Tribunal de Pontoise : « ça ressemble à de la livraison de stupéfiant, non ? »
Un village dans le Vexin, un contrôle routier, 22 grammes de cannabis, un suspect qui garde le silence, une comparution immédiate, un prévenu qui en dit le moins possible. Un dossier banal au tribunal de Pontoise.
Marines est un village du Vexin, agrémenté d’un château du XVIe siècle coiffé de hautes toitures couvertes d’ardoises et d’une église de style gothique primitif, où les soirées sont généralement d’un calme écrasant, si bien que Soulmane, 25 ans, ne s’attendait sans doute pas à subir un contrôle routier.
Nous sommes le 31 août, il fait chaud, les fenêtres de sa voiture sont ouvertes, il vient de se garer sur le bas-côté. En se penchant vers lui, le gendarme sent une forte odeur de cannabis dans l’habitacle. Le contrôle routier vire à la fouille du véhicule. Derrière le siège passager, dans une chaussure, on découvre six sachets contenant chacun une barrette de résine de cannabis, pour un total de 22 grammes. Dans le vide poche, un cutter dont la lame porte une marque brunâtre suspecte. Soulmane est embarqué.
Les 48 heures de garde à vue ne donnent rien, car il se tait. Son téléphone non plus : il a refusé de donner son code de déverrouillage. Il est poursuivi pour cela, ainsi que pour détention et transport de produits stupéfiants, devant le tribunal correctionnel de Pontoise, lundi 4 septembre.
« Quelque chose d’intime »
« Que dites-vous au tribunal aujourd’hui ? interroge la présidente.
— La résine de cannabis m’appartient, c’était pour ma consommation personnelle.
— D’accord, et pourquoi ne pas l’avoir dit aux policiers ? Qu’est-ce que vous craigniez ?
— Je craignais qu’ils en parlent à ma mère.
— Eh bien ils en avaient déjà parlé à votre mère, puisqu’ils l’ont interrogée. Et pourquoi aviez-vous un cutter ?
— Je l’ai gardé d’une ancienne mission d’intérim que j’avais effectuée pour Leroy Merlin, j’avais oublié qu’il était là.
— Et le cannabis, pourquoi en plusieurs sachets ?
— Je l’ai acheté comme ça. J’en ai eu pour 70 euros, et je n’ai pas eu le temps de consommer. Je venais de l’acheter à Asnières.
— Et pourquoi ne pas avoir donné votre code de déverrouillage ?
— Parce que c’est quelque chose d’intime. »
Le fait de savoir si le prévenu ment ou non semble parfaitement indifférent à la présidente, qui se contente de relever qu’il est connu pour « vente et cession » de cannabis, qui constituent la moitié des huit mentions inscrites à son casier.
« C’est une erreur judiciaire »
Soulmane a l’air endormi dans son box, amorphe, la voix douce et basse, au contraire de la juge assesseure assise à gauche de la présidente, dont la voix et le ton sec claquent : « Parlons très clairement, ça ressemble à de la livraison de stupéfiant, non ? Si vous consommez des stupéfiants, pourquoi votre prise de sang est revenue négative ?
— Parce que ça fait longtemps que je n’avais pas fumé.
— Donc vous aviez besoin de prendre 22 grammes ?
— Il y avait une soirée, c’était pour partager. »
« Monsieur est convoqué le 27 octobre prochain pour des faits de stupéfiant, intervient la procureure.
— À Bobigny ? C’est une erreur judiciaire, Bobigny, se réveille Soulmane.
— Vous n’avez pas été condamné et êtes présumé innocent, c’est du contexte. »
Consommateur mais pas dealer
Dans la foulée, elle requiert dix mois de prison dont cinq assortis d’un sursis probatoire : « C’était dans son intérêt de donner les codes de son téléphone, pour prouver qu’il ne vendait pas », pense-t-elle.
L’avocat de la défense fait remarquer que son client n’est pas poursuivi pour cession, mais pour transport et détention, ce qu’il ne nie pas. « Le parquet avait l’opportunité de poursuivre pour trafic, ce qu’il n’a pas fait », ajoute-t-il. D’une logique implacable, il assène : « Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il aille acheter du cannabis, puisqu’il est consommateur », et demande qu’en lieu et place de la prison lui soient infligés des travaux d’intérêt général.
Mais le tribunal opte pour la prison : six mois, dont trois avec sursis. Les trois mois ferme sont aménagés ab initio sous la forme d’un placement sous surveillance électronique.
Référence : AJU394782