Tribunal de Pontoise : « J’ai consommé du protoxyde d’azote, j’étais à la limite de la folie »

Publié le 24/08/2023 à 15h55

Youssef, 36 ans, a complètement perdu les pédales après avoir consommé du protoxyde d’azote. Devant les juges de Pontoise, il dit ne plus se souvenir des faits, regrette avoir résisté à son interpellation et insulté les policiers.

Tribunal de Pontoise : « J’ai consommé du protoxyde d’azote, j’étais à la limite de la folie »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Il est tard dans la nuit à Sannois, une jeune femme éreintée, tout au bout de sa grossesse, souffre d’une énième insomnie, quand des cris indistincts, des insultes (lui semble-t-il) prononcées avec une élocution d’ivrogne, dans un mélange de français et d’arabe, parviennent jusqu’à sa chambre. Elle se lève, entend de plus en plus clairement le tapage et distingue comme un bruit de coups de couteaux sur du métal. Par sa fenêtre, elle aperçoit un homme hystérique, torse-nu, qui hurle à la cantonade « Je vais tous vous tuer », en faisant des grands gestes avec un couteau à la main. Il semble défier les buissons, dont il coupe de petites branches, et fait virevolter les feuillages. La jeune femme appelle la police.

« Lâche tes couteaux, lâche ! »

L’équipage de quatre policiers arrive en bas de l’immeuble, dans lequel trois d’entre eux s’engouffrent. Ils montent les six étages, ne trouvent personne et décident de redescendre. Entre temps, l’homme torse-nu entre dans l’immeuble avec, semble-t-il, un couteau dans chaque main. Le policier resté dans la voiture informe ses collègues, qui presque au même instant, au niveau du 3e étage, tombent nez à nez avec Youssef. « Lâche tes couteaux, lâche ! » ordonne un policier. Youssef jette son couteau (dans son autre main, il tenait en fait son trousseau de clef), mais refuse de se mettre à terre. « C’est bon, c’est bon ! » lance Youssef en levant les bras. Nouvelle sommation : « couche toi ! », mais Youssef reste debout. Tir de Taser. Les deux électrodes se fichent dans le torse de Youssef, qui les arrache d’un coup sec. Les policiers se jettent sur lui. Youssef valdingue et se retrouve non loin du couteau, vers lequel il rampe. Un policier le retient, tente de l’immobiliser, mais il se débat, attrape la jambe d’un autre, la tort, refuse de lâcher, prend un autre coup de Taser (en mode « choqueur », c’est à dire à bout touchant), ne lâche toujours pas, tente de mordre un mollet. Les policiers le frappent à la tête et lui envoient un troisième choc électrique. Il lâche et se met à hurler. Son crâne pisse le sang, les policiers tentent de lui apporter les premiers secours. Il est embarqué.

Pendant la bagarre et dans la voiture, Youssef insulte et outrage ad nauseam. « Ses propos sont réitérés de façon redondante et son élocution est difficile et pâteuse », rapporte un policier. Dans sa poche : un ballon de baudruche rose avec des traces de sang.

« J’étais vraiment défoncé au niveau de la tête »

Au tribunal de Pontoise, il est jugé en comparution immédiate, vendredi 18 août, environ 36 heures après les faits. Petit et de constitution mince, on peine à croire que ce chauffeur de VTC de 26 ans ait pu lutter contre trois policiers sobres et entraînés. Lui aussi. Au commissariat, il dit : « J’ai consommé du protoxyde d’azote de 1h à 4h du matin, j’étais vraiment défoncé au niveau de la tête, à la limite de la folie et de l’inconscience ». En fait, il a pris un premier ballon de ce gaz hilrant, qui n’a pas fait effet immédiatement, si bien qu’il a fini la bouteille, pensant qu’une telle dose était nécessaire. C’était la première fois qu’il en consommait, et il a accompagné cette défonce de trois ou quatre verres de vodka (qui ont eu le temps d’être éliminés avant le test d’alcoolémie). Toute la bagarre, il l’a passée dans un état de demi-conscience, s’en souvient à peine. Il dit qu’il s’est rendu directement. Le couteau ? « Je ne sais même pas ce que je faisais avec ça dans la main, j’ai fait n’importe quoi ». Devant la vidéo (la scène a été filmée par la caméra épaule des policiers), il déclare spontanément : « ça aurait pu être pire, j’aurais pu prendre une balle ».

« J’étais dans un sale état, j’ai honte de moi »

Aux juges, il déclare : « Je ne sais pas par où commencer. Ce que j’ai fait ce jour-là, c’est quelque chose de très très grave, j’ai consommé beaucoup de ballons, ça m’a mis dans un état … même moi je suis choqué. J’ai commencé à reprendre mes esprits quand j’ai été tasé.

— Vous vous rendez compte ? Un coup à distance, deux coups contact, et vous vous débattiez toujours.

— J’étais dans un sale état, j’ai honte de moi, j’ai trois enfants et ce n’est pas un comportement de père de famille. Je rentre dans l’immeuble parce que j’ai vu la police dehors et je ne savais pas qu’il y en avait à l’intérieur.

— Pourquoi ne pas obéir ?

— Je sais pas, j’étais pas moi-même. »

Contactée, sa femme a répondu qu’ils étaient séparés et qu’elle était actuellement en vacances au Maroc avec leurs deux enfants. Youssef semble tomber des nues : « On n’est pas séparés, on s’est remis ensemble en juin, là je suis choqué qu’elle dise ça.

— Peut-être qu’elle est choquée elle-aussi », rétorque la présidente.

Cette même épouse a bénéficié en 2020 d’une ordonnance de protection contre lui. Youssef a été condamné deux fois par le passé pour des violences commises sur deux autres compagnes.

« On est sur du gaz hilarant, donc le but c’est de rire »

Une assesseure lui demande : « Comment pouvez garantir au tribunal que vous ne recommencerez pas ?

— Je m’engage à ne plus rien consommer, j’appliquerai toutes vos demandes », répond Youssef qui semble soudain réaliser qu’il risque gros, d’autant qu’il est actuellement sous sursis probatoire (dont le juge d’application des peines n’a pas demandé la révocation).

La procureure : « qu’est-ce qui se serait passé s’il était tombé sur un voisin ? » L’hypothèse effraie rétrospectivement. Heureusement, les voisins étaient calfeutrés. Elle requiert 10 mois de prison dont 5 avec sursis probatoire :  obligations de consulter un psy, soins en addictologie, obligation de travail, de réparer (les trois policiers sont partie civile), et interdiction de paraître à Sannois.

L’avocate semble en accord avec les réquisitions. « On est sur du gaz hilarant, donc le but recherché, a priori c’est de rire. Mais celui-ci fait partie de ceux qui font des bad trip », déplore-t-elle.

Youssef est condamné pour l’outrage, la rébellion, mais relaxé pour la menace avec arme (puisqu’il a jeté son couteau). La peine est conforme aux réquisitions, mais l’interdiction est circonscrite à l’immeuble de son épouse (il devra donc fixer sa résidence ailleurs). « C’est pour les voisins, car je pense qu’ils ont eu vraiment très peur », conclut la présidente.

Youssef a l’air soulagé et reconnaissant : « Merci beaucoup », répond-il d’une voie émue.

 

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