« Je ne suis pas ce que je suis »

Publié le 05/04/2018

DR

Au moment de commencer la lecture du premier roman d’Isabelle Carré, Les rêveurs, on se demande si ce roman, quasi autobiographique, va seulement nous dresser le portrait de cette talentueuse et charmante actrice, secrète, mais qui emporte tout quand on la voit sur scène, au théâtre notamment…

Comment en est-elle arrivée là ; a-t-elle toujours voulu être actrice ; va-t-elle répondre uniquement à ces questions ; va-t-elle conter sa vie, la romancer ? Va-t-elle dresser un portrait de la jeune et admirable actrice ?

Non, rien de tout cela… Son récit nous bouleverse, nous transporte tant on est loin de l’image de la jeune première ! C’est un parcours de vie, et quelle étrange vie…

Il y a bien du feu sous cette « discrète et lumineuse » actrice, les deux adjectifs qui reviennent le plus souvent, selon elle, pour la qualifier.Voilà une vingtaine d’années que nous la croisons au cinéma ou sur les planches de nombreux théâtres et pourtant on ne connaît rien d’elle ; et le choc est terrible.

Les premières pages nous transportent dans une autre vie, dans les années 1970, celle d’une autre femme – on découvrira plus tard qu’il s’agit de sa mère.

Ses parents sont au cœur de ce roman, une mère absente physiquement et émotionnellement contre un père très présent, qui passe d’une humeur à une autre, d’une vie à une autre…

Ces parents défaillants mais qui la laissent libre de vivre ses émotions et surtout libre de faire ce qu’elle souhaite.

Une émotive anonyme

C’est une survivante, son destin n’est ni celui d’une ingénue, ni dû au hasard.

Non, le théâtre l’a bien sauvé ; il a sauvé cette adolescente perturbée qui se retrouve à 14 ans à l’hôpital des enfants malades après une tentative de suicide…. Désormais elle vivra, elle veut vivre et ce désir passera par les planches, son salut !

Elle ne sera jamais la danseuse étoile qu’elle avait rêvée d’être et ce malgré les heures de travail, impuissante face à cette cicatrice qui barre sa jambe depuis ce saut de l’ange à 4 ans !

Alors ce sera le théâtre : « Le théâtre est un lot de consolation merveilleux. Les émotions ont enfin leur place, dans un cadre doré, solide, où tout est possible » (p. 228).

En effet, celle qui a toujours cherché un cadre (le cadre de la caméra, du théâtre, de son nom…) dans une vie un peu bancale, foutraque, va trouver dans le théâtre, tout ce qu’elle recherche : rencontrer des personnages, être quelqu’un d’autre, endosser les habits de femmes amoureuses, perverses, autodestructrices, émotives, rencontrer des metteurs en scène, mais aussi des maquilleuses, des régisseurs et tout ce qui fait la vie d’un plateau de cinéma : « Je fais du cinéma pour qu’on me rencontre ou plutôt pour rencontrer des gens » (p. 140).

Elle va s’en sortir grâce à cette formidable envie de vivre. Elle va jouer, grâce à ses émotions, son émotivité et ses sentiments… Cette liberté, que finalement ses parents lui ont laissé en héritage, va lui permettre de vivre ses rêves, car « on ne réussit bien que ses rêves », comme aimait lui asséner son père, et cela deviendra le leitmotiv de sa vie.

Et puis, si vivre d’autres vies au cinéma n’est plus suffisant, il reste l’écriture car même au cinéma les rencontres sont parfois trop furtives, « on se quitte une fois le tournage ou la pièce terminée, et on ne se revoit jamais comme on se l’était promis… Alors je m’offre une seconde chance, j’écris pour qu’on me rencontre » (p. 141).

La rencontre est réussie, on découvre un nouveau talent, car même si parfois nous sommes mal à l’aise face à son récit, il est évident que le style est puissant, riche et qu’un écrivain est en train de naître sous nos yeux.

Cette plume acérée est aussi très musicale. La musique, une autre passion familiale, parcourt le livre, et on apprécie à la fin de l’ouvrage la petite liste de titres entendus et à écouter… Qui dans les moments heureux ou malheureux nous permet aussi de nous souvenir des belles choses…

 

 

 

 

 

X