Tribunal de Pontoise : « ça nous sort des dossiers de violences ! »

Publié le 18/08/2023

Trois personnes comparaissent, jeudi 13 juillet, pour une escroquerie en bande organisée, devant les comparutions immédiates de Pontoise. Via Le Bon Coin, ils auraient arnaqué un homme qui vendait ses Rolex.

Tribunal de Pontoise : « ça nous sort des dossiers de violences ! »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 Le président adresse au jeune prévenu un sourire carnassier : « vous feriez partie d’une bande. Vous n’avez pas reconnu les faits, vous n’allez pas les reconnaitre aujourd’hui j’imagine ? » Non, répond David, 20 ans, crispé à la barre.

Le juge se tourne alors vers le box, où Bruno, 38 ans et sa sœur Julia, 39 ans, affichent les mêmes trombines joufflues et un air affligé : « Qu’est-ce qui vous a pris ? Juste un mot.

— J’étais en angoisse, j’avais une petite fille qui était malade, j’avais besoin d’argent, avoue Bruno, 2 mentions au casier (dont une en Allemagne).

— Et vous ?

— Le jour-même j’étais chez moi tranquille avec mes enfants, mon frère est venu je l’ai suivi en pleine confiance », explique Julia, 22 mentions au casier, dont une en Autriche, une en Italie et une en Espagne.

Comme les fois précédentes, ils sont poursuivis pour escroquerie en bande organisée. En revanche, c’est une première pour le jeune homme bien mis qui dit ne pas connaître les deux prévenus dans le box. Ces derniers confirment : jamais vu ce jeune, bien qu’il porte le même nom que le beau-père de Bruno, mais c’est un patronyme serbe très répandu.

« Monsieur a des Rolex, mais pas didées »

Les présentations ayant été faites, le président prend une grande inspiration, regarde ses notes – car il écrit toujours la synthèse qu’il présente en audience – et entonne :

« Monsieur a des Rolex, mais pas d’idées. Il en met une en vente à 30 000 euros sur Le Bon Coin. Un acheteur prend contact avec lui en se présentant comme un milliardaire israélien ayant fait fortune dans le bitcoin. Il incite le vendeur à vendre sa deuxième montre, au prix de 80 000 euros. Un rendez-vous est fixé. Première erreur, ils vont en zone gendarmerie. » Le regard du magistrat s’illumine : « Qui dit zone gendarmerie dit section de recherche, qui dit section de recherche dit 55 tomes (NDLR : La section de recherche de la gendarmerie est connue pour mener des enquêtes longues, pointilleuses et rigoureuses), ADN, tatatatata ». Cette évocation d’un bruit de mitraillette fait rire une avocate. Tel un chef d’orchestre, le président réclame le silence de l’auditoire d’un geste de la main. « L’acheteur dit s’appeler Dov, le nom d’un personnage de La vérité si je mens » (nouvelle hilarité sur les bancs de la défense, une avocate abonde).

Le vendeur est de nationalité et de résidence belge. Il se rend au rendez-vous dans la salle de réunion d’un Novotel à Roissy. L’acheteur, Bruno, se fait passer pour un Anglais, envoyé par son ami Dov’ qui a pris contact avec l’acheteur. « Ce qui signifie que vous avez adopté un rôle, cela dénote un certain niveau », souligne le président. Il est accompagné d’une dame feignant de ne pas parler français. « Compte tenu de la masse de pognon que ça représente, il y avait une compteuse à billet. La victime aurait amené une lampe à UV ; c’est la femme de la victime qui compte », poursuit le président. « Le vendeur dit que votre rôle, Madame, c’est de jacasser et, ainsi, de distraire l’attention des autres. La femme de la victime, observatrice, va décrire avec précision la tenue des acheteurs. »

Lorsque le vendeur de Rolex ouvre le sac à l’issue de la transaction : « c’est des faux biffetons ! Mêlés à quelques vrais que la victime avait vérifiés, mais il a été dupé », relate le magistrat.

« Jai fait une bêtise je lassume »

Les « vaillants militaires » vont déceler des traces papillaires, sur les billets et sur le sac, qui permettent de remonter aux deux protagonistes. Le téléphone de Julia borne sur place, elle est reconnue par la femme de la victime : ils sont confondus. Julia reconnaît avoir touché 2 000 euros, tout en minimisant. « Vous dites avoir eu un rôle en retrait, ne pas avoir activement participé. On va être clair : je crois un belge qui s’est fait délester de 120 000 balles, ou je crois une dame qui s’est fait condamnée 24 fois ? » questionne le président.

Puis il se tourne vers Bruno : « Comment avez-vous fait pour berner la dame ?

— J’avais des vrais billets que je lui ai donnés pour qu’elle compte et, puis je les ai repris et je lui ai donné les faux. » Il ajoute : « J’ai pris ma sœur avec moi, je ne lui ai rien expliqué, j’ai fait une bêtise, je l’assume.»

Le président s’adresse à David : « Vous seriez celui qui a acheté le téléphone conspiratif, d’après les gendarmes. Une ligne ouverte pour les besoins de la cause. »

Le prévenu réfute : c’est un ami qui a utilisé sa ligne pour passer un appel alors qu’ils étaient ensemble. Le président secoue la tête : « Ce téléphone a été en contact avec un individu qui vend des compteuses à billets. Il est ensuite géolocalisé à Forbach : qu’est-ce que vous y faisiez, en même temps que le soi-disant Dov ?

— Le même ami m’y a déposé », tente David. Il ne connaît pas l’identité exacte de cet ami.

La procureure prend ses réquisitions, guillerette : « Mon premier « good deal » depuis que je suis à Pontoise ! C’est un dossier intéressant, distrayant, ça nous sort des affaires de violences qu’on peut avoir par ailleurs. » Après avoir refait la démonstration, elle requiert trois ans ferme et six mois de sursis probatoire pour les deux prévenus détenus, un an ferme sans mandat de dépôt pour David, qu’elle soupçonne par ailleurs d’avoir joué le rôle de Dov’.

« Le choc carcéral a été violent »

C’est l’avocate de ce-dernier qui plaide en premier.  Elle ne voit tout simplement pas de lien entre son client et les deux du box, et demande au tribunal de croire ses explications. L’avocate de Julia souligne quant à elle que la participation de sa cliente est d’une extrême passivité, elle est comme ballottée par le cours des évènements. Elle pense « qu’on est plus sur la réunion que sur la bande organisée, qui suppose une plus grande élaboration. Oui, elle a été condamnée de nombreuses fois, mais en tant que pickpocket, que des courtes peines, et on fait un grand écart aujourd’hui avec une peine de trois ans. » Elle supplie presque le tribunal et suggère la peine qui lui parait appropriée : trois ans dont un an ferme (placement sous surveillance électronique) et deux ans de sursis probatoire.

Quand l’avocate de Bruno prend enfin la parole, c’est pour souligner la sincérité de son client, qui a reconnu immédiatement les faits, avant-même qu’on lui présente les preuves. « On est sur la rencontre de deux turpitudes ; de celui-ci, qui a été mandaté pour donner des faux-billets en vue de récupérer les montres, et des gens qui cherchent à vendre des montres plus chères que leur valeur. Deux cadres à la BNP, qui savent qu’on ne peut pas payer plus de 1 000 euros en espèces. Tout ça n’aurait pas pu vous arriver, nous arriver, car on est sur des profils un peu border line », plaide-t-elle. De son client, elle dit : « Le choc carcéral, il y a trois semaines, a été violent. Si le vœu c’était de lui faire comprendre, ça a été fait, la case a été cochée. »

Le tribunal décide finalement de prolonger ce choc : trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis probatoire, maintien en détention pour Julia et Bruno. David écope de douze mois de prison avec sursis. Ils sont condamnés à rembourser 104 000 euros de préjudice matériel. La victime est déboutée de sa demande de préjudice moral.

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