Tribunal de Pontoise : « Vous avez conscience que vous devez faire la piqûre ? »
Aux comparutions immédiates de Pontoise, Yannick comparaît le vendredi 18 août pour outrage et menaces. En retard de traitement contre sa schizophrénie, il était particulièrement nerveux et s’en est pris aux policiers, qui se sont moqués de lui.

Le prévenu pose ses énormes bras sur le rebord de la vitre du box, comme s’il était prêt à en découdre. La présidente lui demande : « Est-ce que vous avez bien compris ?
— Très bien ! »
Yannick a 39 ans, la voix pâteuse, une belle carrure et les yeux agités. Il est prévenu d’outrage et de menace de crime, en récidive.
À Sarcelles le 16 août, la police municipale tente en vain d’arrêter une voiture qui fait n’importe quoi. La police nationale arrive et aperçoit le véhicule s’engager dans une avenue en sens interdit. L’équipage contourne l’avenue et prend le véhicule contrevenant à revers, qu’il immobilise. Yannick tente vaguement de prendre la fuite mais se fait prestement interpeller.
Dans le véhicule, un garçon de 10 ans paniqué que les policiers rassurent : ils ne sont pas là pour lui. Il y a deux autres personnes dans le véhicule, dont la mère de l’enfant qui est aussi la sœur de Yannick.
Tous observent Yannick menotté, mains derrière le dos, qui se fait insulter par des riverains pour sa conduite dangereuse. Il les insulte en retour, se fait rabrouer par le policier qui le tient ; il insulte le policier qui serre les menottes, le plaque fermement contre le mur puis le projette sans ménagement dans le véhicule de police.
« Pourquoi vous me filmez, je suis un clown ? »
Yannick est énervé et ne s’arrête plus. Il menace : « Si je te croise dans la rue je vais te tirer une balle dans la tête, fais attention à toi ! » Il insulte particulièrement un policier pendant tout le trajet, jusqu’à ce qu’il soit assis sur un banc dans le commissariat de Sarcelles. C’est à ce moment que l’un des policiers active sa caméra, qui filme la scène suivante :
Yannick à un policier : « Mangeur de porc !
— J’adore ça !
— Va niquer ta mère !
— Surtout le chorizo, j’adore !
— La chatte à ta mère je vais te niquer ! »
Les insultent fusent, il esquisse un coup de pied que le policier esquive, hilare : « vas-y, continue !
— Mais pourquoi vous me filmez, je suis un clown ? »
Placé en garde à vue, il dénonce dans son audition des insultes de type « Gros porc, on n’a pas besoin de gens comme toi chez nous » (Yannick est noir et un peu enveloppé, NDLR), et conteste avoir proféré des insultes dans la voiture. Puis il admet avoir « vrillé ». « J’en ai traité un de harki, un autre d’esclave. Je précise que je prends un traitement contre la schizophrénie, et que quand je ne l’ai pas, j’ai le sang un peu chaud. » Les policiers écrivent : « Il était dans la provocation et cherchait la bavure. »
Schizophrène, handicapé à 100 %
Pendant la synthèse que la présidente fait de l’enquête, l’assesseure assise à sa droite contemple le prévenu derrière ses lunettes, le menton posé sur ses mains jointes.
« Vous êtes reconnu handicapé à 100 %, inapte au travail, et percevez 890 euros d’allocation », poursuit la présidente. Yannick a connu son premier épisode psychotique suite à une incarcération, alors qu’il était jeune adulte. Il est traité et stable depuis, mais aujourd’hui il est en retard sur sa dernière injection. Comme beaucoup de personnes schizophrènes, il consomme du cannabis, qui à la fois apaise son humeur et aggrave ses troubles. Il est néanmoins reconnu entièrement responsable de ses actes.
Devant le tribunal correctionnel de Pontoise, Yannick est plus calme. « Je reconnais les insultes, et je le regrette. Mais je l’ai insulté parce qu’il m’a insulté. Ça fait un mois que j’ai pas fait ma piqûre, je le ressens.
— Vous ne reconnaissez pas les menaces ?
— Je sais ce que je raconte encore, j’ai jamais menacé de mort qui que ce soit.
— La victime et un autre confirment.
— Oui mais c’est un policier, son collègue il le défend. Mais c’est vrai que j’insulte. «
« On se connaît, Monsieur »
L’assesseure à lunettes intervient. « Bonjour Monsieur G., on se connaît, vous étiez dans mon cabinet de juge d’application des peines. Le monde est petit. C’était en octobre 2022. » Puis, elle demande pourquoi il n’a pas fait son injection au début du mois, comme il en a l’habitude depuis 20 ans.
« Parce que je suis au Blanc Mesnil, et l’hôpital est à Gonesse.
— Ce n’est pas à cause des effets secondaires ?
— Non, j’ai juste eu la flemme d’aller à Gonesse. Je connais ma pathologie, mais c’est moi qui décide.
— Est-ce que vous avez conscience que vous devez faire la piqûre ?
— Je la fais la piqûre, sauf que là je suis en retard.
— Elle est pas fatiguée votre sœur (qui est sa curatrice, NDLR) ?
— Elle est fatiguée de ouf, ils sont tous fatigués chez moi. Ils s’inquiètent pour moi. »
La procureure souligne une « énième malheureuse affaire d’outrage pour Monsieur G. », qui a 18 mentions à son casier. Elle requiert 8 mois de prison.
L’avocat admet que les insultes sont caractérisées et n’entre pas dans les détails : tant que son client évite la prison, il est satisfait. Il fait tout de même une remarque : « Je ne suis pas sûr que d’aller sur l’histoire du Chorizo, c’était très apaisant. » Les policiers avaient prétendu que c’était pour « détendre l’atmosphère ». L’avocat n’en rajoute pas.
Yannick est finalement condamné à 6 mois de détention, que le tribunal aménage ab initio en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Yannick remercie et promet de faire scrupuleusement ses injections.
Référence : AJU387191
