Tribunal de Pontoise : « Il dit ‘sale arabe, sale bougnoule’, tout le temps »
Un homme de 64 ans est jugé par le tribunal de Pontoise pour menace de mort réitérée, violences, injure et provocation non publiques, en raison de l’origine, la race, l’ethnie, la religion. Les plaignants sont ses voisins. Il nie l’intégralité des faits.
Dans cette grande impasse à Argenteuil, il y a six pavillons : plusieurs familles et, depuis trois générations, les grands-parents de Raymond, les parents de Raymond, et désormais Raymond et sa compagne. Depuis 2019, ça se passe très mal entre Raymond, 64 ans, et ses voisins. Surtout avec la famille M., ses voisins les plus directs. Il se plaint sans cesse des provocations des jumeaux de la famille qui, elle, déplore des menaces, intimidations et insultes racistes quotidiennes.
Le 6 mars, les amis de Karim, 15 ans, viennent le chercher pour aller à l’entraînement de judo, dont il est pratiquant à haut niveau. Raymond aurait pointé le bout de son nez (grosses lunettes à fine monture et tout petits yeux) et lui aurait demandé pourquoi est-ce qu’il y avait tant de monde (cinq ou six adolescents). Raymond se serait approché et lui aurait lancé : « Tu crois que t’es chez toi, bougnoule ? » Ils se seraient insultés, Raymond aurait mis une claque et Karim n’aurait pas répliqué.
Le lendemain, dit-il aux policiers, alors qu’il rentrait du collège, Raymond l’aurait interpellé (« ça ne t’a pas suffi hier ? »), attrapé par le col et lui aurait, sans sommation, allongé un coup de poing au visage. Son frère (jumeau) serait venu lui porter secours et lui dire de ne pas répliquer, tandis que Raymond aurait lâché son berger allemand. Les policiers ont été appelés par Raymond, ont interrogé tout le monde et placé le sexagénaire en garde à vue.
Au cours d’un interrogatoire, disent les policiers, il aurait fait un salut nazi. Déféré en comparution immédiate en vue d’être jugé pour les faits du 7 mars, il a demandé un délai pour préparer sa défense, et le voici mardi 14 mai devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Plutôt petit, trapu, cheveux gris et mâchoire proéminente, il s’avance à la barre sous le regard inquiet de son avocat.
Présidente : « Est-ce que vous reconnaissez les faits ?
— Aucun.
— Pourquoi alors êtes-vous accusé de tout cela ? »
Raymond raconte un peu précipitamment qu’il les a vus planquer ses poubelles et que, lorsqu’il est sorti les interpeller, l’un d’eux lui aurait craché dessus. Il aurait dit à leur mère qui sortait de la maison « c’est comme ça que t’élèves tes enfants ? » Et elle aurait sorti une bombe lacrymogène. Alors, il lui aurait lancé un seau d’eau.
— Vous n’avez pas dit ‘sale bougnoule, sale arabe’ ?
— Non, jamais.
« Je n’ai pas vu ce salut nazi dans les procès-verbaux »
Aux policiers, le frère violenté dit : « Il n’arrête pas de nous embêter, il nous suit dans la rue et nous insulte.
— Est-il vrai qu’il vous traite de ‘sale bougnoule, sale arabe’.
— Oui, ça c’est tous les jours. »
La présidente demande à Raymond : « Est-ce que vous avez sorti le chien ?
— Non, c’est faux.
— Avez-vous donné un coup de poing ?
— Non.
— Vous avez une voisine qui indique être intervenue pour essayer de calmer les choses. » Cette femme, en sortant, l’a vu donner un coup de poing à la victime. Elle a constaté que l’œil était « bien enflé et très rouge ».
— Je ne connais pas du tout cette personne-là.
— Et sur le salut nazi ?
— J’ai juste fait ça (il fait un geste du bras pas vraiment descriptible). J’suis pas nazi, j’suis pas facho.
— Je n’ai pas vu ce salut nazi dans les procès-verbaux.
— Moi non plus, et il n’y a aucun PV de comportement », intervient l’avocat de la défense.
(Présidente) Monsieur, ils mentent, les voisins ?
— Oui. Et ce depuis 2019.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas, vraiment ».
« — Madame, lance la présidente à l’attention de la voisine, mère des deux adolescents, qui s’avance à la barre, qu’est-ce que vous souhaitez dire ?
— La vie à côté de notre voisin n’est pas facile, on n’est pas tranquilles. Il m’en veut parce que j’ai dénoncé les violences contre sa mère (de 95 ans, aujourd’hui décédée, pour laquelle la compagne de Raymond, elle-même atteinte de troubles psychiques, a été condamnée, ndlr). Depuis qu’il est à la retraite, il embête tout le monde. Dès qu’on bouge, il sort avec son chien, il nous insulte ».
Qu’il soit assis sur son banc ou debout à la barre, Raymond, fait des mouvements de bouche à la manière d’une carpe, et ses grands carreaux accentue son air myope. Il souffle, maugrée, tente d’interrompre tout le monde et provoque l’ire de son avocat qui lui conseille à voix pas si basse de garder le silence et d’arrêter de commenter tout ce qu’il se dit.
La mère, qui parle en son nom et en celui de ses enfants, poursuit : « Il dit sale arabe, sale bougnoule, tout le temps. Il sait que ça touche et je ne comprends pas pourquoi il dit ça, on est tous des Arabes autour de lui. Je n’avais pas de bombe lacrymo mais un détergent en spray, car il a ramené un gros chien et mes enfants ont peur des chiens ».
La présidente : « Monsieur venez. Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Je suis effondré par tout ce que j’ai entendu : des mensonges, des mensonges. Quand est-ce que ça va arrêter ? Faudrait que je fasse une main courante toutes les deux semaines ? Les enfants ont tellement peur qu’ils me suivent ?
— Pourquoi vous vous parlez ?
— C’est eux qui me parlent ! »
Il évoque des provocations et des menaces depuis des années, c’est très confus. La juge est obligée de l’interrompre. La mère secoue la tête de dépit.
« Vécu persécutif et certaine psychorigidité »
L’expert psychiatre dit du prévenu qu’il est « très irritable et très volubile et qu’il évoque avec colère la relation avec ses voisins. L’examen met en évidence un vécu persécutif et une certaine psychorigidité qui ne facilite pas ses relations avec les voisins. » À son casier, une condamnation en 2021 pour des violences conjugales.
L’avocate de la partie civile : « Ça aurait été plus rassurant qu’il assume. Insulter parce qu’on est noir ou arabe, c’est humiliant, de nos jours ça ne se fait pas Monsieur (Raymond fulmine sur son banc). Je crois qu’il n’y a que la justice pour calmer Monsieur et rétablir l’ordre dans cette allée. » Elle demande en tout 8 500 euros pour ses clients et elle-même.
La procureure estime qu’au vu de l’audience, le prévenu « fait en effet preuve d’une grande psychorigidité. Quand bien même on peut imaginer que deux jeunes garçons de 15 ans pleins de fougue ont parfois le verbe haut, le verbe le plus mal placé est peut-être du côté de Monsieur. » Elle demande sa relaxe pour le salut nazi, car rien en procédure ne l’atteste, mais pour le reste, sa condamnation à une peine de six à huit mois de sursis probatoire (interdiction d’entrer en contact avec les victimes et de détenir une arme).
« La France, pays de raciste dégénéré, c’est facile à dire ! »
L’avocat entre en scène : « Pourquoi autant insister sur le contexte ? Dire que c’est un facho ? Parce qu’à partir du moment où on a dit que c’est un facho, il est disqualifié, et donc ce qu’on dit est vrai. Mais on a quoi pour corroborer ? » Il disqualifie la parole du frère car c’est un jumeau pas objectif, et dit que la voisine, de là où elle est, n’a pas pu voir ce qu’elle dit avoir vu. Les attestations seraient de complaisance pour dire que le prévenu est raciste. Et puis il s’envole : « la France, pays de raciste dégénéré et pays de facho, c’est facile à dire ! »
Lorsqu’il est relaxé pour le salut nazi, les injures et la provocation raciste, mais condamné pour le reste (6 mois avec sursis probatoire, 3 000 euros de dommages et intérêts), Raymond en reste ébahi et conteste. « Pour aujourd’hui, c’est fini, vous pouvez faire appel. »
Référence : AJU440025