Tribunal de Pontoise : « Ça fait longtemps que j’ai pas fumé un p’tit pétard ! »

Publié le 21/04/2022

Ivre, Manuel a menacé d’incendier une clinique vétérinaire, tandis que Saïd est prévenu de vol avec effraction, en récidive, devant les comparutions immédiates de Pontoise.

Tribunal de Pontoise : « Ça fait longtemps que j’ai pas fumé un p’tit pétard ! »
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Manuel a le visage tout chiffonné, les cheveux hirsutes, et quand il entre dans le box des comparutions immédiates de Pontoise, vendredi 18 février, il trébuche. Heureusement, les gendarmes le tiennent fermement. « Monsieur ! Levez la tête Monsieur, oui c’est moi qui vous parle, dit la présidente. Acceptez-vous d’être jugé aujourd’hui ? » Manuel répond trop loin du micro. « Il faut que je vous entende, Monsieur, relevez le micro ». Manuel tente d’attraper le pied télescopique, mais il a les mains entravées. La présidente écarquille les yeux :

«— Monsieur le gendarme, il faut le démenotter !

— Au temps pour moi ! »

Un vétérinaire est-il un professionnel de santé ?

Manuel a les mains libres et ajuste le micro. La présidente rassure le public : « C’est une simple omission, les gendarmes connaissent la procédure. » Le visage confus du gendarme suggère qu’en ce qu’il concerne, il ne savait pas qu’il fallait démenotter le prévenu  à l’audience.

« Aujourd’hui ! » répond finalement Manuel, qui ne veut pas que son affaire soit renvoyée.

Il est prévenu de menaces de mort à l’encontre d’une professionnelle de santé.

Son casier est déjà assez fourni. La présidente a du mal à s’y retrouver.

« —Vous nous confirmez que vous avez bien été condamné le 23 octobre 2020 ?

— Franchement madame, je ne m’en souviens plus. »

Manuel, 44 ans, est au RSA et ne travaille plus depuis 7 ans. Il boit beaucoup, et quand il boit, il fait n’importe quoi, comme mettre le feu à sa maison.

« — Vous consommez un peu de drogue aussi ?

— Ça fait longtemps que j’ai pas fumé un p’tit pétard ! » confie-t-il. Mais il boit vraiment beaucoup.

Cette affaire, dit la présidente, pose un problème juridique intéressant, qu’il nous appartient de résoudre et de faire jurisprudence ici, à Pontoise. Car la victime est vétérinaire. Un vétérinaire est-il un professionnel de santé ? Eh bien selon nous, la réponse est oui, car sa profession est régie par le code de la santé. Procureure, avocate, tout le monde est d’accord. Le problème est vite résolu.

Deux grammes par litre de sang

Ce matin du 16 février 2022, à Méry sur Oise, il est 11h et Manuel est complètement saoul et hors de lui, quand il se présente à la clinique vétérinaire. Il est intenable, insulte et crie, puis menace de « cramer la clinique ». La vétérinaire appelle les gendarmes, Manuel est placé en dégrisement puis en garde à vue.

« — Vous aviez deux grammes par litre de sang, souligne la présidente.

— J’avais bu deux bières !

— Vous avez certainement mis un peu de cognac dans le café. »

Manuel s’était déjà présentée la veille devant la même vétérinaire. Ivre, il exigeait que son chien soit vacciné. Il lui aurait mis un coup de pied, ce qui aurait incité la vétérinaire à la chasser.

Quelques heures heures plus tard, ce n’est pas Manuel qui revient, mais le chien, porté par une autre personne. Il a la patte cassée, cette fois la vétérinaire prend en charge l’animal. Si Manuel est revenu le 16 février à 11h, c’est pour exiger de récupérer son chien.

« — Vous dites que c’est vous qui avez cassé la patte du chien en lui marchant dessus. Pourquoi ne pas l’avoir amené vous-même ? » interroge la présidente. Vous aviez honte, c’est ça ?

— Euh, oui, voilà. »

Manuel ne se souvient plus de grand-chose, et il est probable qu’il n’était pas en état de porter son chien à la clinique vétérinaire.

« Le problème, Monsieur, c’est que vous buvez du soir au matin. Qu’est-ce qu’on va faire de vous ? Vous vous êtes fait soigner ?

— J’ai pris des médicaments, et puis j’ai craqué.

— Et ça fait combien d’années que vous buvez ?

— Depuis que mon père est décédé. Dix ans. »

Avant de prendre ses réquisitions, la procureure indique qu’elle a ouvert une procédure incidente pour maltraitance animale. Manuel n’écoute pas. Elle requiert 6 mois de prison et la révocation d’un sursis probatoire à hauteur de deux mois.

En défense, l’avocate est embêtée. « Sur les faits, j’avoue que je n’ai pas matière à contester. Mais quand il profère des menaces, il est inconscient ! C’est sans intention de les mettre à exécution  ! »

« On va aller plus vite, vous connaissez la musique »

Manuel sort du box, Saïd entre. Sans papier ne parlant pas le français, il est prévenu d’un vol avec effraction. Saïd ne laisse pas le temps à la présidente de résumer les faits, il argumente  : « Je cherchais un endroit où dormir, je suis sans papier et sans domicile. » C’est à Deuil-la-barre, dans le Val d’Oise, que Saïd et son acolyte pensent trouver un refuge. Le problème, c’est qu’un homme vit dans la maison qu’ils croyaient abandonnée. Il  appelle la police qui interpelle les deux intrus et trouve sur eux des objets appartenant au propriétaire dont quelques centimes de francs. Garde à vue et défèrement — pour Saïd seulement, car son complice est mineur.

Saïd répète son histoire, tandis qu’une assesseuse chuchote à l’oreille de la présidente, qui interrompt le prévenu :

« Attendez Monsieur ! » Grand sourire. « Ma collègue vous a reconnu ! Elle dit que vous aviez sorti exactement le même discours, le 4 septembre 2020. Et vous aviez la même avocate » — mais l’avocate ne s’en souvient pas. « Bon, eh bien on va aller plus vite, vous connaissez la musique ».

Saïd répète qu’il ne s’est éloigné de Paris que pour trouver une maison inhabitée. La présidente répond d’un ton ombrageux :  » Monsieur, la maison, elle est dévastée. Monsieur G. explique que c’est sa maison, il vit dedans. Il ne peut plus y habiter car il subit plein de cambriolages ».

“ Je ne peux plus dormir chez moi. J’ai mis des portes blindées, des barres aux fenêtres” a confie la victime aux policiers.

La présidente semble ulcérée.

« — Qu’est-ce que j’irais faire de ces francs ! tente d’objecter le prévenu.

— C’est bien ce que je me demande. »

La procureure requiert 8 mois ferme et une interdiction du territoire.

Après une suspension pour délibérer, les sanctions tombent.

Saïd est condamné à 8 mois de prison avec mandat de dépôt,  5 ans d’interdiction du territoire et à verser 1 500 euros à la victime au titre du préjudice moral.

Le gendarme a bien retenu la leçon, et c’est les mains libres que Manuel entend le jugement prononcé à son encontre : 6 mois de prison, et deux mois de révocation d’un sursis avec mise à l’épreuve. Mandat de dépôt. On lui repasse les menottes.

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