Tribunal de Meaux : « Je suis en France pour travailler, mais pas déclaré »

Publié le 13/10/2022

Dans les juridictions d’Île-de-France, on constate un phénomène assez inquiétant : de plus en plus de prévenus exercent une activité « au noir » dans le bâtiment ou au bénéfice de sociétés américaines. Au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), des Moldaves en séjour irrégulier ont reconnu des vols afin d’améliorer leur salaire de misère.

Tribunal de Meaux : « Je suis en France pour travailler, mais pas déclaré »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 « Je bosse pour un Roumain. Il m’avait promis 1 200 euros par mois mais il ne m’a jamais payé, traduit l’interprète. Comme je n’ai pas de contrat… » Catalin, 22 ans, flotte dans son survêtement noir. Maigreur, pâleur. Signes caractéristiques de précarité. À droite, le chétif Vasile, 26 ans, est frigorifié dans sa doudoune sans manches. Sa compagne et leur bébé sont restés à Chisinau, capitale de la Moldavie. « Je suis en France pour travailler, mais pas déclaré », indique-t-il. Il trouve cela « normal, sans titre de séjour ». Il « effectue des allers-retours » entre ses pays d’accueil et pays natal, déjoue les contrôles aux frontières.

À gauche du box vitré, se tient Lurie, 49 ans, marié, père de trois enfants. Il assure être arrivé à Paris six jours avant sa comparution devant la 1re chambre correctionnelle, le 7 octobre. « Je fais le taxi pour Uber. Je me suis inscrit sur le compte d’un ami français », précise-t-il. Méthode répandue. L’entreprise américaine ne vérifie pas.

Trois BMW délestées de leur équipement technique

 Catalin et Vasile sont prévenus de vol aggravé par deux circonstances (la réunion, les dégradations) et recel commis à Claye-Souilly et Chelles les 4 et 5 octobre. Le second est en récidive légale. Lurie ne répond « que » de recel de rétroviseurs, volant, autoradio, airbag, console centrale avec écran tactile, et d’un vélo. Le tout soustrait dans trois BMW, dont une garée dans l’allée clôturée d’une famille. À la barre, le père dit avoir « eu très peur. Ils se sont permis d’entrer chez nous. On s’est sentis très… vulnérables ».

Lors d’un contrôle de police à 3 h 50 pour un changement de direction sans clignotant, Catalin et Vasile déclarent d’abord avoir trouvé « les objets au bord d’une route ». À l’audience, ils reconnaissent les vols et destructions. Lurie, lui, s’affirme innocent : « Ces clients m’ont appelé vers 2 h 30. J’ai vu le vélo, le reste était dans des sacs à dos. C’étaient des co-nationaux, je leur faisais confiance. On n’a même pas discuté du prix de la course. »

Le président Servant : « – Vous parcourez 30 kilomètres entre Montreuil et Claye-Souilly en milieu de nuit dans une auto empruntée, vous rabattez la banquette pour entasser le matériel et vous ignorez combien vous serez payé ? C’est très étrange…

– Je les connaissais de vue. On s’était croisés à un barbecue.

– Lurie n’était pas au courant, ajoute Vasile.

– Lurie ne savait rien », complète Catalin.

« Ils recommenceront à voler dès leur sortie de prison »

 Le procureur Jean-Baptiste Bladier n’adhère pas à cette version et souligne à raison l’importance du « ressenti des victimes. Il y a un écart entre ce que le Code pénal appelle pudiquement l’atteinte aux biens et ce qu’elles ont vécu ». Contre Lurie au casier vierge, il requiert trois mois de sursis. Pas d’excuse accordée à Vasile, en séjour irrégulier depuis 2017, condamné à Versailles (Yvelines) et Créteil (Val-de-Marne) pour des cambriolages : 24 mois ferme, maintien en détention. Il souhaite que Catalin l’y suive durant six mois.

Commise d’office en défense des trois Moldaves, Me Sarah Gharbi plaide la relaxe de Lurie : « Il vient de débarquer en France, il a agi par solidarité envers sa communauté. Un chauffeur de taxi ne demande pas à ses clients d’ouvrir leurs bagages ! Tout juste les aide-t-il à les mettre dans le coffre. » Quant à Vasile et Catalin, « ils vivent des vols qu’ils commettent, admet-elle. Ils n’ont ni famille ni logement, aucune possibilité de prise en charge. Sans aide, ils recommenceront à voler dès la sortie de prison ». La situation des trois étrangers, qui ne font pas l’objet d’une obligation administrative de quitter le territoire, est en l’état inextricable.

Tandis que le tribunal délibère, le nouveau procureur de la République de Meaux (notre article du 10 octobre ici) s’installe auprès de 25 élèves d’une classe de 4e. Monsieur Bladier répond aux questions sur la magistrature, la robe – « c’est un costume d’audience solennel qui nous oblige au respect et à la rigueur » –, « sur les gens qui viennent voler chez nous ». Il soupire, évoque la misère qui guide certains vers un eldorado imaginaire.

Le retour des juges met fin à 20 minutes d’échange. Vasile est condamné à 16 mois de prison, Catalin à 6 mois, emprisonnement ferme et exécution séance tenante. Lurie écope d’une interdiction de séjour en Seine-et-Marne jusqu’en 2025, comme Catalin. Vasile est prié de ne plus remettre les pieds en Île-de-France durant la même période.

À la victime présente, partie civile, les deux voleurs verseront 1 158 euros. La deuxième est déboutée, la troisième fera part de ses dommages en mai. Les collégiens s’en vont. L’un d’entre eux dit qu’il deviendra magistrat.

Tribunal de Meaux : « Je suis en France pour travailler, mais pas déclaré »
Me Sarah Gharbi, du barreau de Seine-et-Marne, au tribunal de Meaux (Photo : ©I. Horlans)
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