Tribunal de Pontoise : « Et là, Madame la juge, elle part en sucette »

Publié le 06/04/2023

Un couple séparé se retrouve dans un bistrot de quartier et vide des bières au comptoir. La femme s’énerve, l’homme réplique et la blesse. Hassen, 39 ans, comparaît devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour des violences sur son ex-concubine, Sanaa, absente à l’audience et non représentée.

Tribunal de Pontoise : « Et là, Madame la juge, elle part en sucette »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 Le 12 mai 2022, Sanaa est arrivée en sang, salement amochée, au commissariat d’Argenteuil. Elle sort juste du bar Le Jasmin, dans la même ville, où elle s’est fait démolir, dit-elle, par son ancien concubin avec qui elle buvait des demis depuis le début de la soirée. Une dispute a éclaté et Hassen l’a frappée, traînée au sol par les cheveux, sous les encouragements du patron qui disait qu’elle n’avait que ce qu’elle méritait, empêchant les clients du bar de s’interposer pour mettre fin à son passage à tabac. Elle aurait ensuite été jetée dehors sous les rires moqueurs et agressifs d’Hassen et du patron.

Sanaa présente de nombreuses blessures : tuméfactions, plaies au visage et sur le corps, fracture du nez. Un médecin lui accorde 10 jours d’ITT et les policiers insistent pour qu’elle porte plainte. Hassen fait deux jours de garde à vue.

Mercredi 5 avril 2023, le voici en audience correctionnelle à juge unique, salle 4 du tribunal de Pontoise, une toute petite pièce où le prévenu dépose à une barre située à un mètre de la juge. Cela rend les échanges plus chaleureux. « Elle vous invite à boire, vous buvez 5 bières chacun, une dispute éclate au sujet de dettes passées, vous vous seriez emporté et avez tiré la chaise haute sur laquelle elle était assise. Puis vous l’auriez tirée au sol pour la frapper dans une petite salle attenante, sous la protection du patron. »

« Il la emmenée dans une salle et on la entendu hurler »

Avant d’entendre Hassen, la juge rapporte les témoignages : « Le gérant du bar, placé en garde à vue, explique que vous étiez tous deux très alcoolisés, qu’elle vous a griffé le cou, arraché votre chaîne et déchiré votre pull. Pour essayer de la calmer, vous l’auriez juste poussée. » Incontrôlable, Sanaa est mise à la porte, frappe dans les voitures, insulte les passants. Il maintient ce récit lors de la confrontation avec la victime. L’employée du bar confirme l’agressivité de Sanaa, les insultes et l’expulsion de cette ivrogne vociférante. « La femme sest mise à lengueuler au moment de laddition, elle s’énervait toute seule et elle hurlait. Il la emmenée dans une salle et on la entendu hurler » témoigne Hervé, une lointaine connaissance du couple. Lui et ses amis interviennent et constatent que c’était Sanaa qui portait les coups.

Ce qui ne correspond pas exactement aux constatations médicales. La juge montre les photos des contusions, des hématomes et des plaies, qui ne sont pas des égratignures. Enfin, Hassen explique : « On s’était séparés deux mois auparavant, après deux ans de relation. Elle m’appelle pour un problème de voiture. » Ils se retrouvent à Sartrouville, où ils habitent tous les deux, et se donnent rendez-vous plus tard pour récupérer une roue. Au Jasmin. Là, ils reprennent leur vieille habitude de picoler au bar (« c’est elle qui m’a appris à boire »), jusqu’à 23 heures, lorsqu’il lui annonce qu’il doit rentrer se coucher. « Et là Madame la juge, elle part en sucette », le traite de tous les noms, et lui assène un coup de clefs de voiture entre les deux yeux, sur l’arête du nez. Il réplique instantanément par un ou plusieurs coups au visage, sans regarder où il frappe car le coup de clef reçu lui brouille la vue. Puis ils s’empoignent, elle, très énervée, lui la rudoie pour l’immobiliser et ils parviennent à la mettre dehors. Elle reprend sa voiture et rentre à son domicile. Hassen explique qu’il est ensuite allé en bas de chez elle pour savoir si elle était bien rentrée, car en partant elle avait tamponné toutes les voitures stationnées. Il l’appelle, pas de réponse, appelle son fils qui lui lance un « espèce de fils de pute ». Manifestement, sa mère, bien rentrée, lui avait raconté sa version de l’histoire.

« Vous avez vu ses blessures ? C’est impressionnant quand même »

Hassen a tout dit, il assume ses coups et répète n’avoir voulu que répliquer. Il explique que Sanaa le harcèle, l’appelle, le suit, l’insulte sans arrêt. La juge entend mais recentre les débats : « Vous avez vu ses blessures ? C’est impressionnant quand même. »

Hassen dit qu’il ne boit plus depuis cet épisode. La procureure l’informe qu’il a eu une suspension de permis à cause de l’alcool. C’était un mois après les faits. Il se souvient, « mais c’était un anniversaire » et il ne faisait que déplacer une voiture, et il jure que désormais il ne boit plus du tout.

Elle requiert huit mois de prison avec sursis probatoire, interdiction d’entrer en contact, de paraître au domicile de Sanaa, et obligation de soins. « Qui a commencé, c’est indifférent, ce que je vois c’est que madame a dix jours d’ITT et que Monsieur une petite égratignure. »

L’avocat de la défense trouve le quantum de huit mois et les obligations demandées « excessifs au regard de la situation pénale par rapport au contexte : les violences qu’a subies madame ont été provoquées par son comportement ». Il refait la scène avec une Sanaa en furie qui casse tout et insulte tout le monde. Mais lorsque la juge rend sa décision, conforme aux réquisitions, elle balaye : « huit mois, c’est un minimum au vu des blessures, vous auriez pu avoir une peine beaucoup plus élevée dans un autre contexte ». Elle accorde la non-inscription au casier, car Hassen travaille dans la sécurité. Il remercie et s’en va.

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