Tribunal de Paris : « J’aimerais bien que vous me condamniez à voir un psy »
Nicolas M., 40 ans, était jugé par la 13e chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour avoir escroqué 64 personnes. Il proposait à la location des appartements qu’il avait lui-même loués sur Airbnb, et disparaissait avec la caution. Il a été condamné à quatre ans de prison, dont trois ferme.

Le juge assesseur en regardant le public demande : « Est-ce qu’il y a dans la salle des victimes qui veulent parler ? »
Un doigt se lève. « Moi, je veux bien. » Il s’agit de Monsieur D. C’était à la fin du mois d’août 2023. « Ma fille entrait en école d’architecture et cherchait un logement sur Paris. Elle a trouvé et m’a dit qu’il fallait verser la caution assez rapidement. J’ai fait confiance à ma fille. Puis, j’ai tapé le nom de Nicolas M., et j’ai réalisé l’étendue de qui est cet homme. » Il pleure en expliquant qu’il a eu des mots durs envers sa fille, qu’il regrette encore aujourd’hui puisqu’ils ont conduit à leur brouille.
« C’est un homme très lucide et très bien organisé »
Il se tourne vers sa droite et regarde le prévenu, un individu aux cheveux ras, vouté sur son strapontin : « Pour moi, c’est un homme très sain d’esprit ; quelqu’un qui réfléchit et qui élabore des stratégies. Il n’a aucune compassion, il fait ça pour s’amuser. Cet individu sait très bien ce qu’il fait et dès qu’il pourra il recommencera. »
Un autre doigt se lève, et finalement une file se forme : un jeune homme en alternance qui vient « s’installer sur Paris » et trouve un studio au dernier moment ; un père aux faibles revenus qui cherche un appartement adapté pour recevoir sa fille atteinte d’une sclérose en plaques, et qui a versé 1 200 euros en espèces pour « ne pas passer à côté de l’affaire ». À la barre, le sexagénaire se rappelle : « C’était un dimanche, il était en manteau de cachemire. On devait se revoir le mardi pour la remise des clefs. » Pas de nouvelles. « Le mercredi, c’est le commissariat du 18e qui m’a appelé pour me dire qu’ils l’avaient placé en garde à vue. Il fait un peu l’agneau ici, mais quand vous l’avez en affaire devant vous, c’est un homme très lucide et très bien organisé. »
« L’agneau » est Nicolas M., 40 ans, qui apparaît à l’audience comme un personnage falot courbant l’échine, ce qui agace toutes les parties civiles, persuadées d’être face à un grand manipulateur tentant de susciter la pitié du tribunal.
Entre 2022 et 2024, il a escroqué 64 personnes en leur proposant à la location des appartements qu’il avait lui-même loués pour quelques jours sur Airbnb. Sitôt entré dans les lieux, il publiait une annonce sur seloger.com ou Paru Vendu et attendait les sollicitations. Comme il proposait des studios à des prix en dessous du marché, les demandes pleuvaient et il était rapidement en face d’un potentiel locataire. Nicolas M. présentait un faux contrat de bail, sa propre pièce d’identité et leur fournissait un RIB pour le versement de la caution. Aveuglés par l’opportunité et souvent dans une nécessité urgente de trouver un logement, les victimes n’y voyaient que du feu et faisaient un virement, avant la promesse d’une remise des clefs prochaines.
Une première plainte est déposée le 27 août 2022. Son nom circule sur internet pour mettre en garde contre cet homme qui propose à la location des appartements qu’il n’est pas en capacité de louer. Le 21 février 2023, un certain Monsieur S. repère une annonce louche et contacte les policiers, qui l’accompagnent au rendez-vous avec Nicolas M. et interpellent ce dernier. Il est placé en garde à vue, auditionné, relâché. Durant l’année qui suit, il sera réinterrogé une fois, toujours laissé libre et non surveillé, ce qui lui permettra de continuer ses arnaques pendant un an. Au printemps 2024, Nicolas M. est une nouvelle fois placé en garde à vue, déféré et placé sous contrôle judiciaire.
« Des gens en situation de fragilité »
Le vendredi 2 mai 2025, la moitié de la salle dans laquelle siège la 13e chambre correctionnelle est composée de ses victimes ; seul dans son coin, l’air penaud et marqué physiquement, Nicolas M. paraît vaincu. Sa biographie est courte : il ne travaillait plus depuis 2017, « suite à un burn out », prétend-il. Dépressif depuis la mort de sa mère en 2010. Le juge assesseur demande :
« Depuis quand avez-vous commencé à faire ça ?
— Depuis 2020, je pense (la prévention ne remonte qu’à 2022, NDLR).
— Combien ça vous rapporte ?
— Entre 20 000 et 25 000 euros par an.
— Vous ciblez quel logement ?
— En général un studio sur Paris entre 20 et 25 m2.
— Quel type de personnes cherchent à louer ?
— Ce sont des gens en difficultés, des gens en situation de fragilité.
— Dans les victimes, on a des étudiants et des gens qui viennent de se séparer. Vous les mettez en dessous du prix du marché ?
— Oui, et si le studio est trop grand, je le sous-dimensionne.
— Comment vous en venez à faire ça ?
— Ça m’est venu comme ça.
— Et vous donnez votre pièce d’identité ?
— En fait, moi, je pensais être arrêté plus vite et aller en prison très vite.
— Donc vous n’êtes pas arrêté et vous continuez. Et quand vous êtes interpellé, vous continuez quand même.
— J’ai continué jusqu’à ce que je sois placé sous contrôle judiciaire.
— Vous n’êtes pas un peu affecté par le fait que vous leur prenez de l’argent ?
— Si, bien sûr, c’était très dur.
— Pourtant, vous continuez. Vous accompagnez même certaines personnes pour aller retirer de l’argent à la banque. On retrouve 1 800 euros sur vous quand vous êtes interpellé en 2024.
— C’était une personne que je venais d’escroquer la veille, une dame, je pense.
— Qu’est-ce que vous faisiez de l’argent ?
— Je l’envoyais à mon ex et à ses enfants.
— Vous travailliez pour elle ou quoi ?
— C’était de mon propre fait. »
Pendant sept ans, Nicolas M. était en couple avec une femme roumaine qui était rentrée dans son pays et à qui, prétend-il, il envoyait tout l’argent qu’il escroquait – ce que l’enquête n’a pas permis de déterminer.
« Parce que j’étais fou amoureux »
« Dans la salle d’audience, il y a du monde. Un nombre de victimes à qui on va donner la parole. Vous en pensez quoi ?
— Je ne sais pas quoi vous dire, à part que je suis désolé.
— Qu’est-ce qui fait que vous allez arrêter maintenant ?
— Jusqu’à présent, j’étais amoureux, et maintenant, je ne le suis plus.
— (Président) J’essaie de comprendre ce qu’il se passe dans votre tête, escroquer cet argent pour envoyer de l’argent à une personne que vous voyez trois fois par an. Vous pouvez expliquer ?
— J’ai fait n’importe quoi.
— Pourquoi ?
— Parce que j’étais fou amoureux.
— (Assesseur) Et elle attachait beaucoup d’important à cet argent ? Elle vous menaçait de rompre ?
— C’est ça.
— Vous n’avez pas vu de psychologue et n’avez suivi aucun soin. Pourquoi ?
— Il faudrait que j’aille consulter, oui.
— Vous n’êtes pas contrariant en tout cas.
— J’aimerais bien que vous me condamniez à voir un psy, ça m’arrangerait parce que, de moi-même, je n’irai pas.
— (assesseur) Ce serait quoi la bonne peine ?
— Comme vous l’avez dit, je ne suis pas contrariant.
—(Président) y’a une autre histoire d’une personne qui a fait croire pendant des années à sa famille qu’il était médecin et chercheur à l’OMS. Ça ne vous dit rien ?
— Non…»
Le président fait référence à Jean-Claude Romand, qui a tué toute sa famille avant que son mensonge ne soit révélé.
« Je ne pensais pas avoir fait autant de mal»
Après les plaidoiries des avocats de parties civiles, le procureur, dans son réquisitoire, tente de faire prendre la mesure de l’opération montée par le prévenu et les préjudices subis. « Ça dépasse le simple fait d’avoir perdu de l’argent, c’est une rupture de la confiance. » Il dit de Nicolas M. qu’il est « l’escroc par excellence » qui « continue à se raconter des histoires ». Il requiert une « peine juste mais évidemment volumineuse quant au quantum » : quatre ans dont un an avec un sursis probatoire de trois ans, une obligation d’indemniser les victimes, une interdiction de mettre les pieds dans la région Île-de-France pendant cinq ans. Pour la partie ferme, il demande un mandat de dépôt à effet différé.
Pour sa défense, l’avocat de Nicolas M. tente de démontrer que le laisser en liberté est la meilleure façon pour qu’il rembourse les victimes et ne soit plus un danger, et demande un sursis probatoire.
À la fin de l’audience, une partie civile lève le doigt pour demander à ajouter quelque chose, une petite anecdote qui vient de lui revenir : « Après le rendez-vous, on est allés boire un coup et j’ai eu la gentillesse de payer. Aujourd’hui, je le regrette. »
En guise de dernier mot, Nicolas M. lâche : « Je pensais pas avoir fait autant de mal. »
Il est condamné à la peine requise et sera prochainement incarcéré.
Référence : AJU498756
