Tribunal de Meaux : Un jeune homme piégé par de gros trafiquants de drogue

Publié le 17/12/2021

Sans son avocat, Léo* aurait peut-être été condamné à sept ans de prison, la peine requise. Ce jeune homme naïf, une proie idéale pour les réseaux de stupéfiants, a été arrêté alors qu’il convoyait en région parisienne, à son insu, 286 kilos de cannabis. Il n’a balancé ni le commanditaire ni le destinataire.

Tribunal de Meaux : Un jeune homme piégé par de gros trafiquants de drogue
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 En ce mercredi 15 décembre, marqué par une mobilisation historique des magistrats, greffiers et personnels de greffe contre la dégradation de leurs conditions de travail, soutenus par de nombreux avocats (notre article ici), le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) s’active dans le calme. Aucune robe noire devant le palais de justice à midi. Et l’audience débute comme prévu à 13h30. Léo pénètre dans le box des prévenus.

C’est un beau jeune homme à peine sorti de la post-adolescence. Son doux sourire apparaît lorsqu’il tombe brièvement le masque pour envoyer des baisers à sa mère, à sa femme, assises à trois mètres de lui. Il a l’air empoté entre les policiers, étonné de l’attention qui lui est portée : jamais il n’avait été escorté dans une enceinte judiciaire. Excepté deux infractions au code de la route, il est « un primo-délinquant en la matière », reconnaîtront les juges. En l’espèce, la « matière » pose un problème : il encourt dix ans de prison pour la supposée acquisition de 286 kilos de drogue, et la détention puis le transport, avérés.

Une possible plainte pour faux en écriture publique

 On le voit pour la 2e fois. Le 26 novembre, après son arrestation à Pontault-Combault, Léo allait être jugé en comparution immédiate. Ouvert à 20h50, le dossier avait été refermé en 35 minutes. Me Anissa Righi, suppléant Me Thierry Chamon, avait soulevé une nullité de poids : le procès-verbal N° 3, que mentionnait la représentante des douanes, était introuvable. Devait y figurer la mention que ses droits à prévenir sa femme et à communiquer avec sa mère lui avaient été refusés. L’avocate sollicitait donc l’annulation de la procédure.

Juges, procureur, greffière s’étaient mis en quête dudit PV ; en vain. « Une procédure incomplète, c’est fâcheux ! » avait conclu le président, priant le ministère public de « contrôler sa complétude sous quatre jours » avant de renvoyer l’affaire au 15 décembre.

Ce mercredi, donc, le PV N°3 a réapparu. Toutefois, il reste un écueil : Léo jure qu’on ne le lui a pas soumis et que la signature en pied de page n’est pas la sienne. Même sans être graphologue, on relève une différence. Peut-être la main du suspect a-t-elle dérapé ? « Tout est possible, y compris que mon client dépose plainte pour faux en écriture publique » », indique Me Thierry Chamon. La juriste de la Douane s’insurge : « C’est une allégation extrêmement grave ! » Le crime est passible de 15 ans de réclusion.

Le procureur-adjoint Éric de Valroger, qui prendra sa retraite le 1er janvier, promet que s’il y a plainte, il diligentera l’enquête : « Mais si d’aventure il n’y a pas de faux, vous serez poursuivi pour dénonciation calomnieuse. » Quant aux droits de Léo durant la rétention douanière, « ils ont été différés après accord du parquet, pour éviter la fuite d’éventuels complices ».

« Et si, dans les sacs transportés, il y avait eu un cadavre ? »

Une heure s’est écoulée lorsque le président Guillaume Servant résume le rapport des douaniers. Une minute suffit : lors d’un contrôle aléatoire du fourgon loué que conduit Léo, ils découvrent dix cabas contenant 286 kilos de cannabis. Sur PV, il déclare avoir été « engagé par un intermédiaire » pour convoyer des cigarettes de contrebande entre la frontière allemande et Paris. Sa rétribution ? 250 euros à l’aller, 250 à la livraison. Déjà de cela, avoir pris part à un trafic, il n’est pas fier. Léo regrette.

Sur la route, son téléphone fourni a appelé un numéro. L’échange a borné au même endroit : selon les fonctionnaires, une « ouvreuse » le précédait, comme dans tous trajets “go fast”, même si l’hypothétique véhicule de tête n’a pas été intercepté. A la vue de son chargement, dont il n’a pas senti les effluves à cause de la Covid-19 qui l’a privé d’odorat (ce qu’il oubliera de préciser au tribunal), Léo réalise qu’il a été piégé.

Le juge, dubitatif : « – Vous n’avez pas cherché à savoir ce qu’il y avait à l’arrière du fourgon ?

– Non, j’avais confiance. Je me suis fait avoir.

– Et si, dans les sacs transportés, il y avait eu un cadavre ?

– Pareil. Je me serais fait avoir. Je faisais quelque chose de pas bien, je l’ai avoué, mais de la drogue… Même livrer trois kilos, j’aurais tremblé. »

Il paraît sincère. Et effaré de s’être montré aussi crédule.

« Pourquoi ne pas aider la justice à identifier le réseau ? »

Son histoire fait écho à mille autres, fréquemment jugées en Île-de-France. Le traquenard est classique : on repère un jeune, sans passé de dealer, qui veut gagner quatre sous. On lui sert un baratin et on lui offre une modeste rétribution pour qu’il ne s’imagine pas commettre un grave délit. S’il joue le curieux, fouille les sacs scotchés, il y aura des représailles. S’il est arrêté, silence radio en échange de la paix pour ses proches, localisés. Quant à la cargaison, elle est couverte par « le capital risque ».

Éric de Valroger : « – Pourquoi ne pas aider la justice à identifier le réseau ? Donner les noms de l’intermédiaire, du destinataire ?

– Je ne peux pas faire ça, Monsieur le procureur. Je ne veux pas balancer. » Léo a une famille aimante, honorable, travailleuse, il lui a déjà causé assez de peine, il ne va pas y ajouter la peur.

La juriste de la Douane déplore « qu’il n’ait pas coopéré », précise que la valeur marchande de la saisie est évaluée à deux millions, et sollicite une amende de 1,895 million. « On vous a choisi parce que vous avez le profil, vous n’avez jamais été mêlé à un trafic de stups », admet le procureur qui pourtant n’accorde « guère de crédibilité » à sa version. Il requiert sept ans de prison ferme et le maintien en détention.

« En comparution immédiate, il faut des certitudes »

 Me Thierry Chamon, avocat à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), est secoué par la hauteur de la sanction mais pas étonné. Deux jours plus tôt, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a annoncé la saisie de dix tonnes de cannabis et trois tonnes de cocaïne en Île-de-France entre le 1er janvier et le 31 octobre. La guerre est déclarée, tolérance zéro, consigne claire.

Cependant, il manque des preuves : « En comparution immédiate, il faut des certitudes. Vous avez retenu la prévention d’acquisition. Y a-t-il, dans ce dossier, quelque chose qui laisse imaginer que ce garçon bénéficie des sommes considérables pour acheter 286 kilos de drogue ? Il n’y a rien ! Je vous demanderai de le relaxer de ce chef. »

Autre question : « Où est la bande organisée, l’association de malfaiteurs ? Rien ne le relie à un trafic. Vous en êtes convenus, il est “primo-délinquant en la matière”, et je voudrais qu’on le juge à l’aune de ce fait unique. » Le défenseur apprécierait enfin « qu’on ne lui reproche pas de se taire. Vous le savez, s’il parle il se met en danger, il y aura des représailles. ». Thierry Chamon suggère « une peine mixte, une partie ferme assortie d’un sursis, et qui ne soit pas disproportionnée ».

Les juges délibèrent durant 40 minutes. La nullité est rejetée, le PV N°3 est provisoirement sauvé. L’acquisition est maintenue, le tribunal considérant qu’il a chargé les sacs dans le fourgon bien qu’aucun élément ne le prouve. « Vous n’êtes pas un lampiste ! » lui assène le président. Léo est condamné à cinq ans de prison dont 18 mois avec sursis, interdit de séjour en Île-de-France. Il devra régler 40 000 € d’amende douanière, avec une ristourne de 20 % s’il paie d’ici au 15 janvier.

Le juge se soucie de sa santé et l’assure qu’il sera soigné en maison d’arrêt. Léo est atteint d’une grave maladie, il n’en a pas fait état à l’audience au motif qu’elle n’excuse pas les faits. Il regarde sa mère, sa femme en pleurs. Elles approchent le box, sont priées de quitter la salle. Léo s’en va au côté de la policière qui l’a souvent réconforté d’un sourire.

*Prénom modifié

Tribunal de Meaux : Un jeune homme piégé par de gros trafiquants de drogue
Me Thierry Chamon à la sortie du palais de justice de Meaux, mercredi 15 décembre (Photo : ©I. Horlans)
X