Tribunal de Pontoise : « Chez nous, les marabouts, on les brûle »

Publié le 11/10/2021

Zyed a tabassé sans raison un ami d’enfance qu’il venait de croiser. Manifestement nerveux dans son box, il est sujet à des troubles psychiatriques, ce que sa sœur tente désespérément d’expliquer à la justice depuis des années.

Tribunal de Pontoise : « Chez nous, les marabouts, on les brûle »
Photo : AdobeStock

 

« Bonjour Madame ! Comment vous alleeeeez ? » entonne Zyed, 36 ans, les yeux écarquillés et l’air enjoué.

Il chaloupe entre les policiers, seul prévenu dans le box, avant de s’asseoir le front contre la vitre, le masque sous le menton. La présidente d’une voix grave interpèle  Zyed en le fixant droit dans les yeux  :

« — Monsieur, je vais vous poser une question très importante. D’accord ? Est-ce que vous voulez être jugé maintenant, ou plus tard pour préparer votre défense ?

– Moi je veux être jugé plus taaaaaard ! Regardez Madame, j’ai 40 points de suture, ils m’ont lynché dans l’épicerie ! »

La présidente acquiesce gentiment. « Je voudrais quand même exposer au tribunal ce dossier, j’ai une certaine idée sur la façon dont il devrait être orienté. » Zyed s’agite : « C’est moi la victiiiiiiiiime ! » La magistrate le calme : « Quand c’est moi qui parle, il ne faut pas m’interrompre. Je suis la présidente, il ne faut pas m’interrompre. »

« Il faut que je te parle »

Le 19 septembre à Saint-Leu-la forêt, Zyed rencontre un copain d’enfance au tabac. « Ça tombe bien, il faut que je te parle » lui lance Zyed. Les deux hommes quittent le commerce ensemble. « Et là, il m’a enchaîné direct, balayette, coups de pieds », raconte l’ami aux policiers.

Qu’a donc pu provoquer cette rage ? « Juste avant de me frapper, il m’a dit qu’il m’a vu mettre un grigri sur une pizzeria », témoigne la victime. Après avoir tabassé son copain, Zyed l’asperge d’alcool à brûler, sort un briquet et dit : « Chez nous, les marabouts, on les brûle. » In extremis, un jeune homme qui passait par là retient Zyed, qui s’enfuit. Quelques instants plus tard, des jeunes de la cité viendront corriger Zyed dans l’épicerie où il se trouvait, et le laisseront, à son tour, bien amoché.

Si deux procédures sont ouvertes, l’une où Zyed est auteur, l’autre où il est victime, c’est la première qui est soumise à l’audience de comparution immédiate de Pontoise, ce 22 septembre. La présidente poursuit son récit de l’affaire. Elle évoque les blessures de la victime : œil gauche fermé, multiples fractures de la face, 30 jours d’ITT (Incapacité temporaire de travail). « C’est un danger public, il faut l’enfermer », met en garde l’ami tabassé. Deux autres personnes au moins sont d’accord ; la sœur et le frère de Zyed, assis l’un à côté de l’autre. Sur le visage de la sœur, se lisent la fatigue et l’inquiétude. Depuis le déclenchement de cette affaire, elle a appelé tout le monde (parquet, préfecture, juge d’application des peines, notamment) pour demander de l’aide. Cela a ému le procureur de la République, qui note qu’elle a l’air désespérée et souhaiterait qu’on s’intéresse à sa détresse. Elle a aussi appelé la victime, pour lui présenter ses excuses et lui demander de porter plainte.

« Nous sommes l’obsession de sa paranoïa »

Aux policiers qui l’ont interrogée, elle explique être « la cible de ses problèmes psychologiques », qui durent depuis environ deux ans, tournent autour d’un sentiment de persécution et entraînent des accès de violence incontrôlables. « Nous sommes l’obsession de sa paranoïa », dit-elle encore aux policiers. Elle a présenté une sélection de 18 messages téléphoniques laissés sur son répondeur, ainsi que ceux de ses parents et de son frère. Parmi le flot d’insultes et de menaces, ressort un « je vais tous vous brûler ! » qui semble particulièrement inquiéter la présidente qui lit les messages. Dans son box, Zyed s’énerve : « C’est moi le monstre on dirait ! Je suis le vilain petit canard ! » Il ressasse l’agression dont il a été victime.

En deux ans, Zyed s’est retrouvé  a trois reprises jugé en comparution immédiate, dont une fois devant la même présidente. Reconnu irresponsable et hospitalisé d’office dans l’une de cette affaires, il a mis le feu à sa chambre. Mais cette fois-là, il a été déclaré responsable. Quand il est sorti, raconte sa sœur, c’était un zombie neutralisé par les neuroleptiques au point qu’il urinait sur lui. Elle a craint que l’apathie qui le frappe soit définitive, mais Zyed a recommencé à être menaçant et agressif.

« —Je crois que tout le monde a bien compris que je pense  à l’ouverture d’une information judiciaire, explique la Présidente.  Madame le procureur, pourquoi avoir choisi d’orienter ce dossier en comparution immédiate ?

– Vu la situation je comprends que l’on s’interroge, mais les faits ne sont pas allés au-delà des violences, qui étaient caractérisées. Et j’avais l’intention de vous demander une expertise psychiatrique », répond-elle.

Zyed s’excite de plus en plus dans son box.

« Ecoutez, tout ceci me semble très nébuleux », intervient  l’avocate de Zyed qui plaide en faveur de l’ouverture d’une instruction.

Pendant la suspension d’audience, la sœur de Zyed passe de nombreux coups de fil, comme si elle essayait encore d’aider.

L’audience reprend. Zyed regarde sa sœur :

« —Pourquoi t’as appelé ?

– Pour te sauver ! »

Le tribunal décide de renvoyer le parquet à mieux se pourvoir. Autrement dit, il invite le procureur à saisir un juge d’instruction, pour qu’il approfondisse le dossier en diligentant un certain nombre d’actes d’enquête et d’expertises parce que le cas de Zyed est visiblement trop compliqué pour être traité dans le cadre d’une comparution immédiate. C’est ce qu’explique l’avocate de Zyed à sa sœur, venue l’interroger à la sortie de l’audience pour comprendre ce que la présidente a annoncé à toute vitesse. Est-ce une bonne nouvelle pour son frère et pour sa famille ? s’interroge-t-elle. Le juge des libertés et de la détention va décider de la mesure de sûreté à prendre (détention provisoire, contrôle judiciaire), et le temps de l’instruction permettra peut-être à Zyed d’être enfin suivi et contraint à recevoir des soins. La sœur semble soulagée que l’on prenne le cas Zyed en main : c’est tout ce qu’elle voulait.

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