Tribunal de Paris : « On est prêts à casser du condé » fanfaronne un prévenu lors de la fête de la musique

Publié le 24/06/2025 à 20h47

Parmi les 46 gardes à vue prolongées lundi 23 juin, 30 mis en cause ont été déférés, dont 18 en comparution immédiate. Trois salles du tribunal de Paris ont été nécessaires pour absorber ce « flux » supplémentaire. À la 23-3, on a examiné le cas de trois d’entre eux. D’autres dossiers ont dû être renvoyés.

Tribunal de Paris  : « On est prêts à casser du condé » fanfaronne un prévenu lors de la fête de la musique
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

« La fête de la musique, ce sont des gens qui jouent de la guitare dans la rue et chantent mal des chansons populaires, et on se retrouve avec des tirs de mortier et des individus qui veulent en découdre avec les policiers » regrette une magistrate du parquet, ce mardi 24 juin, résumant l’ambiance des comparutions immédiates au surlendemain de la Fête de la musique. Dix-huit prévenus ont été jugés dans les salles 2.03, 6.01 et 6.04 du tribunal judiciaire de Paris.

Devant la 23-3, il y eut d’abord Uhsamm I., 30 ans. Débordé par son enthousiasme et un état d’ébriété très avancé, il aurait jeté des projectiles en direction d’un vigile, avant d’agiter son sexe devant lui. « Aucun souvenir », dit-il en arabe et à son interprète. Dans la foulée, il aurait frappé un policier, une photo de jambe affligée d’un hématome en atteste. « J’avais commencé à boire dès 15h jusqu’à 6h le lendemain, je n’arrivais même pas à me tenir debout, c’est impossible », se défend-il. Un policier et une photo disent le contraire.

« Quand on lit la procédure, on a bien compris que Monsieur est à la fois dans une situation de grande détresse – peu inséré, pas de famille, vivote – et qu’il est très alcoolisé », commente la procureure. Elle demande 15 mois avec sursis simple.

L’avocate rappelle qu’Ushamm a eu la dent cassée sur un panneau publicitaire, c’est dire la violence de la scène. Elle demande qu’on rabaisse la peine. Ushamm est condamné à un an de sursis simple et à une contravention de 500 euros.

« Ce tribunal est rempli de personnes qui prennent du Lyrica »

Puis, est amené Ahmed Fetni, né en septembre 2001. Tunisien en situation irrégulière moulé dans un maillot rouge, l’air bravache, il nie tout ce qu’on lui reproche.

Soit : un jet de bouteilles sur des policiers, à Paris 1ᵉʳ, place de la Canopée, dans le quartier des Halles. Les policiers l’ont aussi vu dissimuler des chaînes, une en argent, une en or, sous son vêtement. L’une d’elle provient d’un vol à l’arrachée survenu la veille à Bondy. La victime, un homme de 72 ans représenté à l’audience, a reconnu sa chaîne, mais pas le voleur.

Le prévenu nie ou il ne se souvient plus, on n’est pas sûr de comprendre. Il s’exprime d’un ton haché, ses paroles sont décousues. « Je me rappelle que la police m’a attrapé dans le dos, patate et tout et tout.

— Vous n’avez pas le souvenir d’avoir jeté des bouteilles sur les policiers ?

— Non.

— On a les déclarations des policiers, mais sur la vidéo, on ne vous voit pas jeter les bouteilles. Pourquoi vous cachez les chaînes dans vos sous-vêtements ?

— Nan.

— Donc, les policiers mentent ?

— C’est dans ma sacoche.

— Comment vous expliquez qu’on retrouve une Rolex ?

— C’est ma montre

— C’est une vraie ?

— Non. »

Deux condamnations au casier, livreur de pizza, il vit dans la ville de Vendôme. Il fume du cannabis et consomme du Lyrica. « Pourquoi vous prenez du Lyrica, vous avez des crises d’épilepsie ?

— Non, mais j’ai essayé. J’aime bien.

— Vous pensez que c’est une bonne idée ? Ce tribunal est rempli de personnes qui prennent du Lyrica et qui font des choses pas géniales ».

La procureure demande six mois ferme pour le tout. Le tribunal le relaxe pour les violences et le condamne à six mois ferme pour le seul recel.

« Pourquoi vous restez sur place ?

À 5 heures du matin dans le quartier des Halles, la fête de la musique prend des allures de champ de bataille. Face aux policiers parqués en formations « maintien de l’ordre », quelques dizaines de jeunes ont enroulé leur sur le visage, comme s’ils attaquaient une diligence. Sauf qu’ils jettent des bouteilles vides sur des CRS harnachés et haranguent, crient des insultes, respirent des gaz lacrymogènes et prennent des coups de matraque.

Nicolas E., 19 ans, et François P., 20 ans, alignés dans le box de la chambre 23-3, ont renfilé leur t-shirt noir et baissent la tête à l’énumération des chefs de prévention qui les accable. « Outrage, Rébellion et violences », pour le premier, un jeune homme mince ayant infligé 6 jours d’ITT à un policier, 30 jours à un autre. Outrage, rébellion, violences par des jets de bouteille de verre pour le second, un peu plus grand, même stature.

Tous deux ont été interpellés à 5 h 40, rue Rambuteau, après avoir été identifiés comme des fauteurs de troubles, parmi d’autres. François P. est le premier à être interrogé par le président. Depuis la garde à vue, sa position est immuable : « Je nie les faits. »

« L’outrage ?

— Je nie.

— Pourquoi, sur la vidéo retrouvée dans votre téléphone, on voit des gens qui haranguent les policiers et notamment leur font des doigts d’honneur ?

— C’est pas moi.

— Pourquoi vous vous trouvez là, à 5h du matin ? Tout le monde est d’accord pour dire que la situation n’est pas calme et apaisée, pourquoi vous restez sur place ?

— …

— Et la rébellion en, je cite, « gesticulant » ?

— On m’a mis au sol, je me suis mis en boule pour encaisser le plus de coups possibles.

— Les violences par jets de bouteilles de verre ?

— C’est pas vrai non plus.

— Vous avez une idée de pourquoi on vous a interpellé ?

— Aucune idée. »

Nicolas E. nie les jets de bouteille, mais il reconnait l’outrage, «  par rapport au fait qu’on nous charge sans raison.

— Vous êtes expert en technique de maintien de l’ordre ? Le tribunal ne sait pas s’il y avait une bonne raison, il n’est pas expert, et je doute que vous le soyez. Qu’est-ce que vous faites aux Halles à cette heure-là ?

— Avec un groupe d’autres amis, on devait se rejoindre, pour repartir ensemble.

— Et la vidéo ? »

Dans son smartphone, une photo, diffusée sur SnapChat, barrée par cette formule : « On est prêts à casser du condé ». Elle est horodatée à 4 h 53. Il admet être l’auteur de cet écrit, et ajoute : « Il y a une autre capture d’écran qui dit, un peu plus tard : ‘c’est faux, c’est eux qui nous ont tué’. »

Essayant d’échapper à son interpellation, Nicolas s’engouffre dans l’espace réduit entre un policier qui tente de l’intercepter et une vitrine. En percutant le policier, il l’envoie dans la vitrine, ce qui a pour effet de luxer l’épaule du fonctionnaire. Résultat : 30 jours d’ITT. Alors qu’il se rue vers la bouche de métro, un motard fonce sur lui, descend de son deux-roues, l’attrape. Nicolas E. tombe, les deux roulent dans les marches, le policier s’abîme un pouce : 6 jours d’ITT.

De ces violences, le prévenu se défend. « C’est lui qui m’a mis un coup de pied », dit-il du premier. « La moto a tenté de m’écraser », prétend-il du second.

« Comment vous expliquez que vous vous retrouviez là, à risquer 10 ans de prison ? »

Ce qui choque la procureure, c’est que ces deux jeunes hommes sont insérés, suivent une formation, ont eu une « enfance parfaite », a admis l’un. Au deux, elle demande : « Comment vous expliquez que vous vous retrouviez là, à risquer 10 ans de prison ? »

Après avoir, selon elle, établi la matérialité des faits (témoignages concordants des policiers, aveux partiels des prévenus), la procureure poursuit son réquisitoire sur le mode du sermon ; elle lâche ce qui lui pèse sur le cœur, quelque chose de furieux et de peu agréable à entendre, et ces deux prévenus en sont les réceptacles captifs. « Mais qu’est-ce que vous faites là ? Si aujourd’hui, il y a un certain nombre d’hommes politiques qui pensent qu’il y a un ensauvagement de la France, c’est à cause de faits comme ça. C’est vous le problème ! C’est vous qui faites que des politiciens veulent qu’on vous supprime le sursis simple, alors que nous, magistrats et avocats, on essaie de faire en sorte qu’il y ait des peines justes », s’emporte-t-elle. « Il y a des gens dans ce box en comparution aujourd’hui qui n’ont pas eu votre chance, depuis le premier moment de leur vie. Vous savez ce que vous êtes ? Vous êtes ces petits bourgeois qui se disent qu’ils vont casser du policier et qui sont contents ! »

« Aujourd’hui, vous avez donné raison à tous les gens qui pensent qu’il faut vous envoyer en prison. Moi, c’est pas ce que je vais requérir. » Contre François P. elle demande 15 mois de prison avec sursis, et une interdiction de se rendre à Paris pendant six mois. Quinze mois, dont six mois ferme, aménagement ab initio sous la forme d’un bracelet électronique pour Nicolas E.  Un stage de citoyenneté pour les deux. « Vous avez fait votre entrée dans la délinquance par la cour des grands ! »

L’avocat en défense demande la relaxe totale pour François P., la relaxe concernant les violences reprochées à Nicolas E. Comme pour apaiser le feu des réquisitions, le référent chargé de superviser les jeunes avocats assurant la permanence pénale s’avance pour dire un mot : Je suis d’accord avec Madame la procureure », et souhaite que tout le monde travaille avec sérénité à l’œuvre de justice.

Nicolas E. a été reconnu coupable et condamné à la peine requise, François P. a été relaxé des faits de rébellion, condamné pour le surplus à 12 mois de prison avec sursis. Le président a conclu : « Il n’y a pas lieu d’esthétiser les violences contre les policiers, on n’est pas dans un clip de rap ».

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