Tribunal de Pontoise : « C’est à celui qui ment le plus »
Un jeune majeur comparaît seul pour avoir frappé, en compagnie de mineurs, un autre mineur, qu’ils soupçonnaient – à tort – d’avoir volé un ami commun. Un quiproquo qui a coûté 10 jours d’ITT à la victime, et un traumatisme psychologique important.
Alan a rendez-vous avec son ami Yohan, qui l’attend en bas de l’immeuble de Vincent, tout près de chez lui, Cité des roses à Cormeilles, et quand il y pense après coup, c’était peut-être bien un guet-apens. Mais il ne soupçonne rien ce 27 janvier 2023 quand il croise cinq personnes en bas de l’immeuble, dont trois qu’il connaît du foot, et un plus vieux (18 ans), qu’il ne connaît pas mais qui porte un pantalon gris. Alan et certains se posent sur un banc pendant que d’autres vont acheter des boissons. Vincent les rejoint. Il check tout le monde, même le grand de 18 ans, puis ils bougent vers le square Windsor où ils se calent sur un banc.
Alan est sur son téléphone. Un jeune lui demande s’il peut lui emprunter pour se connecter à son Snap Chat. Alan lui prête, et l’homme au jogging gris l’attrape par l’épaule et lui dit de s’asseoir, alors Alan s’assoit. Le jeune homme lui dit : « C’est toi qui as volé Mamadi. » Alan lui dit que non mais se prend d’emblée des coups au visage, puis d’autres, et finalement tout le monde le frappe. Sauf Vincent et Yohan.
Après l’avoir tabassé et dépouillé, ils laissent Alan en caleçon et en sweat, seul dans le square. Alan s’assoit sur un banc, sonné, et là arrive Mamadi. Il lui raconte tout, ça rend Mamadi complètement fou. Il les appelle tous pour les engueuler et les sommer de lui rendre tout ce qu’ils lui ont volé. Il ramène Alan chez lui où ils désinfectent ses plaies, lui collent des pansements. Alan rentre à la maison avec un jogging et de chaussures prêtées par Mamadi, qui a compris que ses amis ont voulu le venger, et qu’ils se sont trompés de personne. Alan est salement amoché et ne raconte rien à ses parents. Il veut juste dormir.
« Traumatisme crânien, fracture du nez »
Le résultat : traumatisme crânien, occlusion quasi complète de l’œil, fracture du nez. Il porte plainte avec ses parents le lendemain. Il désigne tous les participants, et seul le petit Bryan, un mineur, reconnaît les faits. L’unique majeur s’appelle Kalone (inconnu de la justice) il est devant le tribunal correctionnel de Pontoise ce 28 septembre, jogging et veste noirs, et n’admet qu’une chose : il était bien là, mais a quitté le groupe au début du passage à tabac, et n’a porté aucun coup. La présidente l’interroge sur son rôle exact :
« — Bon sur cette scène vous avez assisté à quoi ?
— J’ai décidé de garder le silence.»
« C’était le plus violent »
La présidente donne d’autres précisions. Après les appels outrés de Mamadi, Yohan a contacté Alan sur Snap pour lui dire qu’il avait récupéré ses chaussures. Alan se rend sur place avec son père : ce ne sont pas les bonnes chaussures, mais il y trouve ses semelles orthopédiques. Puis il voit Bryan, qui lui rend son bas de survêtement, sa carte bancaire et son téléphone (cassé). La présidente dit aussi que ce qui est qualifié de vol avec violence a causé dix jours d’ITT à Alan. Elle précise que la scène de violences a été filmée et qu’elle a tourné sur les réseaux sociaux.
Elle parle ensuite de la procédure, devant un prévenu toujours silencieux. Kalone s’est présenté au commissariat sur convocation, puis il a été regroupé avec les autres mis en cause, en vue d’un tapissage « très mal fait » : tous les suspects ont été présentés, et Alan a simplement dit : je les reconnais tous. Ce qui n’est pas vraiment un tapissage. Alan dira de Kalone : « c’était le plus violent, mais il ne m’a rien volé. »
La présidente poursuit : « On va avoir autant de versions que de mineurs. Ils ne se sont pas assez vus pour mettre en accord leur version. C’est à celui qui ment le plus, c’est un peu ça les auditions. » En gros, chacun dit soit qu’il a vu Alan se battre avec quelqu’un, soit qu’ils ne se connaissent pas, soit ils désignent quelqu’un mais pas forcément la même personne.
Alan est présent à l’audience, avec sa mère. Il s’avance à la barre et, sur question de la présidente, confirme reconnaître son agresseur.
« — Pensez-vous que c’est Vincent et Yohan qui vous ont tendu un piège ?
— Oui aujourd’hui c’est ce que je pense. »
Un assesseur lui demande : « comment vous sentez-vous ?
— Je m’énerve plus vite, je suis anxieux, nerveux.
— Et au niveau des études ?
— Oui aujourd’hui ça va.
— Vous êtes toujours Lycéen ?
— J’ai changé de Lycée, mais pas suite à ce qu’il s’est passé.
— Vous aviez déjà été victime d’une bagarre ?
— Oui je me suis embrouillé avec le cousin d’un ami, mais après ces faits, et je pense que c’est à cause de ça.
— Et avant ?
— Non, jamais.
— Donc vous ne comprenez toujours pas aujourd’hui.
— Non. »
Le prévenu dit que ce n’était pas lui, et que tout ça, c’est n’importe quoi.
« Cette famille a mené seule l’enquête »
L’avocat de la partie civile donne des informations supplémentaires : « Cette famille a mené seule l’enquête, les policiers s’en sont désintéressés. Le père, qui a fait l’enquête, est suivi par un psy, car il a tout pris sur lui, et aujourd’hui il va mal. » Il explique que, dans la procédure contre les mineurs, il a été décidé d’un supplément d’information, car l’enquête menée jusque-là a été très pauvre.
La procureure se contente de souligner que la victime a reconnu très précisément le prévenu, et que la défense laconique de ce dernier n’est pas très convaincante. Elle requiert 12 mois de prison dont 6 mois avec sursis, ainsi qu’une interdiction de contact avec la victime pendant 3 ans.
Kalone se défend seul : il garde le silence. Le tribunal le condamne aux réquisitions.
Référence : AJU405002