Tribunal de Pontoise : Dans l’abus de faiblesse, « il y a cette notion de trahison »

Publié le 25/10/2024

Mathieu comparaît le 24 septembre pour abus de faiblesse sur sa vieille tante, dont il s’est occupé seul pendant 10 ans, mais qu’il a délestée de plusieurs dizaines de milliers d’euros en réglant ses achats et son loyer avec la carte de crédit de la vieille dame. Devant le tribunal correctionnel de Pontoise, il conteste tout abus.

Tribunal de Pontoise : Dans l'abus de faiblesse, « il y a cette notion de trahison »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Ils sont deux frères que le tribunal a condamnés en leur absence, il y a plus de trois ans, par jugement du 18 juin 2021. Ils n’avaient pas eu vent de leur convocation. L’apprenant quelques mois plus tard, l’un des deux, Mathieu, a décidé de faire opposition au jugement. Le voici, ce 24 septembre, devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Il comparaît pour abus frauduleux de l’ignorance ou de la faiblesse d’une personne vulnérable et abus de faiblesse.

S’il a fait opposition au jugement, c’est qu’il est douloureux pour cet homme d’une cinquantaine d’années qu’on puisse considérer qu’il a abusé de sa vieille tante, dont il s’est occupé seul pendant des années. Cette femme âgée devait être placée sous tutelle, et n’avait plus de famille depuis la mort de la mère de Mathieu et de son frère, à part ces deux-là, ses neveux, donc. Atteinte d’Alzheimer, la tante est malvoyante et ne se déplace plus.

« De très nombreuses utilisations de la carte de crédit » 

Mathieu a le temps de s’occuper d’elle, et il le fait. Pendant des années, il se rend à son domicile plusieurs fois par semaine pour s’occuper de tout et, quand elle part à l’Ehpad, il lui rend encore visite chaque semaine. La présidente lit qu’à cette période, « on constatait de très nombreuses utilisations de la carte de crédit » de la tante. En 2017 et 2018, 500 paiements et 216 retraits ont été effectués. Elle liste : Décathlon, Cora, Longchamps (« C’est le tabac le Longchamps », corrige l’avocate de Mathieu), Leroy Merlin, « ce qui ne correspond pas vraiment au rythme de vie d’une femme de 91 ans à l’Ehpad », fait-elle judicieusement remarquer. À cela, s’ajoutent deux chèques de 2 000 et 3 000 euros pour des règlements de dettes de loyer, et un autre de 3 900 euros pour son frère et également pour son loyer – ce qui lui a valu la condamnation.

« J’étais dans le besoin »

C’est la banque qui a signalé les mouvements financiers anormaux au parquet. La tante de Mathieu a été interrogée par les policiers en 2020. « Elle confirme vous avoir donné sa carte de crédit et son code à l’époque où elle vivait chez elle pour l’aider à faire des courses et lui apporter de l’argent liquide. Elle confirme qu’il lui arrivait de lui donner 50 euros. Elle confirme que vous aviez le chéquier et les clefs de la maison », rapporte mécaniquement la présidente. Elle a aussi demandé à Mathieu de garder sa carte bancaire pour lui acheter des cigares qu’elle aimait fumer, mais qu’elle n’avait pas le droit de conserver à l’Ehpad. Cela dit, elle explique aux policiers qu’elle ne comprend pas ces achats, confirme qu’elle n’en est pas à l’origine et surtout « qu’elle n’avait pas donné l’accord pour cette utilisation », ainsi la présidente achève-t-elle son récit. « Reconnaissez-vous les faits ?

— Si vous voulez savoir l’histoire complète, depuis le décès de ma mère en 2010, je me suis toujours occupé d’elle. J’avais laissé mon téléphone sur la table de nuit pour qu’elle m’appelle quand elle le voulait. Puis, un jour, je n’ai pas eu de nouvelles pendant deux semaines et j’ai été déposer une main courante, avant d’apprendre qu’elle était décédée.

— Monsieur, ça n’a rien à voir avec les faits. Ce qu’on vous reproche, c’est d’avoir utilisé ses moyens de paiements sans son accord pour le règlement d’achats personnels. Est-ce que vous reconnaissez avoir utilisé la carte bancaire de Madame pour l’achat de biens personnels ?

— Oui, j’étais dans le besoin.

— Je peux entendre, mais c’est quoi être dans le besoin ? Madame votre tante était au courant ?

— Pas de tout réellement, mais elle m’a dit ‘si t’es dans le besoin y’a aucun problème’.

— Et les chèques ? Pourquoi elle accepterait de régler les loyers impayés d’un petit neveu qu’elle ne voyait plus ?

— J’ai expédié les chèques à mon frère parce qu’il allait être expulsé et se retrouver à la rue.

— Donc, pour vous, elle a accepté chaque utilisation de sa carte ?

— Elle m’a dit ‘si besoin, tu n’hésites pas, de toute façon, ce sera à ton petit frère et à toi.’ Je n’ai jamais abusé de la faiblesse de ma tante, j’ai toujours été auprès d’elle, et j’ai toujours pris soin de ma tante depuis que ma mère est partie. »

Il est en réalité difficile de connaitre l’appréciation de la tante sur cette affaire, puisque son Alzheimer ne lui permettait pas d’émettre une opinion éclairée.

« J’aimais ma tante »

La procureure le prend un peu de haut. « On entend Monsieur se targuer devant le tribunal qu’il serait le petit neveu parfait, comme si ça venait atténuer les raisons pour lesquelles il est devant vous aujourd’hui ; à mon sens, c’est encore pire. En réalité, Monsieur allait jouer le neveu parfait à L’Ephad et après se servait de sa carte de crédit, et il revenait, et il la regardait dans les yeux », cingle-t-elle. « Ce n’est pas une atteinte aux biens, mais une atteinte aux personnes, dit le Code pénal, car il y a cette notion de trahison. » Elle demande huit mois de prison avec sursis et une peine de 50 000 euros d’amende, « pour que Monsieur ne sorte pas gagnant de cette procédure ». En première instance, la condamnation était de six mois et de 30 000 euros d’amende.

L’avocate nourrit sa plaidoirie de la rhétorique du réquisitoire : « Non, Monsieur Leroux n’a joué avec personne. Depuis 2010, il est le seul contact de Madame. Il va la voir parce que c’est sa seule famille, sa mère de substitution », entame-t-elle avec conviction. Elle rappelle aussi que Mathieu et son frère étaient les deux seuls héritiers désignés sur le testament. Le prévenu, dit-elle, n’avait aucune intention de spolier sa tante, et après que la présidente lui eut demandé s’il avait quelque chose à ajouter, Mathieu s’est relevé de son banc, s’est avancé à la barre et a dit : « À part vous dire ma tristesse, parce que j’aimais ma tante, je ne sais pas quoi ajouter ». Il a finalement été condamné à 6 mois de prison avec sursis et 3 000 euros d’amende.

 

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