Tribunal de Pontoise : « on est face à une très grande misère sociale, mais ce n’est pas une raison »

Publié le 07/12/2022

Karim a visité nuitamment un local d’habitation pour y dérober quelques objets. Filmé par une caméra de vidéosurveillance, il est contrôlé, reconnu et interpellé 2 mois plus tard. En comparution immédiate à Pontoise, l’homme de 42 ans est fataliste.

Tribunal de Pontoise : "on est face à une très grande misère sociale, mais ce n’est pas une raison"
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Démarche chaloupée, chemisette ample à imprimé « pop » sur t-shirt blanc, Karim est un prévenu de 42 ans dont le visage émacié, marqué et osseux, témoigne d’une existence empreinte de difficultés, voire de souffrances. De celles qui poussent certaines personnes à commettre des délits et, s’agissant de Karim, à pénétrer par effraction dans un local d’habitation afin d’y dérober divers objets.

Pourvu d’une avocate opiniâtre, Karim l’observe présenter des conclusions visant à relever certaines nullités dans la procédure, que l’auxiliaire de justice expose ainsi : les policiers ont failli à leur devoir de contacter un avocat pour la défense de Karim, après l’avoir contrôlé de façon illégale. L’avocate conclut que cette procédure, c’est un peu n’importe quoi.

Certains de ses confrères font les cent pas dans le prétoire, gesticulent ou moulinent tandis qu’ils plaident, mais l’avocate de Karim, telle une conférencière maîtresse de ses nerfs, garde une position fixe et droite, se référant de temps à autre à ses notes et levant le plus souvent ses yeux vers le tribunal, au-dessus duquel une formule sentencieuse typique des lieux de justice s’étale en grosses lettres : « La justice est l’ultime instance où se proclame et se rappelle la valeur des choses ».

En l’espèce, la justification légale du contrôle de Karim, concède le procureur, est irrégulière. Il a été contrôlé sur la base d’un contrôle routier, mais les policiers auraient dû « basculer sur l’article 78-2 du Code de procédure pénale », lorsqu’ils eurent compris à qui ils avaient affaire. De ce fait, il demande l’annulation des actes subséquents, ce qui peut entraîner des conséquences sur le fond de l’affaire, que le tribunal décide d’aborder sur-le-champ.

Le fond débute par un contrôle de police sur la personne de Karim, conducteur d’un véhicule terrestre à moteur de type trottinette électrique, un 27 octobre à Sarcelles. Les policiers connaissent bien cet homme, SDF, qu’ils voient arpenter le bitume et qu’ils contrôlent régulièrement. En le reconnaissant et après avoir trouvé sur lui une gazeuse, un long couteau et une matraque télescopique, ils l’embarquent aussitôt, car son visage a été aperçu sur des images de vidéosurveillance d’une maison cambriolée au cœur de l’été, dans la nuit du 12 au 13 août plus exactement, également à Sarcelles.

« Les bijoux, c’était du toc »

Karim s’y trouve entre 4 heures et 5 heures du matin pour y dérober un ordinateur MacBook, des bijoux et les pièces d’une tirelire. L’enquête conclut à une effraction, car le propriétaire a décelé des « traces de pesée » sur le bord de la porte-fenêtre. Karim s’inscrit en faux : « Je suis passé, tout était ouvert, la véranda était ouverte, je n’ai pas commis d’effraction, je ne casse pas un carreau à 4 heures du matin ! » Dans sa plaidoirie, l’avocate de Karim rappellera que la « trace de pesée » n’a pas été constatée par les policiers, mais résulte d’une simple déclaration du propriétaire, ce qui lui inspire la supposition selon laquelle ce Monsieur aurait peut-être inventé cette effraction pour éviter que son assurance ne renâcle à le rembourser, ce qui paraît crédible. Elle trouve étrange également la liste des objets déclarés volés : 3 MacBook, deux Rolex et des bijoux en or, entre autres.

« Les bijoux, c’était du toc, assure Karim, et le PC c’était un MacBook déclaré volé donc bloqué, que j’ai refilé à un petit. J’ai gardé quelques pièces de la tirelire que j’ai prises. Bref, c’est n’importe quoi et ça a servi à rien. »

On reproche également à Karim les armes qu’il détenait lors de son contrôle. Tout en se frottant la petite langue de poils drus qui lui fend le bas du visage, de la lèvre au menton, il se permet de rappeler au tribunal qu’il vit dans la rue. « C’est le monde de dehors, c’est dangereux. Je ne suis pas agressif mais il faut pouvoir se défendre. Je traîne sur Sarcelles et Saint-Denis, c’est un peu spécial. Et le couteau c’est uniquement pour couper de la nourriture. »

La présidente semble écouter Karim avec attention, et même le croire. Elle en vient à sa personnalité. En général, le sujet pour un prévenu de comparutions immédiates se résume à son casier judiciaire. Karim totalise 22 condamnations depuis 2001.

« — Que pensez-vous de vos condamnations ?

— Je ne sais pas quoi vous dire, oui, j’en ai beaucoup, c’est quand j’ai des périodes creuses. Je pense qu’il est temps de changer de territoire.

— Quitter l’Ile-de-France ?

— Le territoire français, et même l’Europe, je me vois bien aux Caraïbes. Saint-Domingue, j’ai vécu un peu là-bas ».

Soudain, Karim, bloqué dans un box exigu entre cinq uniformes somnolents, se prend à rêver des tropiques.

Mais pour l’heure, cet enfant de la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) paraît résigné. Il se trouve « stupide » et s’excuse pour le mal causé. Il se sent « honteux » de se retrouver encore dans cette salle. C’est à cause de ses souffrances qu’il n’arrive pas à s’en sortir. Karim est seul et ne peut pas faire autrement.

« J’ai l’habitude qu’on m’accuse de tout »

La présidente donne la parole au procureur, qui requiert la relaxe pour le port d’arme du fait de l’illégalité du contrôle de police. En outre, il demande la requalification du vol par effraction en vol sans effraction, et pour cela, demande 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. « Les faits ne sont pas anodins, c’est un individu très habitué. On voit bien qu’on est face à une très grande misère sociale, mais ce n’est pas une raison », dit-il.

L’avocate, après avoir plaidé à peu près dans le même sens, annonce : « je ne suis pas là pour faire pleurer Margot », mais elle aimerait bien que le tribunal prenne un peu en pitié son client. « Mon avocate a dit tout ce qu’il fallait dire. Je n’ai jamais volé de Rolex, mais j’ai l’habitude qu’on m’accuse de tout, j’ai une tête de bouc émissaire. Je ne reviendrai plus ici, je suis fatigué », conclut le prévenu.

Le tribunal, après l’avoir relaxé pour le port d’arme, l’a condamné à 9 mois de prison avec mandat de dépôt pour un vol sans effraction.

Karim retournera peut-être un jour aux Caraïbes, mais pour l’heure, il part en cellule.

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