Tribunal de Pontoise : « elle n’a rien du tout, elle fait semblant ! »

Publié le 06/12/2023

Le 3 octobre 2023, un couple est jugé pour des violences réciproques sur fond d’alcool, et ce n’est pas la première fois pour l’homme. Ils sont toujours ensemble et la bouteille ne les a pas quittés. Cela ne rassure personne.

Tribunal de Pontoise : « elle n’a rien du tout, elle fait semblant ! »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

À 1 h 20 du matin le 7 avril, une femme ivre avec un tibia cassé est prise en charge dans l’hôtel d’hébergement d’urgence dans lequel elle vit avec son compagnon, à Argenteuil. Ivre également, le compagnon est placé en garde à vue. Elle est interrogée plus tard et poursuivie pour des violences sans ITT contre lui, qui est poursuivi en comparution immédiate pour des violences ayant entraîné une ITT de 60 jours. Ils sont finalement jugés ensemble, libres, le 3 octobre 2023, par le tribunal correctionnel de Pontoise, pour ce qu’il est convenu d’appeler des violences réciproques.

Un unique témoin, le voisin de palier, a entendu des coups, vu la femme tomber et dire « j’ai la jambe cassée » ; il a entendu l’homme crier : « elle n’a rien du tout, elle fait semblant ! » La présidente les a tous les deux face à elle : Melinda, 31 ans et Mamady, 37 ans. C’est à lui qu’elle s’adresse en premier :

« À quel moment on passe de la dispute à la violence ? »

« — Pouvons-nous expliquer le contexte. Vous êtes ensemble depuis combien de temps ?

— 6 ans.

— Vous vivez ensemble depuis le début ?

— Oui.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ce jour-là ?

— On est sortis, on avait un peu trop bu.

— Vous avez consommé quoi ?

— Une bouteille de Vodka. On est rentrés et on s’est pris la tête. Il y avait un dégât des eaux dans la chambre, toutes mes affaires étaient mouillées, j’ai pété un câble.

— Il y en a beaucoup des disputes entre vous ?

— Oui, et puis ça va crescendo.

— Vous avez dit que le sujet des disputes, c’est la jalousie. Qui est jaloux ?

— C’est moi, dit Melinda.

— Et quand vous êtes jalouse, vous tapez. Vous avez un souvenir précis de cette soirée ?

— Non (elle).

— Non (lui).

— À quel moment on passe de la dispute à la violence ? Quel est le premier acte de violence ?

— C’est moi, il était allongé je lui ai mis deux claques.

— Puis moi je l’ai poussée, j’ai ouvert la porte, elle a glissé et elle s’est cassé le tibia.

— Vous l’avez frappée ?

— Je ne sais pas, je ne m’en souviens pas.

— Comment vous avez eu le tympan perforé, Madame ?

— Je ne sais pas.

— Madame, qu’est-ce que vous avez mis comme coups ?

— Des claques.

— Monsieur a 0 jour d’ITT. Monsieur, vous aviez des traces ?

— Je ne sais pas, ça ne se voit pas sur les noirs, les traces (la présidente n’a pas l’air d’accord, elle fait oui de la tête).

— Vous vivez dans la violence dans votre couple ? Expliquez-vous. Monsieur ?

— Je ne sais pas.

— Madame ?

— Cette année il y a eu une accumulation de plein de choses en fait.

— Monsieur, comment vous expliquez qu’elle a une trace de doigts sur la joue ?

— Je ne sais pas.

— Et depuis, comment ça se passe ? Il y a moins de disputes ?

— On a ralenti sur plein de choses, on travaille dessus », dit Melinda.

« Dans le passé j’étais stupide »

Pas de souvenir précis des faits, une franchise désarmante des deux côtés et la réalité qui s’impose : ils sont encore en couple et boivent. Moins, a priori, mais l’ivresse à deux perdure, et les risques de violence consécutifs à l’excès d’alcool, aussi. Ce qui fait craindre aux magistrats que Madame, qui a porté plainte deux fois contre lui par le passé, soit toujours en danger. Monsieur a 16 mentions au casier, dont la moitié qui implique des violences, et deux au moins des violences conjugales. « Qu’est-ce que vous en pensez ? », demande la présidente, qui considère à l’évidence qu’il est dangereux. « Dans le passé j’étais stupide » répond-il.

Ils n’ont pas entamé de soins. Lui y était astreint dans le cadre des obligations de son contrôle judiciaire, mais il n’a pas réussi à prendre rendez-vous avec un addictologue.

« Tympan percé » 

L’assesseur n’a peut-être pas tout compris. Il s’adresse à Mamady : « Donc, vous réfutez les violences ?

— Ce n’est pas que je nie, c’est que je ne m’en souviens plus. Peut-être qu’après avoir reçu les claques je me suis redressé et je lui ai mis une tape.

— Une grosse tape alors, parce que y’a un tympan percé. »

Il a une question pour elle : « Votre fils, Madame, il a toujours vécu avec vous ?

— Oui.

— Vous avez conscience que, s’il est exposé à des violences, il vous sera retiré ?

— … »

La procureure analyse : « Si elle a initié violences, il ne se rend pas compte que sa réaction est complètement disproportionnée. Je sens que Madame est en protection aujourd’hui, prenant sur elle la responsabilité des violences ». Elle demande 6 mois de sursis probatoire  pour elle, 12 mois de prison dont 4 mois de sursis probatoire pour lui.

Il est le seul à avoir un avocat, qui revient sur le parcours très compliqué de son client, les violences subies quand il était enfant, l’alcool ancré, le pilier que représente Melinda pour lui. Il ne contredit pas la procureure et espère, comme tout le monde dans la salle, que les deux vont arrêter de boire. Mamady est finalement condamné aux réquisitions ; Melinda écope de 4 mois de prison avec sursis probatoire. Les deux ont l’obligation de soigner leur addiction à l’alcool et, en attendant, retournent s’enfermer dans leur chambre d’hôtel du 115.

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