Tribunal de Pontoise : « Des policiers qui se comportent comme des voyous »

Publié le 24/05/2023

Ivre, Ludovic, 30 ans, est accusé d’avoir violenté deux femmes et l’homme leur ayant porté secours. Puis il aurait frappé les policiers au commissariat où il était en garde à vue parce qu’on voulait lui retirer son appareil auditif.

Tribunal de Pontoise : « Des policiers qui se comportent comme des voyous »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

La présidente des comparutions immédiates de Pontoise s’apprête à débuter, puis s’arrête. « Monsieur est sourd, s’il ne peut pas entendre, ce n’est pas possible. Monsieur le procureur avez-vous déjà eu ce cas de figure ? » Le procureur se lève : « Il lit sur les lèvres ? S’il lit sur les lèvres, c’est bon. » Le prévenu hoche la tête. « Madame le greffier, écrivez que Monsieur peut être jugé, dans la mesure où il lit sur les lèvres. » Ludovic comparait pour outrages, violences volontaires sans ITT (NDLR : Interruption temporaire de travail) sur quatre policiers, violences en état d’ivresse manifeste et en récidive légale.

Les faits remontent au 7 avril à 14h50, dans un parking souterrain. Ludovic est en compagnie de son ex-compagne et de la nouvelle. Lorsque les deux femmes appellent à l’aide, le gardien accourt et s’interpose.  Mais Ludovic prend rapidement le dessus et le gardien se fait sérieusement amocher. Quand il tente de s’échapper, Ludovic le rattrape, le jette au sol et le roue de coups de pieds. La victime se relève et parvient à prendre la fuite. Quelques minutes plus tard, la police intervient et interpelle Ludovic.

Son ex-compagne présente des traces de sang sur ses vêtements et se tient le bras comme s’il était douloureux, mais elle assure ne pas avoir été frappée. Son amie en revanche explique avoir pris des coups au moment où elle a tenté de contenir la furie de son compagnon. Néanmoins, ni l’une, ni l’autre ne souhaite porter plainte. Au contraire du gardien.

« Il m’a mordu ! »

Le prévenu conteste l’avoir violenté : « Il m’a sauté dessus direct ! En fait, j’étais allongé par terre à cause de l’alcool, elles sont venues me voir, m’ont porté à deux pour me sortir du garage et me mettre dans un Uber. Alors je me suis débattu et agrippé, parce que j’avais pas envie !

— Mais pourquoi courir derrière lui ?

— Parce qu’il m’a mordu !

— Donc vous êtes ivre mort, vous êtes en état de légitime défense et vous vous mettez à courir derrière lui ? Et pourquoi on a retrouvé sa casquette sur vous ?

— Je croyais que c’était la mienne. »

Ludovic, 0,83 gramme par litre d’air expiré, était fin saoule, concède-t-il, et se souvient mal de l’altercation dans le parking. Il est plus précis sur la suite des événements.

« Au commissariat, ça s’est très bien passé jusqu’à ce que l’équipe de nuit arrive et me demande d’enlever mes chaussures. On m’a amené dans une salle et mis une matraque sous la gorge en me disant : ‘tu peux crever ici, j’en n’ai rien à foutre’, alors je lui ai craché dessus et, en effet, je l’ai insulté ». Plus précisément, Ludovic a traité le policier de « fils de pute », à trois reprises.

« On a décidé de lui retirer pour des raisons de sécurité »

« Au début, il était très calme, explique un policier à l’audience. Je l’ai ramené en salle de fouille et lui ai dit : ‘Moi je m’en fous, mais tu vas pas crever ici’», puis il lui a retiré son appareil auditif. « On a longuement discuté entre nous à ce propos, mais on a décidé de lui retirer pour des raisons de sécurité », précise-t-il, en raison de la possibilité qu’il avale cet élément pour se suicider – et de la toxicité de la pile de l’appareil. « Je peux comprendre son énervement. Vu la façon dont ça l’a énervé, on ne l’a probablement pas fait de la meilleure des manières. » Un autre policier raconte que le gardé à vue avait tenté de se taillader les veines avec son cordon de jogging, ce qui avait conduit l’officier de police judiciaire (OPJ) de garde à ordonner le retrait de son appareil auditif.

Dans la foulée des crachats, Ludovic gesticule et porte des coups aux policiers. Lorsqu’ils tentent de lui passer les menottes, il attrape les testicules de l’un d’eux, qu’il serre. Un policier sort le taser qu’il utilise à quatre reprises sur le mis en cause qui ne cesse de se débattre en portant des coups de pieds. S’il ne nie pas avoir mis ces coups, Ludovic réfute avoir serré des testicules et prétexte la seule volonté de se défendre de la violence des policiers.

« C’est lui qui m’a humilié en me retirant mon appareil auditif »

« Vous savez qu’un crachat, c’est extrêmement humiliant, Monsieur ? » intervient le procureur. « Oui, mais c’est lui qui m’a humilié en me retirant mon appareil auditif », répond le prévenu. « D’accord, mais il faut qu’on avance Monsieur. » Cela sonne la fin des débats.

Quatorze mentions au casier, deux enfants, vit chez ses parents, gestionnaire de stock aux Galeries Lafayette, c’est le résumé succinct et contrasté de la personnalité de Ludovic telle que synthétisée par la présidente. Il a récemment arrêté de consommer du cannabis et en est ravi. Il a même recommandé son psychologue à des amis.

« Monsieur a mis huit heures à dégriser »

Le temps du réquisitoire est venu. « Si les deux femmes victimes n’ont pas déposé plainte, c’est qu’elles redoutent des représailles, mais les traces de coups sont indéniables », analyse le procureur. « Monsieur a mis huit heures à dégriser et ne se souvient pas de tout. La question est : quand va-t-il s’arrêter ? Je ne vois pas pourquoi on accorderait un nouveau bracelet à Monsieur. Il n’est plus accessible au sursis. On n’a tout essayé, ça ne marche pas ». Il requiert douze mois de prison avec maintien en détention.

La défense souligne combien il est compliqué pour elle d’intervenir contre les déclarations de policiers assermentés, contre un procureur et contre des juges. « Il n’y a que moi qui suis là pour parler de Monsieur ». L’avocate estime que le gardien est intervenu un peu violemment et que son client, surpris, n’a fait que se défendre. Elle plaide la relaxe sur ce point.

La deuxième partie des faits provoque son courroux : « On fait face à des policiers qui se comportent comme des voyous, parce qu’il n’y a pas d’autre mot pour qualifier l’arrachage d’un appareil auditif, eh oui, Monsieur, dans sa grande fragilité, a pu avoir des comportements violents. » Elle balaye l’argument de la sécurité en décrivant la taille minuscule de l’appareil auditif qui ne pouvait présenter aucun danger, et demande une peine aménagée, que le tribunal accordera.

Ludovic s’en tire avec douze mois de détention à domicile sous surveillance électronique.

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