Tribunal de Meaux : « La société ne supporte plus les voyous dans des immeubles ! »

Publié le 16/07/2024

Les poches remplies de cannabis, l’argent dans ses chaussettes, Nuno a été arrêté à la tour Aquitaine de Meaux (Seine-et-Marne). Ses résidents vivent un cauchemar depuis que les dealers bloquent l’aile B du 3e étage. Contraint d’avouer sa participation au trafic, le jeune homme de 19 ans, déjà condamné, a servi au tribunal un tas d’excuses éculées. En vain.

Tribunal de Meaux : « La société ne supporte plus les voyous dans des immeubles ! »
Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

 « Les Français se droguent de plus en plus » et, en 2023, « le cannabis reste le produit illicite le plus consommé ». Publiée le 26 juin, la dernière étude de l’Observatoire des drogues et tendances addictives (OFDT), qui n’avait pas édité de données précises depuis l’année 2017, confirme que son usage progresse : 50,4 % de la population interrogée a déjà fumé des joints (notre encadré ci-dessous). Le marché se porte très bien, d’où la prolifération de points de deal en France, jusqu’en zone rurale. Si la Seine-et-Marne reste moins exposée que la Seine-Saint-Denis, le département est « aussi confronté au trafic qui engendre des règlements de comptes », a précisé le procureur adjoint Éric de Valroger lors du procès de Nuno au tribunal de Meaux, mercredi 10 juillet.

Bras ballants, teint terreux, le jeune homme de 19 ans apparaît dans le box de la chambre des comparutions immédiates à l’issue de sa garde à vue. Il a été arrêté deux jours plus tôt alors qu’il occupait, avec d’autres, le fameux 3e étage de la résidence Aquitaine, dans le quartier de Beauval. Fermés par des portes dégondées, des sanitaires cassés et des colonnes sèches brisées, les communs de l’aile B sont interdits aux locataires des logements sociaux « qui, déjà, n’ont pas la vie facile », rappelle le parquetier. Rien n’a changé en un an, en dépit de « descentes régulières de police » (notre article du 3 août 2023 ici).

« J’étais le vendeur du jour, c’était la première fois »

 Sous les regards réprobateurs de son oncle et de sa tante, assis au fond de la salle d’audience, Nuno va tenter durant une heure de minimiser le rôle que l’accusation lui prête. Et pour cause : si la récidive n’a pas été retenue, sa première condamnation ayant été infligée par le tribunal pour enfants, les chefs de prévention (acquisition, détention, offre ou cession, usage) lui font encourir a minima cinq ans de prison. Dans ses poches de blouson, il détenait 15 grammes d’herbe et une plaquette de 108 grammes de résine, qu’il avait entrepris « de compacter pour en faire des morceaux », admet-il. Toutefois, il le jure : « J’étais le vendeur du jour, c’était la première fois. »

La présidente Isabelle Florentin-Dombre : « Qui vous avait chargé de cette vente ?

– Un grand blond.

– Avec une chaussure noire ?

– Euh… Il mesurait 1 mètre 95. »

La référence cinématographique échappe au prévenu ; sa génération n’est pas au fait des facéties du maladroit Pierre Richard. Nuno ne balance pas le fournisseur, qu’il s’obstine pourtant à décrire. « On dirait effectivement un film », conclut la magistrate.

« J’étais là depuis seulement 20 minutes, le point de deal n’ouvre qu’à midi et les flics m’ont interpellé à 12 h 05 », poursuit le jeune ; la preuve selon lui qu’il n’a pas pu vendre. À trop enjoliver le scénario, on perd le fil, jusqu’à l’instant de franchise. Interrogé sur les prétendues économies camouflées dans ses chaussettes, il répond : « Parce que mes poches étaient pleines de cannabis. »

« Avez-vous conscience du sentiment d’insécurité des gens ? »

 Pour le reste, il oppose les justifications habituelles de tous les comparants pour délits similaires. L’usage de shit ? « Je fume plus depuis deux mois. » L’absence de travail ? « J’allais commencer une formation de mécanicien le 15. » Aucune attestation ne corrobore l’engagement. Et la mission locale l’a remercié en juin. Ce gamin, qui a quitté l’école en 3e, est en déshérence. « Je squatte ici et là, explique-t-il, c’est compliqué avec mes parents depuis que j’ai été condamné. Surtout avec ma mère… »

M. de Valroger : « Avez-vous conscience du sentiment d’insécurité de ceux qui habitent l’aile B d’Aquitaine, ces gens bloqués par les dealers ?

– J’avais pas réfléchi à ça avant. Vous avez raison, Monsieur le procureur.

– Pour eux, c’est absolument insupportable, la société ne supporte plus les voyous dans des immeubles ! Et nous avons ici un acteur [des nuisances] qui reconnaît, parce qu’il ne peut pas faire autrement, mais qui a tenté de s’échapper. »

Considérant que le bas de laine de Nuno provenait du trafic – « moi, si je mets des billets dans ma chaussette, ça va me gêner pour marcher » –, que l’infraction est caractérisée par les saisies, le procureur adjoint en réclame la confiscation. Il requiert dix mois de prison, moitié avec sursis probatoire de deux ans, un mandat de dépôt, l’obligation de travailler, de se soigner, de ne plus reparaître dans la tour Aquitaine.

Me Anne-Sophie Lance, avocate commise d’office, regrette que l’on veuille emprisonner son client « éligible à un sursis. Je trouve ça très dur d’autant que, coopératif, on aurait pu le juger en CRPC » (procédure rapide dite de « plaider-coupable »).

Nuno n’a rien à ajouter. À la juge qui l’interroge sur l’endroit où il pourrait habiter s’il est libéré, il dit vouloir « aller chez [s]on père » sans parvenir à fournir son adresse dans les Bouches-du-Rhône. Dans un même élan, ses oncle et tante se dressent : « Son père est en route, il vient le chercher. »

Les magistrats lui accordent donc une dernière chance : relaxé de l’usage, les dix mois requis sont intégralement assortis du sursis probatoire (deux ans). Il devra respecter les obligations énumérées par le parquet. Seul son téléphone lui est restitué.

En fin d’après-midi, on croise Nuno qui attend sagement son père en salle des pas perdus. Peut-être a-t-il un avenir…

 

« L’usage du cannabis augmente nettement parmi les 55-64 ans »

 L’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) a publié sa dernière étude le 26 juin. Elle révèle que la consommation de cannabis progresse parmi les plus âgés et diminue chez les jeunes.

 L’étude, effectuée en 2023, se base sur le questionnaire de 14 984 personnes âgées de 18 à 75 ans. Il en ressort que 50,4 % de l’échantillon a expérimenté l’herbe et/ou la résine, contre 12,7 % il y a 32 ans. Si les hommes fument plus que les femmes (57,6 % contre 43,4 %), la consommation connaît une hausse depuis 2017 chez les 55-64 ans, « de plus en plus fréquente à partir de 30 ans ». « Elle a doublé », note L’OFDT, expliquant « la mutation par le vieillissement des premières générations ». Si elle est « stable » parmi les jeunes, elle concerne néanmoins 30 % des adolescents de 17 ans. Dans la tranche 18-24 ans, 6,6 % sont des fumeurs réguliers (au moins 10 joints au cours du mois précédant l’enquête).

En revanche, la prise de substances plus dures, notamment la cocaïne, est « en forte augmentation » : 14,6 % des Français interrogés en ont inhalé ou absorbé « au moins une fois l’an dernier », « l’usage actuel augmente de 70 % sur la période 2017-2023 ». Classe d’âge la plus concernée : les 25-34 ans, en priorité des hommes. Ceux-ci prennent aussi de l’ecstasy : 8,2 % contre 5 % il y a sept ans.

Les amphétamines et le LSD sont également en progression, pas l’héroïne ni le crack. Autres produits dont la consommation n’avait jusqu’ici pas été testée : la kétamine (psychotrope), la 3-MMC (molécule de synthèse prisée dans les fêtes chemsex), le GHB (dépresseur du système nerveux central), le protoxyde d’azote (antalgie, anesthésie), les poppers. Les 18-34 ans sont les principaux usagers.

 

 

 

Plan