Tribunal de Pontoise : Hana, 19 ans, prostituée par quatre hommes

Publié le 17/03/2023

Quatre jeunes hommes sont jugés pour des faits de proxénétisme aggravé, en audience de comparution immédiate. Les trois présents nient, un quatrième ne s’est pas présenté à l’audience, par crainte des représailles. Tout comme la victime, une jeune femme de 19 ans.

Tribunal de Pontoise : Hana, 19 ans, prostituée par quatre hommes
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

De petites grappes de jeunes ont peu à peu gonflé les rangs du public de la salle d’audience correctionnelle, à Pontoise, ce 28 février. Des jeunes femmes bien apprêtées commentent, des jeunes hommes presque baraqués chaloupent, des trentenaires en survêtement surveillent. Quelques mamans à l’air digne chapeautent ; des policiers en renfort viennent tapisser les murs, harnachés dans des gilets pare-balles, sans paraître sur le qui-vive. L’ambiance est détendue. La dernière affaire de la journée est de celles qui suscitent la curiosité de tout un quartier. Beaucoup sont restés dans la salle des pas perdus, d’autres fument par petits paquets autour du tribunal de Pontoise.

Ils sont deux dans le box, un à la barre et un absent. Ils ont été déférés en comparution immédiate un mois auparavant, mais l’audience a été renvoyée. Ils sont tous prévenus de proxénétisme aggravé en raison de la pluralité d’auteurs ou de complices. Hana, la victime de 19 ans, est absente.

Yanis, 18 ans, presque gamin imberbe à la voix plaintive, serait le chef. Il raconte avoir rencontré Hana dans un fast-food de Saint-Leu-la-Forêt, où il réside. Hana vient de Lille, elle est sans attache, sans activité, sans repères. Elle se prostitue déjà depuis environ six mois. Elle plaît bien à Yanis. Les deux échangent leur Snapchat, discutent ensemble et se revoient. Ils flirtent.

« — Vous étiez en couple ? interroge la présidente.

— Pour moi, ça débutait. »

C’est avec elle qu’il a eu sa première relation sexuelle, rapporte-t-il d’un air penaud. Ça ricane dans le public.

« De 10 heures à 5 heures, 1000-1500 euros par jour »

Hana se prostituait sans qu’il le sache ni n’intervienne, assure-t-il. Ce n’est pas ce qu’elle dit : l’idée serait commune, les modalités auraient été imposées par Yanis. De 10 heures à 5 heures du matin, Hana enchaînait les clients. Son annonce de prostituée, postée sur le site sexymodels.com, était gérée par Yanis. Le numéro de portable à contacter était ouvert au nom de la sœur de Yanis, comme l’adresse e-mail, ainsi que le compte Airbnb qu’il allait utiliser pour louer des maisons en vue d’abriter les passes. Hana chiffre les revenus à 1 000-1 500 euros par jour. Ils faisaient 50/50 sur les bénéfices.

Plusieurs lieux ont servi à l’activité prostitutionnelle. Un hôtel à Rungis, du 18 au 27 septembre 2022. Le téléphone de Tommy, le deuxième prévenu du box, borne sur place. Il borne aussi avec Hana dans le 95 où il la ramène ensuite. « Elle m’a dit que c’était pour aller voir une copine », se défend-il. Il la déposait au coin d’une rue, devant un restaurant. « Dès que je me suis rendu compte de ses activités, j’ai arrêté de la côtoyer » explique Tommy qui jure n’avoir jamais touché un euro. Qu’importe, pour caractériser l’infraction, la simple aide à l’activité de prostitution suffit.

L’autre « employé » de Yanis, comme Hana le désigne, c’est Karoum. Il fait un peu le fier dans une posture de cow-boy, bras ballants et jambes écartées à la barre ; la juge le prend pour un effronté et lui rappelle que c’est lui-même qui a effacé l’annonce du site, à la demande de Yanis, quand l’activité fut stoppée par une intervention des policiers. Il nie d’abord puis admet, forcément.

Karoum a aussi borné à Rungis, mais également à Herblay. Il est visible sur une caméra de vidéosurveillance de l’hôtel 1re classe où une chambre a été louée trois jours durant pour qu’Hana y travaille, du 27 au 29 septembre. C’est lui que l’on voit à l’accueil tenter de venir prolonger la réservation ; l’agent au comptoir refuse, car il flaire la prostitution.

Il faut dire que, déjà, Yanis était passé pour récupérer l’argent, la veille à 5 heures du matin, mais également Oualid. C’est le 3e « employé », l’absent. Il est venu à l’hôtel 1re classe à 23 heures et, pendant qu’Hana enchaînait les clients (depuis 20 h 30), il attendait dans la salle de bains. Après chaque passe (une quinzaine de minutes), c’est lui que les clients payaient. Interrogés, quatre clients ont confirmé le mode opératoire.

Hana a aussi travaillé dans des endroits lugubres, comme cette maison abandonnée de Saint-Leu-la-Forêt. Une bâtisse aux carreaux cassés, à demi écroulée, ouvertes aux quatre vents, avec pour seul mobilier un matelas pourri où Hana avait des rapports avec ses clients. Des riverains ont confirmé avoir vu la jeune femme occuper la vieille bicoque (mais n’ont prévenu personne).

« Moi, je suis rien dans le proxénétisme, je l’aimais bien et c’est tout »

La prostitution d’Hana a pris fin à Montmorency, dans un Airbnb loué par Yanis. Ce dernier a vu des caméras à l’entrée, et pour minimiser les risques a décidé d’imposer des passes plus longues à Hana – donc moins de clients. Hana a refusé. Il l’aurait violentée. Les propriétaires du Airbnb (qui vivent à côté) entendent des cris et accourent. Des hommes s’enfuient, une jeune femme est en sang. « C’est mon proxénète qui m’a fait ça car je refusais de travailler », explique-t-elle.

À l’audience, Yanis donne sa version : « elle s’est mutilée, elle était bourrée, j’ai rien compris. » Il a tenté de nettoyer le sang avant de prendre ses jambes à son cou.

« — Pourquoi vous être enfui ? interroge une magistrate.

—  Je savais pas quoi faire, y’avait du sang partout.

— Mouais, réagit l’assesseure.

«— Moi, je suis rien dans le proxénétisme, je l’aimais bien et c’est tout » précise Yanis.

Le travail de bornage téléphonique et le témoignage d’Hana, qui les identifie tous, permet leur mise en cause. Ils sont interpellés le 23 janvier. Oualid en garde à vue est le seul à reconnaître ce qu’on lui reproche : il l’a surveillée pour le compte de Yanis. Il a également expliqué que Tommy aurait présenté Hana à Yanis. Ce dernier réagit : « c’est pas vrai, il faudrait qu’il soit là pour le confirmer ». Tommy : « Je pense que cette personne a des troubles psy. » Oualid a été menacé pendant sa garde à vue ; il a fallu le transférer dans un autre commissariat. Seul Yanis est en détention provisoire, car Tommy exécute une peine et les deux autres ont bénéficié d’un contrôle judiciaire.

Dans le public, on se serre pour accueillir les copains. Certains commentent un peu hilares mais toujours discrets, quand la présidente lit un SMS de Karoum (« Je te mens pas ça fait bosser des timp ») qui est un sérieux élément à charge. Le procès dure – longtemps – pour une comparution immédiate, jusqu’à ce qu’une avocate se lève depuis le banc des parties civiles. Elle représente l’association Équipe d’action contre le proxénétisme (EACP).

« Certaines passes peuvent être analysées comme des viols »

Elle désigne le banc vide : « Il n’y a personne sur le banc des victimes alors que c’est important de montrer les dégâts du proxénétisme. C’est un schéma tristement commun : quatre individus de type masculin qui exploitent le corps d’une femme pour un maximum de profit. On a un ‘lover boy’, Yanis, qui entre en contact avec une fille vulnérable et lui demande de se prostituer pour subvenir à leurs besoins. Puis, le contrat n’est pas respecté, les individus organisent tout et s’enrichissent. »

Elle liste : des violences sexuelles, psychologiques, physiques (Yanis est poursuivi pour violences contre Hana), et « à travers ces dénégations, c’est une 4e forme de violence. C’est elle qui aurait tout manigancé ? Les victimes, si elles ne viennent pas à l’audience, c’est par peur des représailles. La honte doit changer de camp. » Elle ajoute que l’impact psychologique sur la victime est énorme : « Certaines passes peuvent être analysées comme des viols ». Elle demande 5 000 euros de dommages et intérêts (condamnation solidaire), et 1 500 euros au titre des frais d’avocat.

La procureure prend le relais et débute par Hana, « prototype de la jeune fille qui se prostitue, en errance totale, sans attache ni scolarité, qui noue des liens sans se méfier au gré de ses rencontres. » Elle admet que « peut-être que les deux sont d’accord pour faire naître l’idée de la prostitution », mais qu’ensuite la jeune fille ne maîtrise plus rien ; l’activité lui est imposée, sous la contrainte, voire la menace. Elle reprend les éléments : les vidéosurveillances qui montrent le dérouler des passes et l’organisation qui l’entoure. Elle reprend les téléphones qui bornent, le SMS de Karoum et le fait qu’il supprime l’annonce, la présence du numéro de Yanis sur l’annonce, les convoyages de Tommy. Les aveux de Oualid. Contre lui, elle demande huit mois de prison ferme aménageables. Contre Karoum, douze mois avec mandat de dépôt à la barre. Contre Yanis, vingt-quatre mois avec mandat de dépôt. Contre Tommy, dix-huit mois avec mandat de dépôt (car il est en état de récidive légale).

« Prostitution misérable »

En défense, les avocats plaident longuement. Ils dénoncent les interprétations hasardeuses faites des bornages, les périodes de prévention « à la louche ». Le défenseur de Yanis s’insurge contre sa consoeur en partie civile, criant dans sa plaidoirie que c’était scandaleux de parler de viol. « Il faut dépasser les postures, la théorie des choses et entrer dans la pratique ! » explique l’avocat qui  préfère parler de « prostitution misérable ». Toutefois, il ne réclame pas la relaxe pour « le petit bonhomme dans le box », car il y a bien eu aide à la prostitution. Tout comme l’avocate de Oualid, qui reconnaît une partie des faits. Les avocats de Karoum et Tommy, eux, plaident la relaxe.

Dans une salle toujours aussi pleine, Tommy et Yanis sont finalement condamnés à douze mois de prison avec mandat de dépôt. Quant à Karoum et Oualid, ils écopent également de douze mois, mais avec sursis probatoire. Eux ressortent donc libres.

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