Tribunal de Meaux : « Le poinçon brise-glace ? C’était pour couper du carrelage »
Youcef et Omar, sans domicile fixe ni titre de séjour en France, traînaient un samedi dans le parking du centre commercial Val d’Europe en Seine-et-Marne. Là où, justement, trois voitures ont été « visitées ». Un témoin les a vus briser une vitre et s’emparer de deux sacs à dos.
Sentiment de lassitude, lié à une impression de répétition à l’infini. Ainsi va la vie, aux audiences de comparutions immédiates, ces « CI » instaurées en 1983 pour sanctionner rapidement les flagrants délits ou les « dossiers simples » ne nécessitant pas d’enquête complémentaire. Le plus souvent, on y croise les mêmes profils : de petits délinquants récidivistes, précaires, assistés d’un avocat commis d’office qui a pris connaissance du dossier en matinée, voire une heure avant le procès. « Une justice d’abattage », disent les nombreux détracteurs des CI, au premier rang desquels les défenseurs. En vertu des articles 393 et suivants du Code de procédure pénale, sont jugés au pas de charge des prévenus à l’issue de leur garde à vue ou d’une courte détention provisoire. Et, s’ils ont le droit de refuser un examen à la va-vite des charges retenues contre eux, ils risquent l’incarcération jusqu’à un nouvel audiencement de l’affaire.
Youcef et Omar, sous escorte dans le box de la 1re chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Meaux, lundi 27 novembre, ont bien compris que leur situation ne plaide pas en leur faveur. Que s’ils demandent un renvoi, ils seront peut-être emprisonnés pendant plusieurs semaines. Raison pour laquelle ils acceptent que leur « cas » soit étudié séance tenante.
« J’étais à Val d’Europe pour m’acheter un tricot »
Le dossier contre eux se réduit à une peau de chagrin : ils ont été vus près du véhicule de location de touristes qui y avaient laissé tous leurs bagages. Le témoin, « sûr et certain à 100 % », rapporte qu’ils ont brisé une vitre et se sont enfuis avec deux sacs à dos en direction de la gare du RER A proche du parking sous le centre commercial de Marne-la-Vallée.
Cet homme a prévenu la police, qui a interpellé Youcef et Omar sur le quai. Ni l’un ni l’autre n’était porteur du butin. « Mais ils avaient l’air inquiet, et leurs tenues vestimentaires correspondaient à la description », indiquent les agents. Ils ont retrouvé les biens des touristes « éparpillés sur le trajet entre le parking et le RER », emprunté comme des dizaines d’autres clients du centre commercial cet après-midi-là. Enfin, Youcef détenait un poinçon brise-glace ayant pu faciliter le « vol aggravé par deux circonstances » (la commission en réunion et les dégradations). C’est tout.
Les prévenus nient les faits. Omar, un Algérien de 26 ans qui prétend avec aplomb être « né en 2007 » quand on lui donnerait plutôt la trentaine, est en situation irrégulière en France et habite « dans la rue » : « J’étais au Val d’Europe pour acheter un tricot », avance le vendeur à la sauvette qui dit gagner « 30 € par jour ». Guère crédible, surtout quand on apprend qu’il a été arrêté en octobre pour un vol en réunion, mais pourquoi pas ?
Youcef, un Marocain âgé de 20 ans, est arrivé sur le territoire en 2020 « par bateau contre 2 500 € ». Il est « livreur au noir », payé 1 500 €. Toujours les mêmes histoires d’étrangers sans papiers exploités par des entreprises qui s’arrangent avec les règles du droit. « Le poinçon brise-glace ? C’était pour couper du carrelage », explique-t-il, bien que son « emploi » ne l’invite pas à agencer des cuisines. Le témoignage ? « C’est un film, ça », riposte-t-il du ton roublard de qui a soupesé la faiblesse des charges.
« Les enquêtes mal faites, on doit faire avec… »
Au terme d’un court débat qui ne révèle rien d’essentiel, ils expriment leur souhait de « rester en France ». Le procès-verbal des policiers et le témoin ont convaincu le parquet de poursuivre. La procureure reconnaît que leur « parcours de vie est complexe » : « On voit cela régulièrement en chambre des comparutions immédiates. » Elle requiert « une peine d’avertissement, six mois de prison avec sursis, l’interdiction de fréquenter le Val d’Europe et la gare de Chessy pendant un an ».
Me Thierry Benkimoun, de permanence au barreau de Meaux, regrette le sort réservé à ses clients : « Les enquêtes mal faites, on doit faire avec… Là, on a un témoignage, sans identification derrière une glace sans tain. Leurs tenues vestimentaires [pullover blanc, maillot zippé bleu] ressemblent à celles de tout le monde. On n’a même pas exploité la vidéosurveillance ! » Les images auraient pu permettre de découvrir qui avait cassé deux autres voitures, délit non imputé à Youcef et Omar. « Deux jeunes sans-papiers traînaient par-là », conclut-il, amer, sans terminer sa phrase.
Le jugement est vite rendu, six mois de sursis. Omar et Youcef retournent à la rue.
Lire aussi sur le même sujet Aux comparutions immédiates de Paris : comme il est difficile de juger ! – Actu-Juridique
Référence : AJU406527