Tribunal de Pontoise : « II semble sincère dans son discours, ça se voit qu’il se sent victime »

Publié le 14/04/2023

Mercredi 5 avril, l’audience correctionnelle à juge unique traite des affaires relativement anciennes. Les prévenus comparaissent libres, comme Mohamed, 40 ans, à qui l’on reproche d’avoir tabassé un sexagénaire à un feu rouge. Il s’en défend avec force.

Tribunal de Pontoise : « II semble sincère dans son discours, ça se voit qu’il se sent victime »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

En trois pas, Mohamed, 40 ans, a bondi de son banc à la barre. Silhouette carrée, ample chevelure noire ondulée et longue barbe pointue, il parle abondamment d’une voix chaleureuse, ponctuant ses explications de nombreuses marques de politesse à l’endroit de la juge, ce qui a pour effet de rendre la discussion agréable. Cela étant dit, il n’est pas du tout d’accord avec la version des faits qu’elle vient de lire.

La juge a relaté que le 9 novembre 2021 à Cergy, un individu au volant d’une Audi roulant à vive allure, après avoir collé son véhicule à celui de José, l’a doublé par la voie de bus, et s’est rabattu presque sur lui. Un peu plus loin, au feu, le chauffard a serré le frein à main, quitté le véhicule et s’est avancé vers José avec des intentions manifestement hostiles. La juge rapporte que l’individu aurait ensuite ouvert la porte de la voiture de José, un homme tranquille de 62 ans, lui aurait craché dessus et serait reparti. Mais, se ravisant, il serait revenu sur ses pas, aurait tiré José hors de sa voiture, le faisant trébucher au sol, puis l’aurait frappé à coups de poing et surtout à coups de pied, jusqu’à ce qu’un livreur de sushis sépare les belligérants. José est allongé par terre, entouré de passants qui attendent les secours à ses côtés. Deux témoins ont décrit la scène, ou plutôt chacun a décrit une partie de la scène, reconstituée à partir des éléments concordants.

De la salle, on entend Mohamed, dont on ne voit de dos qu’un épais manteau beige de marque Lacoste et la chevelure ondoyante, fournir un récit alternatif.

« J’ai réfléchi à me sortir de ce pétrin »

Il sortait d’un rendez-vous et se dirigeait vers l’école de ses enfants, se préparant à tourner vers la droite « comme je le fais depuis 40 ans », et se plaçant donc sur la voie de droite, quand la voiture à sa gauche accélère et l’empêche de s’insérer. Mohamed est contraint d’accélérer à son tour et se rabat devant lui in extremis avant de percuter un poteau placé sur cette portion de la route en travaux. « Mais qu’est-ce qu’il fait ce gars » se dit-il, et il sort de la voiture pour demander des explications. Il tape au carreau de José, qui l’ignore. Mohamed s’énerve, crache sur la vitre et part. À ce moment la voiture de José fait un bond en avant et manque de percuter Mohamed, qui esquive le parechoc d’un rien. Mohamed est en rage : « ça va pas ? T’es malade ? » s’écrie-t-il en se portant de nouveau à la hauteur de José, qu’il voit fouiller son vide poche, puis descendre de la voiture et le pousser. Mohamed le repousse, José lui attrape les cheveux et lui maintient la tête en bas. Mohamed tape du poing à l’aveugle, frappe José qui finit par tomber, et Mohamed frappe encore un peu, avant de partir pour aller chercher ses enfants.

« — Vous avez vu son état quand vous êtes parti ?

— Non, j’ai pas fait attention.

— Vous venez deux fois vers lui et vous dites c’est lui qui vous attaque ?

— J’ai été surpris.

— Et ce que disent les témoins ?

— Moi je pense qu’ils n’ont pas vu la scène dans son entièreté. »

Après avoir récupéré ses enfants, Mohamed s’est rendu au commissariat pour porter plainte. On lui a attribué un jour d’ITT (rougeurs au cuir chevelu). D’après un témoin, José lui a effectivement tiré les cheveux… pour se rattraper.

 « Vous reconnaissez les violences ?

— Ah j’essayais juste de me défendre, il met mains dans le vide-poche, moi je sais pas ce qu’il va sortir, un tournevis ou je ne sais quoi, moi je ne le connais pas ce monsieur

— Et vous ne vous êtes pas inquiété de son état de santé ?

— C’était mon agresseur, je m’inquiétais que de moi et de mes enfants.

— Pensez-vous que c’était proportionné ?

— J’ai pas réfléchi à la proportion, moi j’ai réfléchi à me sortir de ce pétrin. »

Si José n’avait pas eu de nombreuses plaies, dermabrasions, un nez cassé, un traumatisme cranio-maxillo-facial (21 jours d’ITT), la version de Mohamed aurait pu convaincre le tribunal. Si Mohamed n’avait pas un casier judiciaire composé de violences, et si José n’était pas un quasi-retraité connu pour son calme et sa fierté de ne jamais recourir à la violence, alors le doute aurait pu bénéficier au prévenu.

Mais cela allait à l’encontre des évidences. Celle que José, directeur des services techniques du département du Val d’Oise, était présent aux abords de ce chantier pour s’assurer de la sécurité des usagers. Qu’il a 62 ans et que Mohamed en a 40, et que ce dernier est de type balèze (100 kg), de nature à impressionner José. Mohamed, administrateur de tournée (intermittent du spectacle), compte cinq condamnations à son casier, dont trois pour violences conjugales (la dernière est de 2003). La dernière condamnation date de 2015.

« J’ai bien entendu la belle histoire de la défense »

« J’ai bien entendu la belle histoire de la défense », ironise l’avocat de José (absent), qui réclame un total de près de 30 000 euros pour son client (et 6 800 euros pour lui).

 La procureure : « Je me demande s’il n’interprète pas mal les intentions de la victime, dans la mesure où il semble sincère dans son discours, ça se voit qu’il se sent victime. Je pense que cette problématique de violence n’est pas résolue mais a été en dormance. » Elle requiert 12 mois de prison avec sursis probatoire, obligation de soins, d’indemnisation, ainsi que 140 heures de travaux d’intérêt général.

L’avocat de la défense s’interroge sur le sort fait à la plainte déposée par Mohamed, dont il n’a jamais eu de nouvelle. Il explique qu’en général, ce type de dossier arrive à l’audience en violences réciproques : « On renvoie les deux et on tranche, quitte à n’en condamner qu’un. » Pourquoi pas dans ce cas ? « Parce qu’on a un ingénieur de 62 ans sans casier et un intermittent de 40 ans au cassier rempli de violences », déplore l’avocat.

Il voudrait que la notion de réhabilitation ait un sens, 20 ans après sa dernière condamnation pour violences. Il voudrait aussi que la peine soit plus raisonnable et que le département, qui réclame le remboursement des salaires versés à José pendant son absence, soit débouté de ses demandes.

Mohamed patiente dans le hall avec son avocat et d’autres prévenus, puis il est rappelé et condamné à la peine requise, à verser 3 500 euros à José, 16 000 au département et 1 000 à l’avocat de José.

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