Tribunal de Paris : « Je paie pour qu’on me fasse mal, ça me rend moins agressif »
Lundi 9 septembre, aux comparutions immédiates de Paris devant la 23e chambre, trois prévenus sur les sept jugés avant la première suspension d’audience souffraient de troubles psychiatriques. Deux ont commis des agressions dans les transports. Un troisième est accusé d’agression sexuelle. Récit.
Anour est Soudanais, il a 33 ans et vit dans la rue. Le 5 septembre, il a suivi une femme jusque chez elle en pleine journée, l’a attrapée et a tenté de l’embrasser. C’est pourquoi il est jugé en comparution immédiate ce lundi 9 septembre devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris. On n’en saura pas plus sur les faits car les juges ont un problème qui les empêche d’aborder le fond de l’affaire : l’examen réalisé en garde à vue a conclu à l’abolition du discernement et à la nécessité d’un internement psychiatrique d’urgence.
« Le renvoi pour expertise psychiatrique s’impose »
Le président se tourne vers l’homme debout dans le box. La loi l’oblige à lui demander s’il veut être jugé immédiatement ou bénéficier d’un délai pour préparer sa défense. Dans ce dernier cas, le tribunal se limitera à débattre du point de savoir s’il peut être relâché ou doit être placé en détention provisoire dans l’attente d’être jugé.
Anour répond dans sa langue natale qu’il a été déjà jugé. L’interprète traduit. Sans doute est-ce l’audience devant le juge des libertés et de la détention qui l’a envoyé attendre son procès en prison qu’il confond avec le jugement au fond. Toujours est-il qu’il va répéter trois fois la même chose, sans jamais répondre à la question du président. « On ne peut pas le juger aujourd’hui, le tribunal pense qu’une expertise est nécessaire, les examens en garde à vue sont très succincts » constate le magistrat.
«— Il était possible de faire un examen complémentaire en garde à vue et de l’hospitaliser d’office, au lieu de ça il va partir en détention provisoire, regrette son avocate.
—L’hospitalisation n’a pas été demandée par l’expert, note le président.
— Le parquet s’était engagé à ce qu’il y ait du personnel médical, rétorque la défense.
—Le parquet ne s’est engagé sur rien », corrige la magistrate qui soutient au contraire qu’il est habituel devant cette chambre demander examen complémentaire.
Près du box, l’interprète traduit au prévenu les discussions techniques de ceux qui ont le pouvoir de décider de son sort. Comprend-il que son avenir est en train de se jouer ?
« Le renvoi pour expertise s’impose, reprend le président, on ne peut se contenter d’une page, son comportement montre qu’il présente des troubles particuliers, il faut l’avis d’un spécialiste pour poser un diagnostic et proposer la mesure la plus adaptée ». Puis, se tournant vers le prévenu dans le box « Vous pensez à quoi Monsieur ? » l’interroge-t-il. Et de commenter, face au silence de l’intéressé « On a l’impression qu’il est complètement ailleurs ».
« Au Soudan, c’est la guerre civile »
Malgré tout, le magistrat tente d’entamer le dialogue pour en savoir plus sur cet homme.
« —Vous avez travaillé ?
— Oui, dans le nettoyage. Je dors dans la rue.
— Vous n’avez aucune attache familiale ou amicale ?
— J’ai des amis, mais pas leur numéro de téléphone
— Vous vous êtes marié au Soudan en 2022. Vous êtes retourné au Soudan ?
— Oui, je me suis marié et je suis revenu, et là je vais y retourner.
— Pourquoi n’êtes-vous pas resté au Soudan ?
— C’était la guerre civile.
— Sans activité et sans revenus, comment vous faites ? »
Le prévenu explique que ce sont les associations qui lui donnent à manger.
Pour le parquet, cette agression sexuelle en pleine journée par un homme sans domicile et sans titre de séjour, donc sans garantie de représentation, justifie le placement en détention. Son avocate corrige : il a le statut de réfugié, jusqu’à récemment il était placé dans un centre d’accueil pour personnes atteintes de troubles psychiatriques à Caen et tout se passait bien, il a toujours déféré aux convocations et n’a pas de casier.
Fin de la discussion. Le prévenu remercie « toute l’assistance, les avocats, la police aussi tous les Français et les Arabes aussi ». On songe qu’en effet il n’a rien compris et qu’il est heureux qu’il n’ait pas été jugé.
« Vous avez déclaré avoir eu un délire de paranoïa ? »
Tandis qu’il sort du box en continuant de remercier, le prévenu suivant est amené par l’escorte. La trentaine, pull blanc, cheveux châtains, Pierre est jugé pour avoir, le 5 septembre, frappé au visage un voyageur dans le métro sans raison. Il a déjà été condamné pour violences avec arme à Fontainebleau. Et une autre fois encore pour menaces de mort, à Paris. Contrairement à Anour, il comprend parfaitement ce qu’il fait dans cette salle d’audience, on lit sur son visage quelque chose qui ressemble à de la résignation, mêlée de désespoir.
« Vous avez déclaré avoir eu un délire de paranoïa, l’interroge le président. Il confirme, visiblement très au fait de sa pathologie. Au fil de l’interrogatoire, on découvre qu’il est en « errance résidentielle » depuis sa majorité, autrement dit, il vit à la rue, se nourrit grâce à la mendicité, se lave dans les douches municipales et dort dans les stations de métro.
« —Vous n’avez pas de famille ? interroge le président.
— La famille, c’est compliqué.
— Vous n’avez aucune relation avec personne ?
— Pas particulièrement. Je suis solitaire ».
Le dossier judiciaire raconte la vie de Pierre. Il a passé toute son adolescence dans des foyers en raison de conflits avec son beau-père et en HP depuis qu’on lui a diagnostiqué une schizophrénie paranoïaque. Handicapé à plus de 80%, il n’a jamais exercé d’activité professionnelle. Mais il touche 1 016 euros par mois d’allocation. Et puis l’association Aurore devant la Gare de Lyon le prend en charge.
« — On ne vous a jamais proposé un hébergement ? s’étonne le tribunal.
— Non, c’est compliqué. Seulement trois ou quatre mois à l’Armée du Salut.
— Vous n’avez jamais été sous tutelle, vous dépensez vos ressources dans des pratiques sexuelles sadomasochistes, note le président en lisant le dossier.
— Non ce n’est pas sexuel, se défend le prévenu, je paie pour me faire écraser, frapper, pour qu’on me fasse du mal, cela me rend moins agressif ». Toute sa maigre pension est consacrée à ce cruel châtiment qu’il s’inflige.
Peu assidu aux rendez-vous médicaux, il n’est plus soigné depuis le 1er février dernier. C’est l’une des difficultés des pathologies psychiatriques affectant les personnes isolées, elles renoncent à leur traitement, ce qui aggrave leur état. Et leur dangerosité, tant pour elles-mêmes – Pierre est suicidaire -, que pour les autres.
« Il a compris qu’il fallait qu’il prenne son traitement »
Le parquet réclame le placement en détention, estimant tout à la fois qu’il est dangereux et qu’il ne présente aucune garantie de représentation. Comme pour le prévenu précédent, la même avocate regrette que la question de l’hospitalisation n’ait pas été réglée en garde à vue. Elle souligne qu’il s’est présenté à toutes les audiences et a toujours exécuté ses peines pour justifier une demande de placement sous contrôle judiciaire et lui éviter la détention. « Il lui est possible d’avoir une situation stable et il a compris qu’il fallait qu’il reprenne son traitement, car il n’y a pas de risque quand il prend son traitement » conclut-elle.
Les trois prévenus suivants ne présentent pas de troubles, mais voici qu’entre Adama, né en 1994 au Gabon. De nationalité française, célibataire et sans profession, il a déjà été condamné. Lui aussi a agressé un voyageur dans le métro à coups de poing. Il avait bu. Et puis une voyageuse aussi, sur laquelle il a lancé une canette. À d’autres, il a crié : « Sales nègres, vous mangez votre caca, bandes de sauvages ».
« Je n’ai pas de déficit mental »
Il comprend parfaitement ce qu’il se passe, mais visiblement se méfie de tout et de tout le monde. « J’accepte d’être jugé maintenant », répond-il à la traditionnelle question. Mais comme les prévenus précédents, il risque le renvoi pour examen psychiatrique. La veille il a refusé d’être assisté d’un avocat, la professionnelle qui devait le défendre est assise devant lui et l’observe, un peu inquiète. Finalement, il change d’avis et décide d’accepter son aide. L’enquête de personnalité a révélé des difficultés, notamment de santé mentale, relève le président qui poursuit : « la question se pose de savoir s’il serait de votre intérêt de renvoyer le procès pour voir un expert psychiatre, votre comportement est alarmant ». C’est également l’avis du parquet qui réclame une expertise. « Je suis en récidive légale, je suis au chômage, indemnisé depuis le 30 juin, je travaille en intérim dans le bâtiment, je n’ai pas de déficit mental » objecte le prévenu.
Le tribunal délibère brièvement : l’expertise est ordonnée. Reste à savoir si l’intéressé attendra d’être examiné dehors ou en prison. Le parquet requiert la détention en rappelant les mentions de son casier depuis 2014 : stupéfiants, menaces de mort, stupéfiants, refus d’obtempérer, conduite sans permis, stupéfiants, conduite sans permis, vol et conduite sous stupéfiants, menaces de mort et menace sur un ascendant…
« Ça ne me dérange pas d’aller en prison, j’ai des revenus à ne rien faire »
Il se lance dans un récit de sa vie mêlant détails administratifs très précis et souvenirs d’enfance. On comprend qu’il est arrivé avec sa mère en Suisse à l’âge de quatre ans, qu’il s’est retrouvé en centre éducatif fermé, qu’elle l’a enlevé et qu’ils ont fui vers la France. Ce sont les menaces contre celle qu’il appelle « Madame » à ce stade de son récit qui lui ont valu une condamnation pour violence sur ascendant. Il poursuit comme s’il voulait résumer toute sa vie en quelques minutes, évoque des problèmes de bailleur, un appartement insalubre, des procès. Le tribunal s’impatiente, malheureusement, il n’a pas le temps d’écouter les détails du parcours chaotique d’Adama, même si ce sont eux qui l’ont mené là. Ce sera pour plus tard, au fond. En cherchant à se défendre, il n’a fait que confirmer son état de confusion mentale. « Ça me pèse sur la conscience qu’on demande une expertise psychiatrique, je n’ai pas sorti d’arme, je n’ai blessé personne, je suis boiseur, je fais des toits et des sols » tente-t-il encore.
Son avocate souligne que la dernière infraction pour laquelle il encourt la récidive remonte à 2020 et qu’il s’est présenté à chacune de ses convocations. Et puis il faut bien le laisser retourner à son foyer pour qu’il apporte les pièces susceptibles de l’aider dans sa défense. « La prison ne ferait qu’aggraver sa violence » conclut-elle.
Hélas, le prévenu trop disert croit bien faire en acceptant de dire un dernier mot après son avocat et déclare « Ça ne me dérange pas d’aller en prison, j’ai des revenus à ne rien faire (NDLR : son indemnité chômage), je ne perds rien ! »
Quand le tribunal revient dans la salle après avoir délibéré, il ordonne l’expertise psychiatrique pour chacun des trois prévenus et les envoie tous en détention provisoire.
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Référence : AJU466072