de peine.
*Prénom modifié
Référence : AJU316228