Tribunal de Pontoise : « j’ai l’impression d’avoir été une mère porteuse »

Publié le 23/11/2022

Abdel, 33 ans, est jugé pour des « violences habituelles » sur sa conjointe, sur fond de conflit pour voir leur enfant. En quelques mois, il a envoyé des milliers de SMS comminatoires et a menacé sa compagne, faits qu’il nie devant le tribunal de Pontoise.

Tribunal de Pontoise : « j’ai l’impression d’avoir été une mère porteuse »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Inès est née le 17 octobre 2021. Deux mois plus tard son père, Abdel, agonit sa mère, Sabrina d’injures alors qu’ils se trouvent dans leur véhicule, sur le parking du McDonald’s de Saint-Gratien (95) : « Pourriture ! Fouteuse de merde ! Rentre chez tes parents ! » C’est le point de départ de la prévention et de nombreux incidents, qui ont causé à Sabrina une ITT psychologique de 10 jours, avec perte de poids importante et symptômes de stress post traumatique, et qui valent à Abdel, 33 ans, de comparaître dans le box des comparutions immédiates de Pontoise pour violences habituelles sur conjointe.

La présidente du tribunal fait un long et minutieux rapport des faits, reprenant presque en intégralité les témoignages et les nombreuses auditions, qui s’étalent sur près d’un an, et donnent à voir le climat de peur instauré par Abdel.

Le 23 décembre 2021, alors qu’elle est partie chez ses parents pour échapper aux disputes, Sabrina reçoit un SMS : « T’es la plus grosse putain de la ville et même de toute la France ». Le 30 décembre, elle reçoit un SMS de menace, et le 1er janvier, il lui notifie de vive voix qu’elle lui manque de respect dans sa manière de s’habiller qui mettraient en valeur ses formes, disparues à l’audience, puisque Sabrina est passée sous les 38 kilos. Peu de temps après, lors d’une discussion houleuse, il avait haussé le ton : « Tu vas faire quoi avec tes 50 kg ? » Il avait ensuite collé et appuyé fortement son front à celui de Sabrina, terrifiée, son bébé dans les bras.

Aux policiers, la jeune trentenaire explique qu’Abdel l’a empêchée de sortir de leur domicile de Saint-Gratien pendant 3 jours, jusqu’à ce qu’elle parvienne à fuir avec ses affaires et sa fille, 2 mois et demi, exclusivement allaitée.

Cela signifie qu’Inès doit être quasi constamment avec sa mère, ce qui contrarie les envies d’Abdel de voir sa fille quand il le souhaite. Pourtant, de son départ et pendant 12 jours, Sabrina ne reçoit aucune réponse aux messages qu’elle envoie à Abdel pour lui donner des nouvelles de leur fille. Enfin, il écrit ; et il n’arrêtera pas d’écrire. « 78 pages de SMS », prévient la présidente. Des SMS « hyper longs », insiste-t-elle, des pavés indigestes, culpabilisants et dénigrants, qui oscillent entre expression du désir de voir la petite et accusations contre Sabrina, qui tenterait selon lui de le priver de son enfant.

« Ma fille avait faim et j’allais devoir l’allaiter, mais il est parti avec elle »

Sabrina propose un rendez-vous au centre commercial : il fait froid, elle a besoin d’allaiter, et ils ont besoin d’un terrain neutre. D’abord, Abdel refuse, puis il finit par l’y retrouver. Ils se baladent, lui poussant le landau. Il accélère le pas. « Je n’arrivais pas à le suivre, il était 15h, ma fille avait faim et j’allais devoir l’allaiter, mais il est parti avec elle », relate-t-elle à la barre. « Je l’ai appelé, il n’a pas répondu d’abord, puis il m’a dit qu’il était chez ses parents, que c’était ‘safe’ et que je pouvais venir. » Sabrina ne veut pas voir la famille d’Abdel, qui l’a déjà insultée et menacée, mais elle doit allaiter l’enfant et propose qu’il lui amène dans la rue puis de remonter avec elle. Mais Abdel refuse, alors Sabrina « tambourine à la porte ! », raconte Abdel. Il ouvre, échauffourée sur le seuil, Abdel lui attrape le bras et la repousse.

Le père d’Abdel l’insulte et la menace. La sœur se serait écriée : « c’est bon, violation de domicile on appelle les flics », qui sont effectivement venus et ont constaté l’embrouille, relevant un conflit conjugal sans s’attarder sur la situation. Sabrina quitte le domicile de la famille d’Abdel avec Inès, et ne donne plus de nouvelles durant quelque temps. Le 8 février, elle entame la procédure devant le juge aux affaires familiales, qui organise les droits de visite du père pour sa fille : ils seront progressifs, de quelques heures au week-end entier, en fonction de l’évolution des besoins en allaitement de la petite. Elle obtient également une ordonnance de protection.

Abdel s’y conforme, mais parallèlement il envoie des torrents de reproches à Sabrina. Par sms et courriels, et Sabrina, nerveusement, n’en peut plus de cette logorrhée. Toutes les deux semaines elle remet l’enfant à son père, et tout se passe bien, mais entre les deux, elle est inondée de messages. Le 30 et 31 juillet, elle dépose une nouvelle main courante. Le 18 novembre, Abdel est convoqué pour une audition, puis placé en garde à vue avant d’être déféré puis jugé ce mardi 22 novembre.

Très calme dans son box, il explique une seule chose : allaitement ou pas, il veut juste voir sa fille et selon lui, Sabrina l’en prive. La preuve : la mère et l’enfant sont partis deux fois en vacances, d’abord en août à Evian puis en octobre en Algérie,  privant Abdel pendant deux fois un mois, selon-lui, du droit de voir sa fille. A la barre, Sabrina rectifie : en août, elle a proposé de faire la route pour déposer l’enfant au moins à mi-chemin ; En octobre, elle est partie 10 jours pour voir sa famille, suite à la mort d’un proche à l’enterrement duquel elle n’avait pu assister.

« Il en a fait sa proie et veut aller jusqu’à la destruction ! »

Selon Abdel, Sabrina fait tout pour le séparer de sa fille.  Sabrina de son côté confie  « j’ai l’impression d’avoir été une mère porteuse » tant il la dénigre et ne pense qu’à sa fille. « Monsieur est un père aimant », reconnaît l’avocate de Sabrina. Mais il terrorise sa cliente, pour qui elle demande 5000 euros au titre du préjudice moral. Le procureur ne se laisse pas attendrir par cet instinct paternel débordant : « Monsieur reste dans une posture d’autorité, ne reconnaît pas les violences. Il en a fait sa proie et veut aller jusqu’à la destruction ! » Il requiert 12 mois de prison avec sursis probatoire. Inconnu de la justice, Abdel est ingénieur et suis actuellement une formation en data sciences.

Son avocat demande la relaxe : la comparution immédiate pour une affaire débutée en décembre 2021 est pour lui un choix de procédure très sévère et suffisant en termes de sanction. En revanche, il ne voit pas trace de violences physiques, estimant que les sms ne pouvaient constituer une violence au sens des « violences habituelles ». Le tribunal le suit partiellement : il requalifie la prévention en harcèlement sur conjoint et violences sur conjoint sans ITT, et condamne Abdel à 8 mois de prison avec sursis probatoire (interdiction de contact et de paraître au domicile de Sabrina, notamment). Abdel s’en fiche, il veut savoir une chose : est-ce qu’il pourra voir sa fille ? « Oui, nous n’avons pris aucune décision sur ce plan, la décision du juge aux affaires familiales s’applique encore », le rassure la présidente.

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