Tribunal de Pontoise : « C’est quand même le scénario d’une série Netflix »
Aux comparutions immédiates de Pontoise, trois jeunes hommes comparaissent ce jeudi 14 novembre, pour « le gros dossier de la journée ». Deux scénarios s’affrontent.
« Enlèvement, séquestration détention arbitraire et violences » est le libellé de l’affaire qui a mené ces trois-là devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Deux ont un casier judiciaire et sont détenus, le troisième n’en a pas et a été placé sous contrôle judiciaire au moment de son déferrement, le 10 novembre. Yarouba, 20 ans, s’avance à la barre.
Le 8 novembre dans l’après midi, il croise la route de Youssef à Sarcelles. Il est accompagné de Brayan et Elias, aujourd’hui dans le box. Youssef est inquiet : il a une « dette de stupéfiants » envers Yarouba, qui ne l’a pas oubliée. Les trois l’encerclent, l’amène dans une cave, puis une deuxième, pour lui mettre des « penalty ». L’expression est éloquente ; il est frappé en tout à quatre reprises et accepte de les mener chez lui où il promet de leur remettre la somme de 180 euros qu’il doit à Yarouba (la somme sera relevée à 500 euros plus tard). Finalement, il s’échappe d’un bond et s’enferme chez lui. Sa mère le voit arriver avec la bouche en sang et appeler la police. « Venez vite, ils sont en train de casser la porte de mon domicile », entendent les policiers, qui constatent que l’appelant est en pleurs. Youssef et sa mère ont bien cru qu’ils allaient casser la porte. Les policiers accourent et arrêtent les trois individus dans la cage d’escalier.
« Je préfère garder le silence »
La présidente lève le nez de son dossier et demande à Yarouba : « Alors, qu’en dites-vous ?
— C’est comme j’ai dit, il me devait de l’argent pour une casquette que je lui avais vendue. On l’a pas ramené dans une cave. C’est vrai que je l’ai tenu, pour pas qu’il s’échappe. Je reconnais aussi que, quand on est arrivé à son immeuble, il a changé de ton, alors je lui ai mis un coup.
— Donc, vous changez de version. Pourquoi vous changez de discours à chaque fois qu’on vous interroge ?
— Parce que j’ai réfléchi.
— Quel coup vous lui avez porté ?
— Je lui ai mis une patate.
— Cette histoire de casquette, elle est juste ou elle est inventée ?
— Elle est juste.
— Parce qu’on ne voit pas trop son intérêt à inventer une histoire de dette de stupéfiants.
— Mais moi-même, j’ai halluciné.
— Un coup de poing, ça ne correspond pas aux constatations médicales : œdème à l’œil, perte d’une molaire, nez cassé. Comment vous expliquez ça ?
— Je préfère garder le silence.
— Et vos deux compères dans le box ?
— Je préfère garder le silence.
— Et la séquestration, vous ne la reconnaissez pas. Et vous l’avez poursuivi chez lui ?
— J’ai juste sonné et toqué tout doucement.
— Ce n’est pas raccord avec les déclarations de la famille de Monsieur S. »
« Je ne suis qu’un innocent »
Au suivant. C’est Élias, 22 ans. La présidente l’aborde directement : « C’est quoi vos déclarations à vous ?
— Les mêmes qu’au début, ça a pas changé. En gros, mon ami a croisé par hasard la victime comme vous dites, et j’allais pas le laisser partir tout seul jusque chez lui, donc je l’ai accompagné.
— Pas de séquestration dans une cave ?
— Absolument pas.
— Ça se passe comment quand vous allez dans le bâtiment ?
— Normal.
— Pas vraiment. Yarouba met un coup. Et vous, qu’avez vous fait ?
— Je lui ai mis aucun coup.
— Et vous le saviez qu’un coup avait été porté ?
— Je l’apprends à l’instant.
— Comment vous expliquez les multiples blessures assez graves qui semblent accréditer ses déclarations ?
— Aucune idée.
— Ce n’est pas une histoire de trafic de stupéfiant ?
— Absolument pas. »
Elle se tourne vers Brayan, 21 ans. « Et vous, monsieur ?
— Moi je reste sur mes dépositions, je ne suis qu’un innocent.
— Est-ce que vous avez porté des coups ?
— Rien du tout, Madame.
— Donc ni séquestration, ni violence, c’est bien ça, Monsieur ?
— Non. »
La présidente ne perd pas de temps et passe en vitesse sur les personnalités. Si Yarouba a un casier vierge, Elias a une condamnation et sera jugé en janvier pour un trafic de stupéfiants, et Brayan a été condamné à trois reprises – il est sous sursis probatoire. Aucun ne travaille, mais Brayan et Yarouba sont en formation et seront bientôt embauchés.
« Je pense qu’il nous a raconté une belle histoire ! »
De cette voix tonitruante qui le caractérise, le procureur entonne un réquisitoire énergique. Il y a beaucoup d’éléments qui vont dans le sens de la victime. Il ne croit pas à l’histoire de la casquette – ça lui paraît être une excuse inventée de toutes pièces – et trouve très crédible que Youssef ait évoqué un travail de rechargeur de point de deal qui serait à l’origine de la dette (« pourquoi s’autoincriminerait-il ? ») Et puis, surtout : « Comment on se fait ces blessures constatées par le légiste ? L’explication est toute simple : Monsieur S. s’est fait tabasser. » S’agissant de l’arrestation, de la séquestration et de l’arrestation arbitraire, il se fie aux vidéosurveillances qui montrent les trois en triangle autour de Youssef pour l’accompagner. « ‘Viens par ici, tu nous dois du fric’ : si ça c’est pas une arrestation ? » Il requiert 12 mois de prison avec mandat de dépôt contre Brayan et Elias et12 mois avec sursis contre Yarouba. Pour tout le monde : interdiction d’entrer en contact avec la victime et de se présenter à son domicile pendant trois ans, interdiction de détenir une arme soumise à autorisation pendant cinq ans.
L’avocat de Yarouba s’insurge : « quand on lit la plainte de Monsieur Seita, on est proche du théâtre : c’est un scénario ! » Il rappelle que son client n’a jamais été condamné, a fortiori pour du trafic de stupéfiants, ce qui accrédite la thèse de la casquette. La séquestration ? « On n’a aucun élément objectif qui vienne corroborer ce qui est affirmé. C’est quand même le scénario d’une série Netflix. » Il plaide coupable pour les violences admises par son client.
L’avocat de Brayan et Elias note que Youssef a varié dans ses déclarations. Beaucoup. Il évoque d’abord une rencontre à Garges-Lès-Gonesse, puis à Sarcelles. Dit d’abord avoir été en compagnie de sa copine enceinte, puis n’en parle plus. Il affirme avoir été frappé dans deux caves. Les policiers s’y rendront et ne trouveront aucun indice. Le temps de parcours constaté sur les caméras de vidéosurveillance, 21 minutes, est conforme au temps indiqué sur GoogleMaps (24 minutes), et n’autorise aucun arrêt de tabassage dans une cave. « Je pense qu’il nous a raconté une belle histoire ! »
Il est plus délicat de contester l’existence des blessures, mais l’avocat émet l’hypothèse que les dégâts au visage de Youssef puissent avoir été la conséquence d’un unique coup de poing. Ses clients, dit-il, n’ont commis aucune violence. « Ils sont des satellites de ce qu’il s’est passé et c’est contre eux, finalement, qu’on réclame un an de prison ferme. »
Le tribunal les déclare coupables. Yarouba est condamné à 18 mois de prison avec sursis probatoire. Brayan et Elias à 18 mois dont 12 mois avec sursis probatoire, et feront les six restant en détention.
Référence : AJU482378