Tribunal de Pontoise : « Elle peut avoir des amants, vous n’avez pas à violenter Madame »

Publié le 29/10/2024 à 18h32

Cédric est prévenu de violences sur sa compagne en présence de sa fille de 14 ans, ce qui constitue un délit en soi. Il est jugé le 25 septembre en comparution immédiate.

La vénérable huissière claque des talons : « Le tribunal, veuillez vous lever ! » Trois juges entrent par la porte de gauche, la présidente de son regard en biais balaye la salle et fige son œil courroucé vers un homme au fond qui ose rester assis. Ainsi fusillé, l’homme s’empresse de justifier : « Je ne peux pas, Madame, je suis en fauteuil roulant. J’en suis désolé.

– Dans ce cas Monsieur, ne vous excusez pas », permet la présidente. Et une vingtaine de fessiez retombent sur les bancs terriblement durs de la 8e chambre correctionnelle du Tribunal de Pontoise.

Il y a d’abord ce dossier qui passe en audience relai. L’homme dans le box ne sera pas jugé ce jour, mais il en a profité pour faire une demande de mise en liberté. La juge jette un œil aux infractions qui lui sont reprochées : « Par les temps qui courent, Monsieur, le tribunal n’aime pas beaucoup les refus d’obtempérer. » Après une courte suspension : « Voilà, prolongation de la détention provisoire. » Il sera jugé dans quelques semaines.

Surgit alors Cédric, 38 ans et un peu hirsute, prévenu de violences sur Samantha, sa conjointe (6 jours d’ITT) en présence d’une mineure de 14 ans, Julie, la fille de Samantha. Les deux victimes sont absentes, la mineure est représentée par une administratrice ad hoc et son avocat.

Ici, les faits se déroulent en deux soirées.

« Tu m’as giflée ? T’es sérieux, là ? »

Dans la nuit du 20 au 21 septembre, Cédric rentre tard et ivre du travail et trouve Samantha encore plus ivre, qui boit avec un ami. Il voit la porte du jardin ouverte et ne trouve pas le chien. Il pense qu’il est parti dans la rue et engueule sa compagne, qui proteste. Il a cherché le chien mais ne l’a pas trouvé, ne pouvait-elle pas faire attention ? Le ton monte et il lui met une gifle. L’ami préfère les séparer et les choses s’arrêtent là. Entre temps, Julie a retrouvé le chien dans le jardin. Quand ils se sont disputés, elle a entendu sa mère crier : « tu m’as giflée ? T’es sérieux, là ? ».

Le soir du 23 septembre, Cédric a décidé de regarder dans le téléphone de Samantha et y a découvert ce qu’il craignait : des preuves accablantes de son infidélité. Ça le met hors de lui. La présidente relate les faits rapportés par Samantha, qui porte plainte quelques heures après. Les gendarmes ont constaté les traces de coup et l’UMJ a établi un certificat. Samantha souffre d’une entorse du pouce droit, de multiples contusions et d’ecchymoses récentes. Elle un hématome bleu péri orbitaire gauche. « Quand on voit la photo là, on voit quand même qu’il y a de beaux hématomes », dit la présidente à l’adresse de ses deux assesseurs qui se penchent vers l’ordinateur pour mieux voir.

« Il m’a dit qu’il allait me violer »

Au commissariat, Julie fait un témoignage sidérant : « il n’arrêtait pas de l’insulter de ‘pute’, et il lui disait ‘assume’. Je l’ai entendu frapper ma mère et casser son téléphone. Puis il est venu en furie dans ma chambre et m’a dit que ma mère était une pute. Ma mère lui a dit de ne pas me toucher, puis il l’a giflée, m’a regardée et l’a regiflée. Il lui a pris la tête et l’a cognée contre le mur. Elle était rouge, à moitié en train de pleurer. Je ne savais pas trop ce que je devais faire, j’ai hésité à appeler la police. Il disait à maman qu’il allait la dégager, et moi il m’a dit qu’il allait me violer et me dégager. Il a dit à ma mère : tu vas aller déterrer ta mère et tu vas la sodomiser. »

La jeune fille explique que les disputes durent depuis 6 mois, mais qu’il n’y avait jamais eu de violences. La sœur de Samantha a aussi témoigné : « Ma nièce m’a appelée pour me dire que Cédric insultait et frappait. J’ai demandé à la petite si elle voulait que je vienne les chercher, elle a dit oui, alors je suis venue chercher ma nièce. » Elle raconte qu’elle avait déjà été témoin de violences verbales de la part de Cédric.

Enfin, Samantha précise que Cédric, en plus de l’alcool (qu’elle admet consommer également dans des proportions pathologiques), consomme de la cocaïne. Elle ne souhaite pas déposer plainte.

C’est le moment où la présidente s’adresse au prévenu. « Vous avez été entendu en garde à vue, et on vous a montré certains messages que vous avez envoyés à Julie. Vous vous en souvenez ?

  • Oui, le matin des faits. Je lui ai dit ‘c’est pas contre toi, je viens de trouver des photos que ta mère a envoyé d’elle à poil.’
  • Vous trouvez ça normal ?
  • Non.
  • Vous étiez très en colère ?
  • Très amoureux surtout.
  • Et vous pensez que c’est opportun d’écrire ça à cette gamine ? Pourquoi lui parler de sa mère à poil ?
  • Les mots m’ont manqué. »

Dans un deuxième message, Cédric écrit : « Demande à ta mère de montrer les messages qu’elle a envoyés. » Dans un troisième message : « tu récupèreras tes affaires dans un sac poubelle et tu pourras remercier ta mère. Ce soir à 18h t’auras tes affaires et celles de ta pute de mère, dans des sacs. La fenêtre sera ouverte. » Silence. Présidente : « Quelque chose à dire, Monsieur ?

  • (Les mots lui manquent)
  • Voilà Monsieur ce sur quoi je voulais attirer votre attention. Vous en dites quoi ?
  • C’est pas normal d’avoir fait ça. »

« Elle a pu vous tromper avec tout le quartier, le tribunal s’en moque »

La présidente embraye.

Vous reconnaissez les faits de violence les deux fois ?

  • La première fois c’était surtout de la chiffonnade.
  • C’est quoi ? Je connais la chiffonnade de jambon.
  • On se tient tous les deux par les bras, on s’empoigne.
  • Vous l’avez giflée ou pas ?
  • Oui.
  • Pourquoi ?
  • Elle a jeté un cendrier dans ma direction. Notre ami nous a séparés et y’a une gifle qui est partie. »

Il reconnait la deuxième fois, mais estime que les faits rapportés par l’adolescente sont exagérés. La présidente demande comment elle a eu cette entorse au pouce ? « Elle a essayé d’entrer dans la chambre où je m’étais enfermé, elle a essayé d’enfoncer la porte, elle s’est fait ça toute seule.

  • Et les hématomes à l’œil ?
  • Ça, c’est moi.
  • Sur les avant-bras ?
  • C’est moi, quand je l’ai tenue par les bras. »

La présidente le morigène : « Madame a le droit de boire et elle a le droit de vous tromper Monsieur, je vous le dis. Elle a pu vous tromper avec tout le quartier, le tribunal s’en moque. Vous lui avez demandé d’avouer qu’elle vous a trompé, elle refuse, mais vous n’avez pas le droit de la frapper ! Elle peut avoir des amants, vous n’avez pas à violenter Madame », et Cédric secoue la tête de bas en haut, bien obligé d’opiner sous peine de voir le sermon se prolonger.

Un assesseur revient sur un détail qui le contrarie : « Est-ce que vous avez menacé Julie de la violer ?

  • Jamais.
  • (Présidente) : la question est donc de savoir qui ment. C’est elle la menteuse ?
  • Je pense que oui.
  • On va le noter Madame la greffière : Julie est une menteuse. »

« Je l’aime, je suis déçu, je suis dégouté »

Son avocat demande à Cédric : comment vous sentez-vous ?

  • Mal. Il ne faut jamais frapper une femme, encore moins celle qu’on aime. Je l’aime, je suis déçu, je suis dégouté. 5 ans d’amour et 23 ans d’amitié. »

Le casier judiciaire de Cédric mentionne au total 15 condamnations pour des faits liés aux stupéfiants et de la délinquance routière, aucune pour des violences.

Devant l’inquiétude de l’administratrice ad hoc, qui représente les intérêts de Julie, la présidente suggère à la procureure d’aviser la section des mineurs du parquet pour mettre en place des mesures de protection. La procureure semble approuver, puis elle requiert une peine de 18 mois dont 6 mois avec sursis probatoire. Interdiction de contacter et de paraître au domicile des deux victimes, obligations de travail ou de formation, et de soins. Elle demande un mandat de dépôt pour l’année de prison ferme.

Un tantinet emphatique, l’avocat tonne : « La plus grande difficulté de l’humanité, c’est aussi de considérer que les personnes qui se rendent coupable de délits puissent faire l’objet d’humanité ! » Puis il disserte sur le « contexte » qui a permis tout cela : « un homme trahi, un fond d’alcoolémie des deux côtés », et précise que son client n’entend pas poursuivre cette relation. Il aimerait cependant qu’il ne soit pas incarcéré.

Le tribunal va dans ce sens : un an dont six mois de sursis probatoire, sans mandat de dépôt pour Cédric.

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