Tribunal de Pontoise : « Il reçoit des condamnations comme des gouttes de pluie »
Abdoulaye, 23 ans, est une petite main au sein d’une bande de voleur de voitures, tombée au hasard d’un contrôle routier. Plus de deux ans après, il reconnaît les faits devant le tribunal correctionnel de Pontoise où il est jugé pour vol en réunion.
Abdoulaye comparaît en chair en os et en survêtement noir, après avoir refusé d’être jugé par visioconférence à la prison de Fresnes où il est incarcéré « depuis le 18 juillet 2022 », indique la procureure. Il purge trois peines respectivement de six mois, quatre mois et six mois, toutes mises à exécution in extremis par le parquet, peu avant la date de sortie précédente d’Abdoulaye, afin qu’il comparaisse détenu à l’audience correctionnelle de ce 15 juin 2023, au tribunal de Pontoise.
« Il est sortant le… 20 août 2023 », précise la procureure.
Le président tente de débrouiller la situation pénale du prévenu. Il énumère neuf condamnations. « Vous êtes sous contrôle judiciaire, sous sursis probatoire, sous… pff » Il grimace. « On va juger votre dossier, vous allez finir par sortir de prison, vous allez prendre votre vie en main, et puis vous allez vous mettre à faire quelque chose. On ne peut pas passer sa vie à ne rien faire. » Abdoulaye abonde : « C’est pas une vie. » Il est jugé pour deux vols de voiture « en réunion ». Le président interroge autour de lui : « Bon, qu’est-ce qu’on a mis aux autres ? Des jours-amendes ? Je vous explique pourquoi cette peine : parce que ce sont des faits anciens, reconnus, et d’ailleurs les autres ont reconnu beaucoup plus de faits. Vous, seulement deux. » À ses assesseurs : « Pour information, chers collègues, le dossier, il est là », et son doigt pointe un gros tas de feuilles.
« Des bandes écument Paris et ses alentours »
Le président hésite : « Est-ce que je reprends les faits ? Bon, je vous fais l’historique. » Il se concentre : « Peugeot 2008, 3008, des modèles très prisés chez nos camarades en Afrique. Des bandes écument Paris et ses alentours pour les voler. Là, les gars viennent en zone gendarmerie pour opérer. Manque de chance il y a chez nous les gendarmes de la SR (section de recherche), qui ne font que ça du soir au matin. »
Les rôles sont répartis. « Le véhicule conspiratif (j’aime bien ce mot) est conduit par un mec qui ne fait que conduire. Lorsqu’ils repèrent un véhicule à voler, ils sortent et un gars va forcer la porte, un autre gars va démarrer, et le dernier va conduire. Parmi ces gars, il y avait vous : oui ou non ?
— Oui, répond Abdoulaye.
— Très bien. C’est une équipe de gars qui ne sont pas de chez nous, lui est du 91 mais traîne dans le 94. Les autres sont du 94. »
« Pris les mains sur le volant d’un véhicule qu’il vient de voler »
Il raconte : « Le 15 février 2021, les gendarmes vont taper un gars qui conduit trop vite. Mohamed M., pris les mains sur le volant d’un véhicule qu’il vient de voler. Pendant la garde à vue, il est appelé par ses cousins et complices, ce qui va permettre de remonter rapidement la filière. L’affaire était bouclée, mais Mohamed M. va être élargi (libéré, NDLR), et l’enquête va se poursuivre. Mais le dossier ne bouge pas pendant un mois, avant d’être repris par la section du parquet de répression du banditisme. Des interpellations, dont la vôtre, vont intervenir : pourquoi ?..Le président ménage son effet…parce que Mohamed M. va parler ; il va dire qu’il a conduit les véhicules volés, que ses frères et cousins étaient présents. D’accord, répondent les enquêteurs, mais qui conduit la voiture conspirative ? M. M. ne va pas révéler votre identité. On va néanmoins remonter vers un certain Yannis, qui après avoir été travaillé par un enquêteur, va un peu se dégonfler et va donner un numéro qui appartient à un certain Abdoulaye : vous. Les frères M. diront que vous étiez bien présents, ainsi qu’un 5e homme qui ne sera pas identifié. » Abdoulaye est impliqué dans deux faits, il en reconnaît un : le vol d’une Peugeot 2008.
« Je sais pas pourquoi j’ai fait ça, j’étais un peu bourré »
L’histoire résumée, il se tourne vers le prévenu : « Est-ce qu’on est d’accord que vous aviez conscience que vous participiez à une équipe de voleurs ?
— Oui
— Combien vous étiez payé ?
— J’ai pas été payé, je sais pas pourquoi j’ai fait ça.
— Combien on vous avait promis ?
— 50 euros. Je sais pas pourquoi j’ai fait ça, j’étais un peu bourré. »
Le président, à l’adresse de ses collègues : « Donc vous avez compris, le gars a participé à des vols et il le reconnaît. » Sans délai, il donne la parole à la procureure.
« La tentation pourrait être grande, entame la magistrate, de penser que ce sont des faits d’une gravité mesurée. Mais ils font partie d’un réseau aux énormes profits. M. Abdoulaye S. n’est qu’un simple exécutant, mais s’il n’y avait pas de Monsieur S. il n’y aurait pas ce trafic. Je demanderai au tribunal de ne pas faire preuve de la même indulgence qu’il a eue à l’égard des frères M., ce qui n’était pas dans le sens de mes réquisitions. » Elle rappelle que le prévenu a neuf mentions au casier, alors que ses complices avaient un casier vierge. « Il reçoit des condamnations comme on reçoit des gouttes de pluie, c’est-à-dire que ça ne lui fait pas grande chose. » Elle requiert six mois ferme.
L’avocate d’Abdoulaye tente de briser la dynamique effrénée du procès. « Tout le monde veut être rapide. On a bien compris qu’il fallait entrer en voie de condamnation, puisque de toute façon il a déjà été condamné, voici votre logique. » Elle rappelle que les « petites mains » dont Adboulaye fait partie seront toujours disponibles, et que ceux qu’il faut arrêter, ce sont les têtes de réseau qui font « des bénéfices à six chiffres ». Le prévenu a le dernier mot, il l’utilise pour présenter des excuses.
Le délibéré est aussi rapide que le procès : Abdoulaye écope de six mois ferme ; le tribunal laisse le soin au juge d’application des peines d’aménager ou non cette peine. De toute façon, le jeune homme retourne en prison.
Référence : AJU374510