Tribunal de Pontoise : « J’ai l’impression de ne plus être sur cette terre »

Publié le 04/12/2024

Un jeune homme incarcéré depuis presque un an est jugé par le tribunal correctionnel de Pontoise pour des faits liés à un trafic de cannabis. Il avait été interpellé le 19 décembre 2023 à l’issue d’une course poursuite avec la police, dans les rues d’Herblay-sur-Seine.

Tribunal de Pontoise : « J’ai l’impression de ne plus être sur cette terre »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 

Marouane, 23 ans, est presque arrivé à destination. Au volant de son Renault Captur, il peut presque apercevoir l’immeuble où il loue un Airbnb. Il effectue sa dernière manoeuvre, un virage à droite et, déjà, il s’apprête à chercher une place du regard. Dans son dos, il voit et entend les avertisseurs lumineux et sonores d’un véhicule de police qui l’a vu tourner sans clignotants. Pas de chance pour Marouane, qui ralentit, et puis non en fait : il passe la seconde et accélère brusquement ; il transporte 9,8 kilos de cannabis dans son coffre.

Les policiers le prennent en chasse. Ils relèvent une vitesse de 90 km/h dans une zone 30, sur une chaussée humide, de nuit, dans un endroit faiblement éclairé. Il brûle un feu rouge à « une vitesse considérable », colle dangereusement une voiture, fait des appels de phare à  un autre véhicule qui arrive en sens inverse et se rabat en catastrophe, prend un rond-point à l’envers, se retrouve tôle contre tôle avec ses poursuivants avant de perdre le contrôle et de finir sa course dans un véhicule garé. Légèrement blessé, il est transporté à l’hôpital.

Instruction expresse

Pas loin de 10 kilos de cannabis, deux téléphones, quatre cartes SIM, une carte bancaire, et un petit cahier qui ressemble beaucoup à un carnet de compte. Dans l’appartement qu’il s’apprêtait à rejoindre, 200 grammes de stupéfiants et le matériel de conditionnement. Alors que Marouane est mis en examen et placé en détention provisoire, le juge d’instruction examine sa téléphonie pour analyser ses déplacements. Il va dans le 77, le 78, surtout dans le 95 et il revient toujours dans le 60, car il vit à Amiens.

Le cahier mentionne des quantités, des entrées et des sorties de produit. Le juge note deux écritures différentes. L’enquête ne dure pas très longtemps, puisqu’il est renvoyé devant le tribunal par une ordonnance du 10 juin 2024, et jugé ce 19 novembre 2024, pour transport, détention, offre, cession, acquisition de stupéfiants, refus d’obtempérer et conduite malgré injonction de restituer le permis, une bête histoire de visite médicale que Marouane a oublié de passer, il ne le conteste pas. Pour le reste, la présidente demande sans avoir l’air de savoir d’avance quelle sera sa réponse : « Est-ce que vous reconnaissez l’ensemble des faits ? », qu’elle répète rapidement pour être certaine qu’il saisit bien la question.

« — Oui.

— (Rictus satisfait de la présidente, le procès sera moins long) Alors, le refus d’obtempérer. Vous avez une conduite dangereuse, les policiers disent que vous êtes complètement fou.

— Je suis d’accord. Pourquoi ? Sur le moment, j’ai été pris de panique. Je ne m’attendais pas à voir les forces de l’ordre derrière moi et je me suis sauvé sans réfléchir.

— Le permis de conduite ?

— Honnêtement, je ne savais pas pour la visite médicale. J’avais repassé le permis après son annulation et je conduisais normalement.

— Donc vous contestez cette infraction (la juge s’inquiète) ?

— Non, je vous dis juste que je n’étais pas au courant.

— D’accord, et les stupéfiants, vous pouvez m’expliquer votre rôle ?

— Je devais le garder.

— Là, vous le transportiez. Où le récupériez-vous ?

— À Paris.

— Pour le rapporter à Amiens ?

— Non, aucun lien. Je devais le déposer à Herblay, là où vous m’avez interpellé.

— Donc, vous n’êtes pas uniquement nourrice, vous avez un rôle plus actif.

— Tout ce que j’avais à faire, c’était d’aller le chercher et de le mettre en sécurité.

Cinq ans requis

— Pourquoi vous en venez à faire ça ?

— J’avais un mauvais état d’esprit à l’époque, j’avais besoin d’argent. Aujourd’hui, j’ai vu que ce n’était pas la bonne solution.

— Comment ça se passe votre détention ?

— C’est dur, ça fait presque un an. J’ai fait des démarches pour suivre une formation et des études, malheureusement, je suis sur liste d’attente. Comme pour l’addictologue. J’ai réussi à avoir le sport et le psychologue. Mais je suis loin de ma famille, c’est dur, je le vis mal.

— C’est quoi votre projet ?

— De travailler pour me réinsérer. J’ai déjà un contrat dans une usine de palettes, à Amiens. »

Contre Marouane, 24 ans, quatre condamnations dont trois pour du stupéfiant et une pour un refus d’obtempérer, la procureure pense nécessaire de requérir une peine de cinq ans de prison, car il s’inscrit selon elle dans un trafic (en effet). Elle pense qu’il faisait d’autres trajets et que le trafic avait un lien avec Amiens.

« Pardon ? J’ai bien entendu ? »

En défense, l’avocate s’étonne. « Pardon ? J’ai bien entendu cinq ans avec mandat de dépôt ? » La procureure répète. « Ah oui d’accord, j’ai bien entendu, alors. » Elle demande au tribunal de ne pas se laisser convaincre par l’imagination débordante de la procureure, car de preuves de ce trafic « fantasmé » il n’y en pas. Elle rappelle qu’il loue le Airbnb à son nom et que la voiture est au nom de son père, ce qui est un manque manifeste de prudence pour un prétendu gros bonnet. Elle demande la relaxe pour l’acquisition et l’offre, cession, puisque selon une jurisprudence constante, il faut caractériser chacune des infractions de l’article 222-37 du Code pénal. Matérialiser le moment où il acquiert, une opération de vente – autant d’éléments qui manquent au dossier.

Elle revient sur la peine : « Il n’a jamais été incarcéré et on vient vous demander cinq ans ? J’ai l’impression de ne plus être sur cette terre. Évidemment, la peine doit être diminuée ; je sollicite une peine mixte. »

La peine prononcée, 30 mois d’emprisonnement, est moitié inférieure à la peine demandée, mais ne permet pas à Marouane de sortir de prison. Il devra en outre s’acquitter d’une amende de 5 000 euros.

Plan