Tribunal de Meaux : Trois ans de prison pour le schizophrène qui a attaqué un buraliste
Yannick, dont deux experts psychiatres ont reconnu l’altération certaine du discernement, hospitalisé d’office durant douze semaines, répondait le 4 septembre d’une tentative de braquage d’un buraliste qu’il a blessé. En proie à des hallucinations, totalement hébété dans le box du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), il a été condamné à trois ans de prison sans comprendre le sens de sa peine.
Le procureur Éric de Valroger remplit et signe la feuille de liaison destinée au greffe du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin. Il se lève, parcourt la distance qui le sépare de la greffière pour la lui remettre. Cette dernière demande que la fiche soit visée par la présidente Lemoine. Laquelle relit le document, le contresigne. Il est tendu à l’escorte de Yannick, qui part en prison. La double vérification est obligatoire dans la juridiction de Meaux depuis l’erreur commise le 16 août : ce jour-là, une mention erronée avait entraîné le maintien en détention d’Assane qui devait pourtant être libéré dès sa levée d’écrou ; il était mort dans sa cellule le lendemain (notre article du 27 août ici). L’enquête policière est toujours en cours et les conclusions des analyses médico-légales n’ont pas encore été communiquées.
S’agissant de Yannick, pas de méprise possible, la fiche indique qu’il a été condamné à trois ans ferme ce mercredi 4 septembre. Debout dans le box, abasourdi, il fixe les magistrats. « Je vais faire trois ans, là, maintenant ? » Doucement, Cécile Lemoine lui explique que oui, il est incarcéré, mais que « plus tard, [il verra] avec le juge de l’application des peines » à un possible aménagement. « Mes affaires, elles sont où ? », insiste l’homme de 26 ans. Son baluchon de SDF est-il à l’hôpital ? Au commissariat où il a été gardé à vue brièvement en juin ? Personne ne sait. On dirait qu’il va pleurer. Me Benkimoun, son défenseur commis d’office, le réconforte.
« La caisse, donne-moi la caisse ! »
Les faits de tentative de vol avec violence ayant entraîné 21 jours d’ITT au buraliste qu’il a braqué en fin de journée, vendredi 14 juin, ont été élucidés en quelques minutes grâce au sang-froid de la victime. Quand Yannick se présente dans le magasin de la Ferté-sous-Jouarre, il brandit une arme de poing, en fait un pistolet à billes mais l’effet, sur le couple de commerçants, est aussi terrifiant que s’il pointait un automatique à balles réelles. Il crie : « La caisse, donne-moi la caisse ! », répète une dizaine de fois l’injonction. La gérante ne cède pas, son mari non plus. Ils résistent courageusement et dans le feu de l’action, Monsieur Z. reçoit un méchant coup de crosse dans la tête. L’une de ses oreilles est en sang. « La police arrive », prévient-il, ce qui incite Yannick à fuir. Le buraliste le rattrape, le neutralise à l’aide d’une chaise. Les forces de l’ordre le récupèrent sur le trottoir.
En garde à vue le 14 en soirée, le suspect apparaît éberlué par les actes qui lui sont reprochés, évoque des hallucinations ; un expert psychiatre requis préconise une hospitalisation d’office. Yannick est interné. Il souffre d’une schizophrénie correctement diagnostiquée mais, sans domicile fixe et sans emploi, livré à la rue et à lui-même, il oublie son traitement – une injection mensuelle à effet retard. Au terme de 12 semaines de prise en charge, il est stabilisé ; la garde à vue peut reprendre en ce début septembre. Sauf qu’il ne se souvient de rien.
« J’entends que l’on croie qu’il représente un danger »
Déféré devant la chambre des comparutions immédiates, il a le regard fixe et la barbe broussailleuse. Privé du cannabis qui adoucit sa vie autant qu’il lui déglingue le cerveau, Yannick paraît ailleurs, dans un monde parallèle. Deux expertises psychiatriques ont révélé « une altération certaine de son discernement » mais pas d’abolition qui aurait induit une irresponsabilité pénale (lire à ce sujet notre article du 17 juillet ici). S’il reste « punissable », les rapports des deux spécialistes peuvent entraîner une atténuation de sa peine. Toutefois, se pose à nouveau la question, devenue récurrente : que faire d’un homme dont les troubles psychiques sont réels et qui n’a aucune famille pour l’héberger, pas même d’amis ? Sénégalais, Yannick est seul en France.
Il est aussi récidiviste : neuf condamnations à son casier judiciaire, douze infractions de violence dont deux avec arme de poing. Le parquetier, Éric de Valroger, ne peut pas prendre de risques. Représentant de la société, il a le devoir de prévenir d’autres agressions ou pire, un crime (1). En l’absence de toute alternative – un placement sous bracelet électronique impose une domiciliation fixe –, il requiert quatre ans d’emprisonnement dont un avec sursis probatoire. Au moins sera-t-il correctement suivi et soigné.
De permanence, Me Thierry Benkimoun assure la défense du pauvre hère. Que dire ? Le délit est avéré, Yannick est sorti de prison en octobre 2023 et n’a toujours pas compris qu’il ne peut pas blesser les gens. « J’entends que l’on croie qu’il représente un danger mais il n’a pas agi en connaissance de cause », plaide-t-il. « Je comprends la difficulté d’appréhender le dossier », insistant sur le « degré d’altération » du discernement qui doit amoindrir la sanction. Il suggère que son client, sous curatelle, soit placé à l’Arile ; il s’est renseigné, « il y a deux places ». L’association est notamment chargée d’accompagnements socio-judiciaires sous la tutelle des magistrats.
Les juges optent finalement pour trois ans ferme. Les dommages et intérêts accordés au couple seront déterminés en février.
Le regard fixe de Yannick se détourne de la juge à la voix douce, et se fige sur les menottes. Il tend ses poignets et s’en va.
(1) Samedi 7 septembre à l’aube, un homme a été maîtrisé par un policier à Mormant, bourg situé à 20 kilomètres de Melun, alors qu’il agressait deux passants. Lorsque les gendarmes se sont rendus à son domicile, ils ont découvert les corps de sa compagne et de ses deux petites filles, tuées à l’arme blanche. Le suspect a avoué les meurtres mais sa garde à vue a été levée en raison de ses troubles psychiatriques, liés semble-t-il à une schizophrénie. Il a été hospitalisé d’office. L’enquête est confiée aux gendarmes de la Section de recherche de Paris.
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Référence : AJU464925